Carmen avait présenté ses
parents au rabbin qui n’avait rien caché de la difficulté d’être convertie à la
religion juive mais avait précisé que, Carmen était une petite « bien comme il faut » qui
avançait sur le chemin d’une conversion réussie. Ce « bien comme il faut » avait fait tiquer papa Solivèrés
mais son épouse avait calmé son désir d’en débattre avec le rabbin.
L’entrevue s’était bien passée
et avait été très courtoise. Carmen vivait dès lors sur un nuage et la félicité
qui se voyait dans son regard azuré trouva son apothéose dans la lettre qu’elle
ouvrit au sortir de la synagogue. Richard y décrivait la permission de quinze
jours qui lui avait été octroyée et qu’il passerait en France. La joie maquilla
son joli minois de larmes et la fontaine qui coula de ses yeux ne cessa
d’inonder son visage qu’au moment où son père la prit dans ses bras, troublé
par tant de jubilation. Sa fille aimait ce garçon, cette fois il en était sûr.
La maman de Richard n’avait pas
encore reçu la lettre lui annonçant sa permission que Carmen lui tendit. Elle
la relut plusieurs fois avant
d’embrasser sa future belle fille porteuse de la bonne nouvelle. Déjà, elle
songeait aux menus qu’elle offrirait « aux
yeux de ses yeux », des repas à base de plats qu’il adorait et « que le pauvre y doit en être privé depuis bientôt deux ans».
Et des repas consistants par ce que les
cuisiniers de l’armée « y
z’ont pas le temps pour lui faire ce qu’il aime, les pauvres y z’ont pas que
lui à contenter, y faut les comprendre. »
Lisette avait le chic, quand
l’émotion croisait son chemin, pour répondre aux questions qu’elle se posait.
Elle avait ainsi une façon bien à elle d’être toujours d’accord avec elle-même.
Carmen s’en amusait car elle savait qu’elle aurait toujours le dernier mot.
Rosette aussi pensait mettre les
petits plats dans les grands pour la réception du fiancé de sa fille. Elle
posait mille questions sur la façon d’accueillir un juif à déjeuner ou à diner
et Carmen se confondait en excuse pour lui
faire comprendre que Richard mangeait de la viande
« cachir » et pas de porc.
--« Mais alors, qu’est ce qu’il mange, que du
poisson ? »
--« Mais non manman ! C’est une toute autre façon de se nourrir tout
simplement ! Je suis en train d’apprendre avec madame Benaïm ! »
--« Alors, tout ce que j’t’ai appris, ça a servi à rien ! »
--« Mais non maman ! Tu crois que c’est le moment d’en parler
maintenant ? »
--« Mais oui ! Y faut qu’je sache comment elle va manger ma
fille ! Alors, je pourrais jamais inviter mon gendre ? Tu avoueras
que c’est bizarre quand même ! Mais qu’est ce qu’y mangent les juifs ? »
--« Y mangent des p’tits enfants ! »
--« C’est ça moques toi de moi ! Mieux, dis que ta mère
elle est folle ! »
Carmen prit sa mère dans ses
bras et en riant déposa un baiser sonore comme sa grand-mère le faisait quand
elle était petite.
--« Tiens je vais chez Mamie ! Pour lui apprendre la bonne
nouvelle ! »
--« Tu manges avec elle ? »
--« Bien sur ! »
//////////
Richard avait maigri. C’est ce
que sa mère avait vu au premier regard et déjà, le mauvais sang avait pris le
pas sur toute autre considération. Son père l’abreuvait de questions « de
première nécessité » avant que Carmen et sa femme ne s’emparent de lui pour
lui faire passer un interrogatoire en règle.
--« Papa, il faut que tu viennes, tu pourras constater par
toi-même que Netanya c’est un petit Alger. C’est une ville israélienne habitée
par des pieds noirs. Viens, je te jure, tu tombes amoureux de cette ville. »
--« On a tout le temps d’en parler, mon fils ! Laisses moi te
regarder, tu sembles avoir mûri, t’ch’es un homme maintenant! »
Lisette se taisait. Elle
écoutait ses deux hommes échanger des banalités, des mots mis les uns après les
autres pour en faire des phrases, le temps d’évacuer l’émotion trop présente
après deux années de séparation. Elle les voyait parler sans les écouter,
appréciant ces instants de tendresse partagée entre un père et son fils, fils
prodigue dans la maison de son père, heureuse tout simplement. Richard entra
sans la chambre qu’il partageait avec son jeune frère. Il en ressentit une
douce quiétude qui baignait l’appartement tout entier, le replongeant dans une
enfance trop nostalgique dont il restait des souvenirs éparpillés entre Alger
et Cannes.
Lisette et Carmen avaient caché
la nouvelle relation qui les réunissait pour le bonheur de Richard. Elles
avaient également tu le travail entrepris par Carmen en vue de sa conversion et
le feu vert de ses futurs beaux parents. Richard avait téléphoné dés qu’il
avait posé le pied à Nice pour lui donner rendez vous le lendemain afin de
consacrer sa première journée à sa famille. Elle était heureuse car son premier
coup de fil avait été pour elle, cela prouvait s’il en était besoin qu’elle occupait
prioritairement les pensées de Richard et que le temps n’avait en rien tamisé
le sentiment qui les unissait. Mais il était à mille lieues de se douter que
Carmen était attendue pour déjeuner à ses côtés dans la maison de ses parents.
--« Mon fils, fais toi beau parce que ya une surprise à
midi ! »
--« Une surprise ? Tata
paulette ? Mamie ? Tonton, il est déjà là. »
--« Tu verras, mon fils, tu
verras ! »
Richard
fronça les sourcils et donna sa langue au chat.
--« Allez, dis moi ou sinon je
repars en Israël. »
Il
se fit plus tendre en enlaçant sa douce et lui donna un baiser franc et sonore
comme elle le faisait avec ses enfants, grands et petits. C’était une habitude
des femmes de la famille Benaïm qui démontraient la force de leur amour par la
sonorité de leur affection. Les enfants s’en amusaient sauf ceux qui
s’essuyaient le visage pour preuve de leur aversion ou qui se bouchaient les
oreilles en tendant la joue.
A SUIVRE..........................
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