Alger l'européenne
ALGER ouvrait ses entrailles
à une urbanisation débridée. Le tracé d'une route reliant le faubourg BAB AZOUN
au FORT L'EMPEREUR, telle une longue cicatrice, écarta la campagne algéroise,
déboisée sur un kilomètre. En ville, l'édification de l'esplanade de BAB EL
OUED obligea le génie à raser un ancien cimetière musulman, réduisant à néant
les efforts des bureaux arabes chargés, sous la direction du capitaine JUCHAUT
DE LA MORICIERE, de gérer les besoins des indigènes tout en s'attirant leurs
bonnes grâces.
Par ailleurs, une faune
cosmopolite envahissait la ville, maquillant son visage de sang et de larmes.
Le couteau facile, le mauvais garçon espagnol, italien, maltais, mahonnais,
sarde ou sicilien se livraient une guerre sans merci pour s'imposer dans ce
monde sans pitié. La loi du plus fort régnait en maîtresse absolue à tous les
coins de rue. Le faible héritait du travail le moins bien rémunéré et le plus
ardu. Les soldats profitaient des privilèges d'une armée conquérante, recevant
les hommages des femmes débarquées de FRANCE pour emplir les maisons closes de
la "kasbah".
La rue de la Marine devint
une artère très visitée, très chic et très mondaine. On s'y retrouvait entre
dames élégantes pour parler des dernières nouveautés arrivées de PARIS le matin
même, à bord de la frégate italienne " SANTA ROSA".
Les concerts animèrent tous
les après-midi d'été sur les places ensoleillées. La Place du Cheval devînt le
lieu de rassemblement d'une foule bigarrée qui changeait la physionomie du paysage
familier de Léon Juda.
Le café maure se cantonnait
dans la haute ville où l'on se rendait pour des trafics inavouables. Les
gargotes françaises, les tripots
napolitains, les "clubs" espagnols s'ouvraient à la nostalgie d'un
pays en partance pour le voyage de l'oubli. Les magasins s'allumaient
d'enseignes françaises empruntées à la conquête: "Au bon zouave",
" la mascotte" ," le petit duc", "le bazar du
soldat", " le petit caporal". Les hôtels borgnes disparaissaient
au profit d'établissements rénovés qui accueillaient les hommes d'affaires.
Comme il fallait nourrir toutes les bouches, il se créa un grand nombre de
lieux de restauration, pour la plupart tenus par des français de souche. La "kasbah",
devenue centre privilégié de touristes en goguette, se transfigura en
un gigantesque capharnaüm où tout s'achetait et se vendait. Chaque visiteur
rapportait de cet univers fascinant, le témoignage d'une aventure qu'il
racontera mille fois à son retour, en n'omettant, surtout pas, d'agrémenter son
récit de mille dangers surmontés grâce à une folle bravoure.
Les autochtones, juifs ou
musulmans, voyaient ce monde parallèle vivre en intrus sur cette terre
d'Afrique dont il ignorait tout. Un paternalisme de bon aloi en bandoulière, le
brave touriste en était la plupart du temps pour ses frais. Dévalisé par
quelque brigand ou arnaqué par quelque commerçant, il reprenait le bateau ivre
d'exotisme, le coeur empli de souvenirs mais les poches désenchantées.
--" Le temps est venu de regarder au dehors! Vos
frères des autres lieux de prières sortent de leurs maisons vêtus à la juive, à
l'européenne ou à l'oriental, selon leur bon vouloir. Ils ne baissent plus les
yeux en croisant un arabe; ils ont les mêmes droits que tous les habitants de
ce pays! Grâce à la FRANCE! A vous de prendre le relais. Sortez de vos maisons,
sortez de la hara, sortez de l'ombre et allez vers la lumière! Il est temps de
vous dégourdir les jambes! "
Léon Juda agissait comme il
l'avait toujours fait. Encourageant la francisation au nom de la liberté pour
son peuple, il oeuvrait parallèlement pour la reconnaissance par les autorités
françaises de sa participation à la conquête des coeurs, espèrant pour plus
tard la récompense de ses efforts. Courant deux lièvres à la fois, il savait
travailler pour la bonne cause et le bon profit.
Les allées du pouvoir
français différaient de celles de l'empire ottoman. A l'aise comme un poisson
dans l'eau dans les couloirs de l'intrigue, il connaîtra l'apothéose de la
considération et l'apogée de son influence avec la nomination du comte DROUET
D'ERLON au poste de Gouverneur Général Des Possessions Françaises d' Afrique Du
Nord.
A SUIVRE...........................
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