samedi 6 avril 2013

MARIE TOI DANS TA RUE, MON FILS! de Hubert Zakine


Carmen avait présenté ses parents au rabbin qui n’avait rien caché de la difficulté d’être convertie à la religion juive mais avait précisé que, Carmen était une petite « bien comme il faut » qui avançait sur le chemin d’une conversion réussie. Ce « bien comme il faut » avait fait tiquer papa Solivèrés mais son épouse avait calmé son désir d’en débattre avec le rabbin.
L’entrevue s’était bien passée et avait été très courtoise. Carmen vivait dès lors sur un nuage et la félicité qui se voyait dans son regard azuré trouva son apothéose dans la lettre qu’elle ouvrit au sortir de la synagogue. Richard y décrivait la permission de quinze jours qui lui avait été octroyée et qu’il passerait en France. La joie maquilla son joli minois de larmes et la fontaine qui coula de ses yeux ne cessa d’inonder son visage qu’au moment où son père la prit dans ses bras, troublé par tant de jubilation. Sa fille aimait ce garçon, cette fois il en était sûr.
La maman de Richard n’avait pas encore reçu la lettre lui annonçant sa permission que Carmen lui tendit. Elle la relut  plusieurs fois avant d’embrasser sa future belle fille porteuse de la bonne nouvelle. Déjà, elle songeait aux menus qu’elle offrirait  « aux yeux de ses yeux », des repas à base de plats qu’il adorait et « que le pauvre  y doit en être privé depuis bientôt deux ans». Et des repas  consistants par ce que les cuisiniers de l’armée  « y z’ont pas le temps pour lui faire ce qu’il aime, les pauvres y z’ont pas que lui à contenter, y faut les comprendre. »
Lisette avait le chic, quand l’émotion croisait son chemin, pour répondre aux questions qu’elle se posait. Elle avait ainsi une façon bien à elle d’être toujours d’accord avec elle-même. Carmen s’en amusait car elle savait qu’elle aurait toujours le dernier mot.
Rosette aussi pensait mettre les petits plats dans les grands pour la réception du fiancé de sa fille. Elle posait mille questions sur la façon d’accueillir un juif à déjeuner ou à diner et Carmen se confondait en excuse pour lui  faire comprendre que Richard mangeait  de la viande « cachir » et pas de porc.
--« Mais alors, qu’est ce qu’il mange, que du poisson ? »
--«  Mais non manman ! C’est une  toute autre façon de se nourrir tout simplement ! Je suis en train d’apprendre avec madame Benaïm ! »
--« Alors, tout ce que j’t’ai appris, ça  a servi à rien ! »
--« Mais non maman ! Tu crois que c’est le moment d’en parler maintenant ? »
--« Mais oui ! Y faut qu’je sache comment elle va manger ma fille ! Alors, je pourrais jamais inviter mon gendre ? Tu avoueras que c’est bizarre quand même ! Mais qu’est ce qu’y mangent les juifs ? »
--«  Y mangent des p’tits enfants ! »
--«  C’est ça moques toi de moi ! Mieux, dis que ta mère elle est folle ! »
Carmen prit sa mère dans ses bras et en riant déposa un baiser sonore comme sa grand-mère le faisait quand elle était petite.
--« Tiens je vais chez Mamie ! Pour lui apprendre la bonne nouvelle ! »
--«  Tu manges avec elle ? »
--« Bien sur ! »
 
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Richard avait maigri. C’est ce que sa mère avait vu au premier regard et déjà, le mauvais sang avait pris le pas sur toute autre considération. Son père l’abreuvait de questions « de première nécessité » avant que Carmen et sa femme ne s’emparent de lui pour lui faire passer un interrogatoire en règle.
--« Papa, il faut que tu viennes, tu pourras constater par toi-même que Netanya c’est un petit Alger. C’est une ville israélienne habitée par des pieds noirs. Viens, je te jure, tu tombes amoureux de cette ville. »
--« On a tout le temps d’en parler, mon fils ! Laisses moi te regarder, tu sembles avoir mûri, t’ch’es un homme maintenant! »
Lisette se taisait. Elle écoutait ses deux hommes échanger des banalités, des mots mis les uns après les autres pour en faire des phrases, le temps d’évacuer l’émotion trop présente après deux années de séparation. Elle les voyait parler sans les écouter, appréciant ces instants de tendresse partagée entre un père et son fils, fils prodigue dans la maison de son père, heureuse tout simplement. Richard entra sans la chambre qu’il partageait avec son jeune frère. Il en ressentit une douce quiétude qui baignait l’appartement tout entier, le replongeant dans une enfance trop nostalgique dont il restait des souvenirs éparpillés entre Alger et Cannes.
Lisette et Carmen avaient caché la nouvelle relation qui les réunissait pour le bonheur de Richard. Elles avaient également tu le travail entrepris par Carmen en vue de sa conversion et le feu vert de ses futurs beaux parents. Richard avait téléphoné dés qu’il avait posé le pied à Nice pour lui donner rendez vous le lendemain afin de consacrer sa première journée à sa famille. Elle était heureuse car son premier coup de fil avait été pour elle, cela prouvait s’il en était besoin qu’elle occupait prioritairement les pensées de Richard et que le temps n’avait en rien tamisé le sentiment qui les unissait. Mais il était à mille lieues de se douter que Carmen était attendue pour déjeuner à ses côtés dans la maison de ses parents.
--« Mon fils, fais toi beau parce que ya une surprise à midi ! »
--« Une surprise ? Tata paulette ? Mamie ? Tonton, il est déjà là. »
--« Tu verras, mon fils, tu verras ! »
Richard fronça les sourcils et donna sa langue au chat.
--«  Allez, dis moi ou sinon je repars en Israël. »
Il se fit plus tendre en enlaçant sa douce et lui donna un baiser franc et sonore comme elle le faisait avec ses enfants, grands et petits. C’était une habitude des femmes de la famille Benaïm qui démontraient la force de leur amour par la sonorité de leur affection. Les enfants s’en amusaient sauf ceux qui s’essuyaient le visage pour preuve de leur aversion ou qui se bouchaient les oreilles en tendant la joue.
A SUIVRE..........................

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