lundi 15 avril 2013

MARIE TOI DANS TA RUE MON FILS DE HUBERT ZAKINE

Richard entra dans la salle de bains pour se faire une beauté sur ordre de sa mère qui jubilait à l’idée de la surprise qui attendait son fils. L’oncle  Prosper qui était de toutes les fêtes n’aurait voulu pour rien au monde rater ce doux moment d’euphorie si rare depuis la déchirure de l’abandon de l’Algérie. Il avait eu la douleur de perdre sa femme sur le marché de Bab El Oued, fauchée par une rafale de mitraillette tirée à l’aveuglette  par une bande  descendue de la Casbah, le quartier de naissance  de Prosper et de Blanche, son épouse. Depuis, il avait épuisé son chagrin sur l’épaule de son  cadet. Ses deux autres frères qui habitaient Nice depuis 1961 l’avaient soutenu mais c’est auprès de Léon et Lisette qu’il se sentait le mieux, Lisette étant l’amie d’enfance de Blanche. Elle avait développé une tendresse particulière pour cet homme tout en gentillesse et en fatalité, en hommage à cette belle-sœur que la vie lui avait offerte  le jour de ses dix huit printemps. Depuis, Prosper et Blanche s’étaient conduits en aînés jusqu’au jour de la déchirure qui les surprit en plein bonheur par une rafale assassine.
Richard était prêt à accueillir la divine surprise. La table était mise, le repas jetait une douce odeur d’épices dans la maison, la sonnette fit le silence dans l’appartement. Les enfants se disputèrent le privilège d’ouvrir la porte sur la personne qui allait déclencher le bonheur. Elle apparut, rayonnante dans une superbe robe bleu ciel assortie à son regard azuré. Richard, mit quelques secondes à dénouer les fils de sa raison, les larmes au bord du cœur, il s’approcha de Carmen, encercla son fin visage et contempla le bonheur dans sa plus belle expression. A cet instant, le monde se résumait à ce visage, à ces yeux si joliment maquillés, à ces lèvres dessinées par un peintre de génie que Richard, oublieux des convenances, embrassa longuement, très longuement, sous le regard attendri de la famille partagée entre le rire et les larmes. Après ce doux moment d’éternité, Richard transgressa le silence.
--« Alors là, je comprends plus rien. Je suis complètement largué ! »
--«  Ne t’en fais pas, mon fils ! Avec Carmen, c’est le bonheur qui est rentré dans ta maison. Tout est arrangé ! Ses parents, sa conversion, elle te racontera, tu verras, tu vas pas en revenir. Mais c’est à elle de te raconter tout ça. »
--« Entres ma fille ! »
Richard était sur un nuage. Il avait suffi qu’il aille faire son service militaire en Israël pour que tout ce qui obscurcissait sa vie future s’illumine comme par enchantement, comme par miracle. Il n’était pas loin de croire à une intervention divine tant le changement s’était opéré dans la douceur et surtout sans sa présence à Cannes. Comme si Hachem avait voulu le libérer d’un souci  récurent afin de mieux se consacrer à la mission sacrée de défendre son pays. Les questions lui brulaient les lèvres mais sa mère avait raison, les explications de ce bouleversement revenaient de droit à Carmen. Pour le moment, ses parents, son oncle, son frère, sa petite sœur et sa fleur de Perrégaux étaient sa priorité et les questions fusaient de partout sur Israël, sur l’armée israélienne, sur Netanya, sur son ami Victor, sur son isolement et surtout si son désir de partir de France était toujours d’actualité. Il s’époumona tout au long de l’après midi à vanter ce petit pays qui, à présent, lui collait à la peau, où il avait l’intention de s’installer le service militaire terminé.
--« Vous aimerez ce pays, d’abord parce que c’est le pays de nos ancêtres, ensuite c’est un pays neuf où tout est à faire et là-bas, on se sent chez soi, enfin chez nous. »
 Tout en parlant, il regardait tour à tour sa mère et Carmen, cherchant dans leurs regards un encouragement car il savait que seul l’agrément féminin prévaudrait dans la décision de faire l’alyah de la famille.
Richard raccompagna Carmen, s’isolant des regards indiscrets pour échanger baisers et caresses avec celle qui avait occupé ses pensées jour et nuit. Elle comprit le sacrifice de celui qu’elle aimait tant. Aussi, lors d’un baiser plus appuyé, elle promit
--« Puisque plus rien ne nous en empêche, demain je serai à toi ! j’en ai envie autant que toi. ! »
--«  Cette fois, je suis d’accord à deux cent pour cent ! Et je doute fort que tu en aies envie autant que moi, ça je te l’assure, mon amour. »
Un baiser scella leur accord et le rendez vous pour le lendemain leur parut une éternité.
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Les deux enfants se regardaient, nus dans la pénombre, fourbus de tant de passion, étonnés de tant de plaisir heureux de tant d’amour. Leurs regards riaient du bon tour qu’ils avaient joué à la vie en émancipant leur amour platonique au cours d’une après midi tantôt tumultueuse tantôt câline. Quand ils rejoignirent le reste de la famille pour le diner de shabbat, Carmen s’était maquillée plus que de raison de peur de rougir à la moindre occasion et son regard espiègle évita de croiser celui de Richard plus heureux que jamais.
Tout au long de sa permission, les deux tourtereaux s’en donnèrent à cœur joie, partageant leur temps entre une chambre d’hôtel et la plage, Carmen racontant dans le menu détail le moment délicat où ses parents basculèrent dans son camp, lassés de vaines disputes sur la religion, sur les ancêtres « qui doivent se retourner dans leurs tombes », sur l’abandon des valeurs du catéchisme, sur le judaïsme « que c’est des gens à part». Et surtout sur les cours suivis chez le rabbin Zekri en vue de la conversion.
Richard, visiblement touché par cette nouvelle, questionna Carmen, lui faisant subir un véritable interrogatoire tant il était stupéfait de la détermination de sa belle. Stupéfait et ravi devant ce petit bout de femme qui avait bravé tous les interdits pour surmonter les obstacles que la vie avait dressés devant elle.
Leur entretien avec le rabbin avait dissipé tous les malentendus et l’amour des deux enfants réjouissait tant l’homme de Dieu qu’il avait fixé une date pour la conversion. Les  Solivérès accueillirent à leur table  Richard avec beaucoup de chaleur, comme un membre de la famille qu’il était devenu et Carmen avait arrondi les angles chaque fois que ce fut nécessaire avec une diplomatie de bon aloi.
Le jeune soldat regagna son unité israélienne avec dans le cœur un sentiment partagé entre la joie et le désenchantement. Il suffisait de revoir le visage de sa mère, soucieuse jusqu’à la déraison, la pomme à épingle de son père, le centimètre autour du cou et la craie de tailleur à la main, ses petits frère et sœur toujours aussi adorables, sa famille réunie autour de la table de shabbat et de l’oncle Prosper pour se dire combien était belle la vie agrémentée du sourire, de l’amour et du corps de Carmen pour aussitôt côtoyer le désenchantement de la difficulté de réaliser l’alyah de sa famille. Une famille juive et pied noir certes mais avec des habitudes et des repères bien français, bien établis après un rapatriement ô combien difficile et une adaptation à la vie métropolitaine qui a longtemps désarçonné les plus vieux comme les plus jeunes. Comment les Benaïm allaient appréhender l’idée d’un deuxième rapatriement certes désiré mais rapatriement tout de même avec armes et bagages pour le bonheur de Richard ? Comment sa douce allait trouver les ressources pour abandonner une nouvelle fois son « chez elle » si son mari se décidait à emboiter le pas de son fils ? Richard se posait toutes ces questions alors qu’il avait seulement frôlé le sujet avec son père et son oncle de peur sans doute d’être confronté à une fin de non-recevoir. Mais bien vite, ses pensées glissaient sur Carmen, sa petite fiancée pied noir, qui avait su se rendre indispensable dans son désir de bâtir une vie à deux mais également à maman Benaïm qui ne tarissait pas d’éloges sur sa future belle fille. Aussi, c’est le cœur empli d’amour et de gratitude qu’il s’était rendu à son premier rendez vous d’union absolue avec sa belle. Et à présent, il savait que rien ni personne ne se mettrait en travers de la route fleurie tracée par la belle perrégauloise. Il se remémorait toutes les journées passées à Cannes en famille, à la plage avec son petit frère ou en tête à tête avec Carmen, isolés malgré la multitude, cette béatitude qui s’emparait de son corps allongé auprès de sa sirène, la tête dans les nuages et le cœur bercé par une musique orientale pleurée par le violon de son père et le luth de son oncle, la voix si douce de sa mère et sa propension au mauvais sang telle une seconde nature, la journée passée chez ses futurs beaux parents et l’explication de la cacherout, mille détails sur la vie  d’un couple de religion israélite qu’ils devront côtoyer, inviter et recevoir au sein de leur famille, le baiser du rabbin qui scella le pacte d’amour avec le judaïsme de son couple, et surtout cette découverte du corps superbe de Carmen, promesse de  lendemains qui chantent et de nuits sans sommeil, promesse de bonheur tout simplement.
Même s’il avait connu la chance suprême de revoir ses amis d’Alger Paulo et Jacky débarquer à Cannes la veille de son départ, il regrettait de n’avoir pu leur consacrer que le temps d’une pancha dans la méditerranée, d’un fou rire d’enfance, d’un tape-cinq de connivence. Il leur avait parlé de Victor, l’autre soldat de Tsahal, de leur  projet de s’installer à Netanya après le service, de l’abnégation de Carmen à présent partie intégrante de son avenir, d’Alger  qui était toujours plantée dans son cœur comme une blessure éternelle qui s’estompe occasionnellement mais ne disparaît jamais, de l’amitié de l’enfance qui court dans ses veines mais ne s’épuisera qu’à son souffle dernier.
Le rabbin avait fixé la date de l’examen de la conversion pour la fin d’année, après Yom Kippour. Elle était heureuse, elle avait beau regarder par le petit bout de la lorgnette, tout lui paraissait synonyme de bonheur, de joie, d’allégresse. Aucune n’ombre au tableau, ses parents, ses beaux parents, Richard qu’elle aimait plus que tout, une route dégagée  de tout obstacle et la vie qui attendait  pour l’emporter sur ses grandes ailes vers sa destinée.
Lisette Benaïm aurait pu, avec la superstition judéo-arabe qui l’habitait, ouvrir toute grande sa main en guise de protection :
--« Hou, ma fille, arrête de te mettre les yeux toute seule, va ! »
Mais la jeunesse a le privilège de l’insouciance et Carmen y puisait l’absolue certitude de sa bonne étoile.
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  A SUIVRE...........................

 

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