samedi 22 février 2014

EXTRAIT DE MON PROCHAIN OUVRAGE

Au rendez-vous des Algérois  ou  Les 5 doigts   de la main

de HUBERT ZAKINE

AU RENDEZ-VOUS DES ALGEROIS


«Au Rendez- vous des Algérois» Un bistrot parisien de la rue d’Hauteville dans le dixième arrondissement où les consommateurs perpétuent les années égarées sur l’autre rive de la Méditerranée. Le bouche à oreille avait si bien fonctionné que tous les orphelins d'Algérie s'y retrouvaient pour se retremper dans l'ambiance des cafés de là-bas.

Dans des disputes de bonne santé, les tablées de belote, rami ou poker jouaient les prolongations de leur enfance interrompue.

Richard Abergel tentait de convaincre Victor Boisis son ami d’enfance de rester célibataire.

--Mais pourquoi tu veux te marier, Tu es pas bien comme ça?

--Et non, je suis pas bien! Tu crois que si le célibat, c’était le paradis, je voudrais me marier? Quand le soir, tu es tout seul face à ton assiette devant la télévision, tu aimerais bien qu’une Brigitte Bardot, elle te mange dans la main!

--Ouais mais n’oublies pas que ta Brigitte Bardot, elle t’empêchera de faire ce que tu veux, quand tu le veux et avec qui tu le veux! Comme elle dit ma mère, en te mariant, tu sais ce que tu perds, mon fils, tu sais pas ce que tu trouves! Une femme, même si tu l’aimes, par moments, elle va te casser les bonbons! Regarde Roland, même plus y va au stade parce que ça déplaît à madame! Qui mieux que nous les célibataires; on n’a de compte à rendre à personne; crois-moi, ça vaut tout l’or du monde, fils!

--Ouais mais si c’est le bagne, tu peux me dire pourquoi y a tant de mariages?

--Tant que tu es, demande-toi aussi pourquoi il y a tant de divorces?

--C’est vrai, j'oublie pas que le divorce, c’est pas fait pour les chiens!

-- Et le mariage, c’est pas fait pour les bourricots comme toi. Aouah, la vie à deux c’est trop difficile! Crois-moi, une fille de temps en temps, y a rien de mieux! Elle te fera jamais de scène ou sinon, tu la largues! Et même si c’est elle qui te largue, une de perdue, dix de retrouvées!

--Remarque que tu dis ça mais si ta fiancée de Bab El Oued…….., tu parlerais autrement!

A l’évocation de Suzy, la nostalgie s’engouffra dans le regard de Richard. Petite fiancée qu'un attentat avait arrachée à ses rêves adolescents. Un instant, Victor regretta l'allusion de ce drame qui glaça l'atmosphère.

La porte du café s’ouvrit alors sur Paulo Zenouda totalement frigorifié. Après avoir pris le soin de bien refermer la porte, il se cala contre le chauffage du café en interpellant le patron.

--Maurice, sers moi un kaouah, je suis frigorifié ! Amman, quel froid qu’il fait dans ce putain de pays!

Paulo utilisait toujours le langage judéo-arabe de sa jeunesse. Il buvait son kaouah dans un verre, comme là-bas, refusant la tasse traditionnelle des bistrots parisiens, s’arrimant à ses souvenirs comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Il regrettait l’Algérie dans ce Paris déshumanisé qui refroidissait tout sentiment. Avec ses amis d’enfance, il avait reconstruit un autre Bab El Oued dans ce café qui sentait bon l’anisette et les engueulades de bonne santé au milieu d’autres exilés involontaires pour raison d’état.

Richard venait de trouver un allié dans son discours en faveur du célibat.

--Viens t’asseoir Paulo! Tu savais que ce babao de Victor y veut se marier?

--Et bien sûr je sais, y pense plus qu’à ça! C’est pas faute de lui avoir dit que ça dépendait sur qui il allait tomber!

Victor se défendit en prenant comme exemple les mariages de Jacky et Paulo qui tenaient la route .

--Et pourquoi je tomberais plus mal que toi avec Colette ou Jacky avec Julia !

--Parce que nous, Colette et Julia, on les a connues quand elles jouaient à la marelle! Tu peux pas comparer! Le mariage, c’est une loterie. Au début, c’est la lune de miel et au bout de deux ou trois ans, c’est la lune de fiel.......... Si ta femme, elle veut que tu marches droit, tu marcheras droit........ Et comme, nous autres, on aime marcher en zigzag, ça risque de faire des remous…………… Si elle est comme ma femme ou celle de Jacky, aucun problème, fonce, mais si elle ressemble à la femme de Roland, alors, là, mieux tu restes célibataire ou tu te fais rabbin!

Putain, pourtant, elle a un beau cul, la femme à Roland?

--Elle a un beau cul mais c’est une emmerdeuse! Demande-lui à Roland! Y va te faire une paracha!

Richard tamisa l’emportement de son ami.

--Bardah! N’exagère pas! Y va simplement te conseiller de rester célibataire ou de te marier dans ta rue, c’est tout!

--Qué dans ma rue? Ma rue elle est restée à Alger! Tu as oublié?

Richard, sans relever la remarque de Victor, enfonça le clou.

--Quand tu es célibataire, tu rends de comptes à personne! Être libre, ça n’a pas de prix, alors, si de temps en temps, ça te fait chier de manger seul, dis-toi que la balance, elle penche largement pour le célibat!

-- Moi, ma parole, je me suis pas rendu compte que Roland il était malheureux.

--C’est pas qu’il est malheureux mais il peut pas faire ce qu’il veut! Des fois, il a une tête d’enterrement! D’après toi, pourquoi il vient rarement au stade avec nous? Tout simplement parce que ça gonfle sa femme! Et comme y veut pas lui déplaire, et bien, il baisse le pantalon!

--Ah, bardah! Roland, il baisse le pantalon?

Victor, malicieux comme un singe, sauta sur l'occasion pour en rire.

--Ouais mais peut-être, il a des compensations!

--Mais bien sûr! Seulement au début du mariage, elle lui mangeait dans la main et puis petit à petit, elle l’a enrobé dans du papier glacé. Et Roland, raïeb, il est malheureux comme les pierres!

Paulo avala son café puis en se levant donna rendez-vous à ses amis:

-- On se retrouve chez moi mercredi!

--A quelle heure?

--A sept heures, sept heures et demie!



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