samedi 23 mars 2013

TCHALEFS D'UN ENFANT DE BAB EL OUED de Hubert Zakine


LE POIVRON VOYAGEUR

 
Le stade de Saint Eugène, il était plein comme un œuf. Le SCBA auréolé de son titre de champion de France groupe Algérie, y venait défier l’ASSE ;  la rivalité Algéro-Oranaise dans toute sa splendeur.

Chauvinisme toutes voiles dehors, les supporters algérois y promettaient la tannée à ces prétentieux de bel abbésiens qui se pavanaient en tête du classement. 

Ma tante, pleine de sollicitude comme toutes les femmes de chez nous, elle avait préparé de ces sandwiches pour morfals, j’vous dis pas ! Des uns à la tchouktchouka, des autres au poivron à l’huile ou à la soubressade.  Et en avant nous autres en direction du stade que déjà il était noir de monde

Quand on s’est assis à notre place habituelle, la recommandation de la politesse elle nous a sauté aux yeux : « Insulter l’arbitre, c’est facile. Le remplacer, plus difficile ! » L’air de dire, mieux vous vous tenez à carreau !

Les deux équipes elles entrent sur le terrain et déjà, la colique on attrape. C’est que les Bel Abbésiens y courent comme des lapins. Mon oncle, chaque fois que le danger y se fait plus pressant, y se contorsionne comme si il avait envie de faire pipi. En plus, y me donne des coups de coude dans les bras, ça fait un mal, j’vous dis pas ! On encourage les algérois mais la vérité, y sont forts ces oranais fartasse. Y faut dire que la plupart y sont légionnaires. Alors, c’est normal qui sont allés chez le coiffeur pour se faire une coupe à la bol de loubia !

Et puis, soudain, Pappalardo y prend le ballon à son défenseur, il lui fait un coup de sminfin couffin, y centre et Guaracino  y fait une olive à James, le goal bel Abessien et y marque.

L’ardjeb ! Je vous dis pas ! « Il y est ! » même qu’à Alger ça devenait « illié !illié !illié ! »

La foule, comme un seul homme, elle confirme « illié, illié, illié ! » des fois que l’arbitre au béret noir, Janvier Atanasio, y serait laouère.

Mon oncle, au bord de l’apoplexie, y frôle la crise cardiaque ; son chapeau y a longtemps qu’il a pris son envol ; à savoir où on va le retrouver ! Tout y jette en l’air !

Et c’est à ce moment là, que dans un somptueux élan de fraternité, y se jette dans les bras de  ses voisins comme si c’était des copains de régiment. Seulement voilà, sa joie, elle est pas assez contenue et le contenu de la cabassette y s’envole. Les sandwiches à la soubressade, au poivron et à la tchouktchouka aussi.

La veste en daim d’un supporter situé devant mon oncle, elle se prend pour un aérodrome ; un poivron plein d’huile, il atterrit sur l’épaule du pauvre St Eugénois. Tonton Léon, (c’est mon oncle), y devient vert comme le poivron ; Raïeb, tonton ! La mine déconfite, y  tape sur l’épaule de son infortuné voisin. Nous autres les enfants, on se fait du mauvais sang ! On sait pas si notre oncle il est fort à la bagarre. Alphonse Halimi, avant d’être champion du monde de boxe, il était bien apprenti tailleur chez mon oncle, mais la vérité, on sait pas si tonton, il a été apprenti boxeur chez Alphonse Halimi. En désespoir de cause, tonton Léon y montre à son voisin le poivron posé sur son épaule et alors, le miracle du football y s’accomplit : le supporter il a pris le dessus sur le mari qui va devoir se prendre l’engueulade de son épouse sitôt rentré à la maison.  Y prend le poivron et sous les regards médusés de l’entourage hilare, y se l’avale en deux temps, trois mouvements  puis y lâche dans un grand éclat de rire :

--« Putain qu’ils sont bons ces poivrons ! »

Dans l’hilarité générale, tonton Léon y range ses gants de boxe et y réplique avec son sens de l’humour pied noir qui le caractérise :   « Dimanche prochain, sur ma vie, un bocal entier je vous apporte! » Et un sonore tape-cinq y scelle l’accord des deux Saint-Eugénois.

 
FIN

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