mardi 18 février 2014

"IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED" DE HUBERT ZAKINE


CHAPITRE DEUXIEME
VIE INTELLECTUELLE
LA POLITIQUE
Bab El Oued naît de la douleur des hommes. Ceux qui l’ont bâti sont de courageux besogneux débarqués de la misère méditerranéenne. La détermination pour tout bagage, ils sont des proies faciles pour les marchands de bonheur idéologique. Le Parti Communiste s’emploie activement à la politisation des masses laborieuses qui envahissent le faubourg. L’opportunisme est le premier atout de ces missionnaires du langage et de la propagande. Si certains se laissent séduire autant par conviction que par paresse d’esprit, la majorité rejoint le mouvement pour les festivités organisées par le parti. Les cellules se fondent par communautés. Les Espagnols par antériorité et par l’arrivée des anti-franquistes en 1936, les juifs par leur culture de souffrance et au milieu, les Italiens suivent l’évolution avec circonspection et, il faut bien le dire avec un certain détachement. Les transalpins sont des travailleurs et des jouisseurs. Le corps leur semble plus important que l’intellect. Le sport devient leur champ d’investigation, leur parti, leur famille. Il n’empêche, le Parti Communiste telle une toile d’araignée tisse des liens avec la population de Bab El Oued au travers de ses cafés, de ses ateliers et de ses usines qui foisonnent dans le faubourg. La jeunesse n’est pas oubliée et les sociétés sportives ou musicales voient débarquer des théoriciens de la politique. Chaque adhérent se doit de recruter dans sa famille et dans le cercle de ses amis. La conviction profonde et sincère de quelques uns entraîne un engagement sans condition et sans restriction. Des corporations comme la médecine et l’enseignement profitent de l’aura qui les nimbe pour se faire le relais du parti. Certains perpétueront leur engagement par delà l’indépendance du pays. Tel ce professeur de médecine, Raphaël Z….., ami de TROTSKY rencontré lors d’une réunion parisienne, qui fut et demeura un fervent communiste algérien jusqu’à sa mort en 1974, date à laquelle il dirigeait une importante clinique d’ALGER.
Un journal très controversé, ALGER REPUBLICAIN s’empare de cette machine de guerre psychologique pour devenir le porte-parole des communistes et des peuples « opprimés » à dater du 6 octobre 1938 au numéro 9 de la rue KOECHLIN à Bab El Oued. Albert CAMUS y écrit ses premiers articles mais rompt sa collaboration avec l’équipe qui se vante de publier le journal des travailleurs.
Bab El Oued la rouge perd le futur prix NOBEL en septembre 1939, une quinzaine de jours après la déclaration de guerre. Le journal reparaît le 24 février 1943 et poursuit ses activités jusqu’en septembre 1955.
Mais Bab El Oued cesse de penser communiste avec les premiers attentats lorsque les commentaires des journalistes d’ALGER REPUBLICAIN se déclarent ouvertement, mais avec des mots choisis, contre la présence française et par conséquent pour l’indépendance.
Les Algérois, à l’instar de Monsieur JOURDAIN qui faisait de la prose sans le savoir, font de la politique sans en avoir le moindre doute. En effet, contrairement à une idée reçue, ces français demandent simplement à vivre en paix dans un pays qui dit haut et fort que la France s’étend de Dunkerque à Tamanrasset. Mais ils ignorent que crier une évidence reprise par les hommes politiques de tous bords leur est interdit. Cela correspond pour certains à une déclaration de guerre des nantis contre les damnés de la terre.
Le peuple de Bab El Oued, dans son immense sagesse, applique à la lettre le programme des gens heureux. Entre le travail, la famille, le café, le stade et la plage, il a de quoi trouver belle la vie. Même au plus fort des attentats urbains, il témoigne d’une capacité à rebondir que l’étranger prendrait pour de la désinvolture voire de l’insensibilité. Il s’agit simplement d’une propension au bonheur héritée des parents et d’un environnement immédiat qui répercute une volonté indomptable de ne pas se laisser abattre. Rire avant de pleurer, telle est la devise de cette race nouvelle.
Bab El Oued la rouge n’existe plus. Bab El Oued la patriote lui redonne des couleurs. Le 13 Mai 1958 l’habille de bleu-blanc-rouge. Ses balcons fleurissent de drapeaux tricolores et ses enfants entonnent la Marseillaise et les Africains d’une seule et même voix.
Mais ils ignorent que des politiciens ambitieux dupent leur incrédulité. Sous couvert de ramener au pouvoir le Général De Gaulle, ils se servent sans vergogne du drame algérien et du patriotisme des pieds noirs de toutes confessions et de toutes origines. Bab El Oued bascule dans le camp gaulliste avec la candeur qui l’a toujours habitée. Sa seule circonstance atténuante réside dans la naïveté des politiques et des militaires, pourtant rodés aux manigances et autres turpitudes des gens de pouvoir, qui n’auraient rien vu arriver. Bab El Oued déchirée tombe dans les bras de l’OAS après le blocus inhumain qui lui est infligé sur ordre de l’Elysée. Pour la première fois depuis le début des hostilités en 1954, les avions et les chars qui n’opérèrent jamais dans la casbah entrent en action contre des français qui commettent un crime d’amour envers la France. Coupables de trop aimer la mère-patrie, les Bab El Ouédiens subissent les foudres du pays « beau, grand et généreux » tant vanté par les tenants de la conquête. Les ancêtres de ces fils d’immigrés crurent sur parole leur profession de foi. Ils eurent raison! Autres temps, autres mœurs, le vieil adage « les paroles s’envolent, les écrits restent! » s’ancre définitivement dans la mémoire d’un million et demi d’individus alors, qu’au large du bateau qui les emporte vers un ailleurs intemporel, se déracine l’arbre de vie des pieds noirs, Bab El Ouédiens compris.

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