samedi 30 mars 2013

LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de Hubert Zakine

Alger l'européenne

 
ALGER ouvrait ses entrailles à une urbanisation débridée. Le tracé d'une route reliant le faubourg BAB AZOUN au FORT L'EMPEREUR, telle une longue cicatrice, écarta la campagne algéroise, déboisée sur un kilomètre. En ville, l'édification de l'esplanade de BAB EL OUED obligea le génie à raser un ancien cimetière musulman, réduisant à néant les efforts des bureaux arabes chargés, sous la direction du capitaine JUCHAUT DE LA MORICIERE, de gérer les besoins des indigènes tout en s'attirant leurs bonnes grâces.

Par ailleurs, une faune cosmopolite envahissait la ville, maquillant son visage de sang et de larmes. Le couteau facile, le mauvais garçon espagnol, italien, maltais, mahonnais, sarde ou sicilien se livraient une guerre sans merci pour s'imposer dans ce monde sans pitié. La loi du plus fort régnait en maîtresse absolue à tous les coins de rue. Le faible héritait du travail le moins bien rémunéré et le plus ardu. Les soldats profitaient des privilèges d'une armée conquérante, recevant les hommages des femmes débarquées de FRANCE pour emplir les maisons closes de la "kasbah".

La rue de la Marine devint une artère très visitée, très chic et très mondaine. On s'y retrouvait entre dames élégantes pour parler des dernières nouveautés arrivées de PARIS le matin même, à bord de la frégate italienne " SANTA ROSA".

Les concerts animèrent tous les après-midi d'été sur les places ensoleillées. La Place du Cheval devînt le lieu de rassemblement d'une foule bigarrée qui changeait la physionomie du paysage familier de Léon Juda.

Le café maure se cantonnait dans la haute ville où l'on se rendait pour des trafics inavouables. Les gargotes françaises, les  tripots napolitains, les "clubs" espagnols s'ouvraient à la nostalgie d'un pays en partance pour le voyage de l'oubli. Les magasins s'allumaient d'enseignes françaises empruntées à la conquête: "Au bon zouave", " la mascotte" ," le petit duc", "le bazar du soldat", " le petit caporal". Les hôtels borgnes disparaissaient au profit d'établissements rénovés qui accueillaient les hommes d'affaires. Comme il fallait nourrir toutes les bouches, il se créa un grand nombre de lieux de restauration, pour la plupart tenus par des français de souche. La "kasbah", devenue centre privilégié de touristes en goguette, se transfigura en un gigantesque capharnaüm où tout s'achetait et se vendait. Chaque visiteur rapportait de cet univers fascinant, le témoignage d'une aventure qu'il racontera mille fois à son retour, en n'omettant, surtout pas, d'agrémenter son récit de mille dangers surmontés grâce à une folle bravoure.

Les autochtones, juifs ou musulmans, voyaient ce monde parallèle vivre en intrus sur cette terre d'Afrique dont il ignorait tout. Un paternalisme de bon aloi en bandoulière, le brave touriste en était la plupart du temps pour ses frais. Dévalisé par quelque brigand ou arnaqué par quelque commerçant, il reprenait le bateau ivre d'exotisme, le coeur empli de souvenirs mais les poches désenchantées. 

 YYY

 Les notables israélites s'étonnèrent du manque d'empressement de la communauté de la "hara" à sortir du ghetto dans lequel les avaient enfermées les règles concentrationnaires du pouvoir ottoman. A présent, les hommes jouissaient du droit de marcher tête nue, vêtus de pied en cape selon leur bon vouloir, saluaient qui bon leur semblait sans encourir la moindre punition, la moindre vexation. Mais cette liberté de jugement, de pensée et d'action semblait une cerise sur le gâteau de la conquête, si facile d'accès mais trop belle pour l'abîmer en la touchant. Et ces hommes et ces femmes, habitués à ne vivre que par procuration, n'osaient prendre l'initiative d'une démarche vers la lumière de l'émancipation française. Ce rôle échut à la bourgeoisie de la communauté et Léon Juda entendait bien remplir sa mission en exhortant ses coreligionnaires à entreprendre l'indispensable conversion des esprits. Pour cela, il obtînt, grâce à l'appui des rabbins, l'autorisation d'effectuer une campagne d'information au sein des synagogues de la "hara" qui en comptait trois.

--" Le temps est venu de regarder au dehors! Vos frères des autres lieux de prières sortent de leurs maisons vêtus à la juive, à l'européenne ou à l'oriental, selon leur bon vouloir. Ils ne baissent plus les yeux en croisant un arabe; ils ont les mêmes droits que tous les habitants de ce pays! Grâce à la FRANCE! A vous de prendre le relais. Sortez de vos maisons, sortez de la hara, sortez de l'ombre et allez vers la lumière! Il est temps de vous dégourdir les jambes! "

Léon Juda agissait comme il l'avait toujours fait. Encourageant la francisation au nom de la liberté pour son peuple, il oeuvrait parallèlement pour la reconnaissance par les autorités françaises de sa participation à la conquête des coeurs, espèrant pour plus tard la récompense de ses efforts. Courant deux lièvres à la fois, il savait travailler pour la bonne cause et le bon profit.
 
L'aîné des DURAN, Chef de la Nation Juive et "oukil" d'ABD EL KADER à ALGER, rendit compte journellement des instructions de l'EMIR au commandant en chef, le Général VOIROL. Lors de ses allées et venues répétées à la "cassaubah", il se familiarisa avec la mentalité française, les intrigues de palais, plus fines et plus sournoises que les luttes ouvertement déclarées qui étaient le lot quotidien des grands marchands israélites et arabes. Il noua des liens étroits avec certains dignitaires et fonctionnaires proches du pouvoir en leur rendant de menus services. Auprès de cette caste qui désirait connaître tous les secrets de la vie algéroise, il devint la courroie de transmission, le guide à consulter, le négociateur privilégié, l'Indispensable. Ces hommes influents lui seront d'un précieux concours et de redoutables chargés d'affaires lors des ouvertures de gros marchés commerciaux qu'ils feront voter en sa faveur.
Les allées du pouvoir français différaient de celles de l'empire ottoman. A l'aise comme un poisson dans l'eau dans les couloirs de l'intrigue, il connaîtra l'apothéose de la considération et l'apogée de son influence avec la nomination du comte DROUET D'ERLON au poste de Gouverneur Général Des Possessions Françaises d' Afrique Du Nord.  
A SUIVRE...........................

 

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