samedi 9 mars 2013

LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de hubert zakine


Le printemps s'acheva comme il avait commencé. Le mauvais oeil frappa à la porte la Maison DURAN. La petite mémé partit au pays du sommeil éternel rejoindre sa fille bien-aimée, plongeant Léon Juda dans un abîme de solitude et de chagrin malgré l'amour de Nedjemah. Mémoire d'un passé inconnu raconté les soirs d'hiver, dernier témoin d'une enfance miraculeuse, partenaire d'une vie d'adolescence bercée de récits millénaires, la petite mémé emporta avec elle les derniers vestiges d'un monde judéo-arabe disparu à jamais. Sa gentillesse légendaire qui la poussait à offrir à tous les malheureux de passage la part du pauvre, sa douce inquiétude pour ses enfants et ses petits enfants, son dernier regard sur le sommeil de sa famille avant d'aller se coucher, ses silences parfumés de tendresse, lorsque attentive, elle écoutait la vie de sa maison, sa cuisine aux milles saveurs orientales empruntées à la nuit des temps, ses chagrins retenus pour consoler la tristesse, tout disparaissait avec elle. Après les obsèques de la petite mémé dans le vieux cimetière juif de la porte BAB EL OUED où reposaient  Aïcha BIBAS et David DURAN, Léon Juda et Haïm  reprirent la route de MASCARA.
 
                                                          
Le réseau commercial mis en place par les deux frères durant les années fastes souffrait de la guerre en Oranie qui se transformait en un immense champ de bataille. L'Emir ABD EL KADER se battait sur deux terrains minés. Les tribus hostiles menaient la vie dure à son prestige naissant en commettant de nombreux actes de vandalisme et d'assassinat sur les caravaniers qui alimentaient les régions de l'Ouest. D'autre part, l'armée française, sous les ordres du Général DESMICHELS qui succéda le 23 avril 1833 au Général BOYER surnommé "Pierre Le Cruel", résistait aux coups de boutoir des troupes du Sultan des Arabes devant ORAN assiégée.
De son côté, MAHI ED DINE s'informait auprès de Léon Juda des menées de son fils contre l'armée française. Mais, malade, le vieux Marabout de la GUETNA savait que le royaume d'ALLAH l'aspirait inexorablement loin des hommes et des choses de la guerre. En ces instants de détachement suprême, Il trouva, néanmoins, un grand réconfort aux côtés de ce juif envers lequel il avait développé une grande affection.
En juillet, ABD EL KADER reprit la route de MASCARA. Il y apprit le décès de son père par la bouche de  Léon Juda, venu précipitamment à sa rencontre, qui l'assura d'un départ paisible et sans souffrance, sa main serrant celle du vieux marabout. Un geste qui lui vaudra la reconnaissance d'ABD EL KADER tout au long de sa vie.
Sous l' "outak" à l'entêtante odeur de peaux de bêtes et d'encens qui laissait échapper du "kanoun" des aiguilles de fumée âcre, l'Emir des Arabes posa un instant ses certitudes et ses colères pour n'être plus qu'un fils éploré. Léon Juda respecta la douleur de son ami seul avec lui sous la tente. Il savait. Il n'oubliait pas que nulle consolation d'autrui ne tamisait le chagrin et que nulle présence, en ces instants de deuil, n'adoucissait la solitude. Il accompagna, néanmoins, son ami dans la maison familiale de la GUETNA, la discrétion en bandoulière et l'attention prévenante en paravent. 
ABD EL KADER parla toute la nuit à ce juif qui fût, longtemps, le principal sujet de conversation de MAHI ED DINE et de son fils lors des longues soirées d'apprentissage des choses de la vie. Ce juif,dont le désir de savoir était cité en exemple par le vieux "marabout", avait su conquérir le coeur de ce saint homme et par ricochet, celui d'ABD EL KADER                                                    
 
Le traité DESMICHELS
Le Général DESMICHELS et ABD EL KADER se livraient une guerre sans merci. Solidement retranchés à ORAN, les forces françaises subissaient les assauts incessants de dix mille cavaliers du Prince des Croyants mais, non contents de résister admirablement, passèrent à l'attaque, surprenant plus d'une fois la logistique des Arabes. Ces assauts répétés durèrent trois mois, du 31 août- au 11 novembre, sans se révéler décisifs. C'est alors que l'idée de négociations de paix germa dans certains esprits éclairés.
Léon Juda voyait la paix française comme la seule issue possible. Depuis la conquête, et bien avant qu'elle ne fût consacrée, il avait encouragé ses coreligionnaires à emboîter le pas de la FRANCE et à revêtir l'habit tricolore tout en oeuvrant pour le bien-être des peuples de son pays avec la liberté de culte en fer de lance. Il fut l'objet de bien des inimitiés pour avoir défendu cette position mais ses convictions demeurèrent inébranlables. Aussi, lorsque ABD EL KADER le fît mander pour traduire une missive adressée par le Général DESMICHELS qui invoquait "un traité solennel et sacré....... entre deux peuples destinés par la providence à vivre sous la même domination.", il ne pût s'empêcher d'en énumérer les avantages pour l'Emir des Arabes.                                                                                                                                                  
--" Seigneur, mon ami! La FRANCE implore la paix. Le Grand Général ne parle pas en son nom mais au nom de son Roi. Lors des précédents courriers, tu as imposé ton autorité. A présent, impose ta sagesse! "
--"Les Français sont de mauvais croyants. Je veux faire sortir ce Général d'ORAN! Et alors nous verrons qui de nous deux restera le maître du pays!." rétorqua ABD EL KADER en proie à un violent courroux. Léon Juda avait connu le fils de MAHI ED DINE avant de connaître l'Emir des Arabes. Il savait. Il désirait parler à cet homme épris d'ALLAH et non pas à ce guerrier parfois sanguinaire. Il voulait toucher le coeur et l'âme du musulman, intelligent et absolu dans sa quête de DIEU. Il tentait, en mesurant l'immensité de la tâche, d'intercéder en faveur d'un rapprochement avec la FRANCE. N'oubliant jamais, au passage, qu'un traité de paix ouvrirait à nouveau l'Ouest aux transactions commerciales devenues inexistantes depuis le blocus d'ORAN  et, bien évidemment, inonder de marchandises une région exsangue.          --"La FRANCE est une grande nation qui reconnaît en toi un grand chef de guerre. Les tribus qui te sont hostiles seront impressionnées par cette marque de respect que représente cette offre de paix. Quant à celles qui refuseront de se soumettre, tu les feras plier grâce aux armes que tu exigeras des français pour signer ce traité. Que les conseils d'ALLAH éclairent ton esprit et animent tes actes!". Le 26 février 1834, le traité est co-signé par ABD EL KADER et le Général DESMICHELS, les paragraphes principaux concernant la fin des hostilités, la liberté de culte, la libération des prisonniers, la reprise des transactions commerciales et l'ouverture des routes par la délivrance d'un sauf-conduit conjointement paraphé par les deux co-signataires du traité.
Dans un souci de meilleure compréhension des mentalités, un échange de consuls suivit l'accord de paix. Ainsi, Léon Juda BEN DURAN, "oukil " du Prince des Croyants regagna ALGER, devenant l'oreille et les yeux d'ABD EL KADER auprès des autorités françaises.
Le Général DESMICHELS pensait avoir obtenu la paix avec ABD EL KADER qui lui apparaissait comme l'allié privilégié et naturel de son pays par l'influence déployée sur les tribus de l'Oranie. Le traité octroyait à l'Emir le libre accès aux villes administrées par la FRANCE afin de s'approvisionner en vivres, armes et munitions. En échange, il l'engageait à assurer la sécurité sur ses territoires.
Le port d'ARZEW, plaque tournante du commerce de l'Ouest, fut également concédé, par un traité secret, au Sultan des Arabes qui nomma Léon Juda administrateur de ses biens. Cette clause rédigée en arabe, portant le sceau du Général mais non sa signature, semblait faire la preuve de l'empressement de DESMICHELS à conclure un accord de paix avec ABD EL KADER peu conforme aux désirs du gouvernement français. En effet, le Sultan recevait de plein droit le monopole des marchés commerciaux et, particulièrement, de l'exportation des grains qui transitaient par le port d'ARZEW, contrairement à une ordonnance de juillet 1832 sur la libre concurrence. L'aîné des DURAN cumula ses activités avec bonheur. Il dirigea le négoce entre ALGER et ORAN, se faisant l'avocat des volontés du Prince des croyants auprès des Français, chargeant son frère, HAÏM, de la bonne marche des affaires d'ARZEW, se montrant à son avantage dans les transactions, parfois vives, avec les intermédiaires du pouvoir.
Par ailleurs, le temps était venu d'établir un premier bilan de la scolarisation des enfants juifs dans les établissements français de GENTY DE BUSSY. Toutes les analyses démontrèrent, de façon irréfutable, l'aptitude de ces élèves à appréhender l'enseignement du savoir de FRANCE tout en respectant la loi de MOÏSE .
Ce premier pas vers la francisation de l'élite juive fut reçu par les autorités civiles comme la preuve évidente de la bonne volonté de la communauté israélite. Mais la bourgeoisie musulmane, enfermée dans le carcan des croyances religieuses et des luttes intestines, demeurait une énigme et refusait toute compromission avec l'infidèle
A SUIVRE........................
 



 
 
                                            

 

 

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