dimanche 21 avril 2013

LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de hubert zakine


Pourtant, le traité secret était une épine dans le pied dont se serait bien passé DROUET D'ERLON. Léon Juda, au cours de ce premier trimestre 1835, multiplia les aller-retour entre ALGER et MASCARA, jouant les ambassadeurs et les monsieur bons offices, arrondissant les angles entre ABD EL KADER et le Gouverneur.

Pour le malheur du Général DESMICHELS, il apporta, sous forme de deux missives, la preuve matérielle de l'existence du fameux second traité qui, comme l'écrira le Gouverneur au ministre de la Guerre,

" ....renferment des éclaircissements fort étranges et jettent un jour nouveau sur la politique occulte suivie par le Général DESMICHELS  envers l'Emir... "

Les deux lettres, dont l'authenticité fut reconnue par le Capitaine SAINT-HYPPOLITE et sur lesquelles figurait le cachet du Gouverneur d'ORAN, décida DROUET D'ERLON à révoquer le Général DESMICHELS, remplacé aussitôt par le Général TREZEL

 
Sieur DURAND

Lors de ses différents voyages, "oukil" d'ABD EL KADER, ambassadeur des Possessions Françaises par le bon vouloir de son Gouverneur ou guide topographe de l'armée, Léon Juda noua une sérieuse amitié avec son accompagnateur, le Capitaine SAINT-HYPPOLITE qui découvrit, alors, un homme doté d'une personnalité  située aux antipodes des canons de la bienséance parisienne. L'oriental qui lui apprit le pays, ses montagnes et ses chèvres, ses climats et  ses hommes, ses terres arides et ses hospitalités, ses ombres et ses lumières, captiva son attention et captura son estime. Plus tard, il aura l'occasion de chanter ses louanges à des supérieurs qui doutèrent de la parole du "juif DURAN", lui apportant sur un plateau d'argent, le certificat de bonne conduite et de droiture qui le sauvèrent.

Par son dévouement toujours intéressé mais très précieux, par son génie de l'intrigue, par l'intelligence déployée pour déjouer les pièges, Léon Juda BEN DURAN développa une influence quasi illimitée sur le Comte DROUET D'ERLON qui lui témoigna une confiance aveugle. Au point d'attiser bien des jalousies de la part des dignitaires du régime qui s'indignaient devant le spectacle offert par Léon Juda, se pavanant dans la calèche officielle du Gouverneur. En fait, Léon Juda était devenu en quelques mois, le conseiller intime du Gouverneur Général des Possessions Françaises d'AFRIQUE DU NORD.

Et l'homme fort du pays ne s'en cachait nullement. Bien au contraire, dans ses échanges de courrier, il insistait toujours sur le rôle prépondérant et désintéressé de son ambassadeur israélite. Ainsi, dans une lettre au Ministre de la guerre, il écrivait le 12 Mars 1835 :

"...cette pièce importante de la mission confiée au juif DURAN dont il s'est acquittée à ma satisfaction m'ont enfin mis à même de me former des idées plus justes sur l'état de nos affaires...."

A DURAN, lui même, le 24 Février 1835 :

" j'ai reçu vos importantes dépêches du 6 et 7 Février. Je ne peux que vous témoigner ma satisfaction sur les bons services que vous avez rendus, dans la mission que je vous avais confiée, à la FRANCE et à l'EMIR.."

Léon Juda était un homme habile, adroit et clairvoyant. Il additionnait les qualités et les défauts que l'on prête volontiers à l'oriental. Vénal et menteur lorsque la cause à défendre l'exigeait, il ne s'embarrassait d'aucun scrupule. Seul le résultat importait. Il était l'archétype du juif algérien, la synthèse de l'intermédiaire israélite façonné, non par la main de Dieu, mais par l'exigence du pouvoir ottoman et la dure condition de "dhimmi" qui emprisonnait toute ambition. Face à l'équation proposée par le Dey d'EL DJEZAÏR qui voulait qu'un juif, fût-il notable, devait servir la Régence ou mourir, Léon Juda avait été élevé par son père selon le principe élémentaire de la survie et du profit. Doté d'une belle prestance et d'une apparente bonhomie qui charmait son entourage, il savait tirer son épingle d'un jeu dont il s'ingéniait, parfois, à embrouiller les cartes afin de se voir désigner par les protagonistes, comme ultime recours. 

"Oukil" d'ABD EL KADER et ambassadeur de DROUET D'ERLON, il pouvait se prévaloir d'une certaine ascendance sur les deux principaux acteurs du conflit armé entre la FRANCE et les Arabes.

Le crédit accordé à Léon Juda par le Gouverneur atteignit de tels sommets qu'il influença, à plus d'un titre, sa politique africaine. Ce privilège dont il bénéficiait, agaçait souverainement les ennemis du vieux Général qui n'en avait cure, tant les conseils du "juif DURAN" sur l'attitude à adopter envers l'Emir des arabes, lui paraissaient judicieux.

Pourtant, Léon Juda maniait l'art de la dissimulation et de la roublardise avec talent et discernement. A DROUET D'ERLON, il exagéra la puissance militaire des tribus d'ABD EL KADER car il savait la FRANCE peu désireuse d'entreprendre une expédition longue et coûteuse.

Au Seigneur de la GUETNA qu'il rejoignit, à MEDEA, en compagnie du Capitaine SAINT-HYPPOLITE, il se fit l'avocat du Gouverneur et poussa son ami musulman, à conclure un nouveau pacte, plus avantageux pour la FRANCE, en remplacement du second traité DESMICHELS.

Intelligent, Léon Juda l'était indéniablement. Sur la route de MEDEA, il sonda la population de MASCARA puis de MILIANA. Les tribus, reconnaissantes, chantaient les louanges de l'Emir des arabes pour avoir assuré la sécurité des routes en battant BEN MOUSSA à la tête de ses quatre mille cavaliers. Aussi, devant ce plébiscite spontané, rédigea t-il, lui même, un projet de traité en dix points profitable à l'Emir, qui cantonnerait les français dans quatre villes, ALGER, ORAN, MOSTAGANEM et ARZEW. Après avoir pris connaissance de ce texte, ABD EL KADER le parapha, offrant l'image d'un homme de paix et de conciliation entr'aperçue lors du traité DESMICHELS.

Le 5 Avril 1835, le Gouverneur Général des Possessions Françaises d'Afrique du Nord nomma Léon Juda membre du premier conseil municipal d'ALGER, puis adjoint de Mairie, chargé des Affaires Israélites. Cette dernière distinction remplaçait, en fait, la fonction de Chef de la Nation Israélite qui fut dévolue, à partir de ce jour, à la personnalité juive la plus en vue à la Mairie d'ALGER.

Cette nomination fut accompagnée d'une proposition des autorités françaises visant, pour "commodités administratives", à modifier le patronyme de Léon Juda qui eût tôt fait d'entériner ce choix lui ouvrant, sinon la porte, du moins, l'antichambre de la nationalité française. Ainsi, "Sieur DURAND"  remplaça "juif DURAN" sur tous les documents officiels des Possessions Françaises d'Afrique du Nord

Période faste pour Léon Juda BEN DURAN "Sieur DURAND" qui monopolisa le commerce d'ABD EL KADER via l'ESPAGNE, tout en exploitant les salines d'ARZEW et en vendant armes et munitions aux tribus fidèles pour en tirer de substantiels bénéfices. Par ailleurs, sa parfaite connaissance du pays le désigna au Gouverneur pour accompagner le Capitaine SAINT-HIPPOLYTE, topographe de l'armée. Lors de ses incessants voyages entre l'Algérois et l'Oranie, pour DROUET D'ERLON ou le Prince des croyants, pour la politique ou le commerce, "Sieur DURAND" se lia d'amitié avec le militaire français.

Et, personne ne s'étonna de la flatteuse réputation, répandue dans les allées du pouvoir, par le Capitaine sur la personne de son ami juif.
 
A SUIVRE......................

 

                                 

 

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