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Les Arabes vus
par Iben Khaldoune
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La moqaddima de
Iben Khaldoune
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Né à Tunis, Ibn Khaldoun, en arabe ابن خلدون, est un historien, philosophe, diplomate et homme politique
En raison de leur nature sauvage, les
arabes sont des pillards et des destructeurs. Ils pillent tout ce qu'ils
trouvent sans combattre ou sans s'exposer. Puis ils se replient sur leurs
pâturages au désert. Ils n'attaquent ou ne combattent que pour se défendre. Ils
préfèrent éviter les forteresses ou les positions difficiles: ils ne les
attaquent pas. Les tribus que protègent d'inaccessibles montagnes sont à l'abri
de la malfaisance et des déprédations des Arabes. Ceux-ci ne franchiront pas de
collines ou ne prendront pas de risque pour aller chercher les montagnards.
Au contraire, les plaines sont livrées à leur pillage et en proie à leur avidité, si leur dynastie est faible ou qu'elles n'aient pas de troupes pour les défendre. Alors- les Arabes y fond des incursions, des pillages, des attaques répétées, parce qu'il s'agit de territoires accessibles. Les habitants peuvent succomber et devenir les jouets des changements de pouvoir, jusqu'à ce que leur civilisation disparaisse. Dieu est tout puissant!
Les Arabes sont une
nation sauvage (umma washiyya), aux habitudes de sauvagerie invétérées. La
sauvagerie est devenue leur caractère et leur nature. Ils s'y complaisent, parce
qu'elle signifie qu'ils sont affranchis de toute autorité et de toute soumission
au pouvoir. Mais cette attitude naturelle est incompatible (mund-fiya) et en
contradiction (munâqida) avec la civilisation ('ùmrân). Toutes les habitudes des
Arabes les conduisent au nomadisme et au déplacement. Or, c'est là l'antithèse
et la négation de la sédentarisation (maskûn), qui produit la civilisation. Par
exemple: les Arabes ont besoin de pierres pour leurs foyers et leur cuisine -ils
les prennent aux maisons, qu'ils détruisent dans ce but. Ils ont besoin de bois
pour leurs tentes, pour les étayer et en faire des piquets: ils abattent les
toits, pour en tirer le bois dans ce but. La véritable nature de leur existence
est la négation de la construction (binâ'), qui est le fondement de la
civilisation. Tel est, généralement, leur cas. De plus, c'est leur nature de
piller autrui. Ils trouvent leur pain quotidien à l'ombre de leurs lances
(rizqu- hum fi zilâl rimâ-i-him). Rien ne les arrête pour prendre le bien
d'autrui.
Que leurs yeux tombent
sur n'importe quel bien, mobilier ou ustensile, et ils s'en emparent. S'ils
arrivent à la domination et au pouvoir royal, ils pillent tout à leur aise. Il
n'y a plus rien pour protéger la propriété et la civilisation est détruite.
D'autre part, étant donné qu'ils font travailler de force les artisans et les ouvriers, le travail leur parait sans valeur et ils refusent de le payer. Or, comme on le verra plus loin, le travail est le fondement du profit (al- a'mâl, aslu I-makâsib). Si le travail n'est pas apprécié, s'il est fait pour rien, l'espoir de profit disparaît, et le travail n'est pas productif. Les sédentaires se dispersent et la civilisation décline. Autre chose encore : les Arabes ne portent aucun intérêt ('inâya) aux lois (ahkâm). Ils ne cherchent pas à dissuader les malfaiteurs ou à assurer l'ordre public. Ils ne s'intéressent (hammu-hum) qu'à ce qu'ils peuvent soustraire aux autres, sous forme de butin ou d'impôt. Quand ils ont obtenu cela, ils ne s'occupent ni de prendre soin des gens, ni de suivre leurs intérêts, ni de les forcer à se bien conduire. Ils lèvent des amendes sur les propriétés, pour en tirer quelque avantage, quelque taxe, quelque profit. Telle est leur habitude. Mais elle n'aide pas à prévenir les méfaits ou à dissuader les malfaiteurs. Au contraire, le nombre en augmente: comparée au bénéfice du crime, la perte représentée par l'amende est insignifiante. En régime arabe, les sujets vivent sans lois, dans l'anarchie (fawda). L'anarchie détruit l'humanité et ruine la civilisation. En effet, le pouvoir royal tient à une qualité naturelle de l'homme. C'est lui qui garantit l'existence des hommes et leur vie sociale (ijtimâ'). On a déjà vu cela au début du chapitre.
Et puis, tout Arabe
veut être le chef : Aucun ne veut s'effacer devant un autre, fût-il son père,
son frère ou l'aîné de sa famille. Il ne s'y résout que rarement, et parce qu'on
lui fait honte (-ayâ'). Aussi y a-t-il, chez eux, beaucoup de chefs et de
princes, et les sujets doivent-ils obéir à plusieurs maîtres - pour les impôts
et pour les lois. C'est ainsi que la civilisation décline et disparaît.
'Abd-al-Malik reçut un jour une délégation arabe. Il questionna un nomade
(a'rabî) sur (le gouverneur) AIhajjâj, en escomptant en entendre un éloge pour
sa façon de commander et son oeuvre civilisatrice. Mais l'Arabe répondit : "
Quand je l'ai quitté, il était injuste tout seul! " On remarquera que la
civilisation s'est toujours effondrée avec la poussée de la conquête arabe : les
établissements se sont dépeuplés et la terre devint toute autre que la terre
(tabaddalati l-ard ghayra l-ard). Le Yémen, où vivent les Arabes, est en ruine,
à part quelques villes. La civilisation persane en Iraq est complètement ruinée.
Il en est de même, aujourd'hui, en Syrie. Quand les Hilâliens et les Banû Sulaym
ont poussé jusqu'à la Tunisie et au Maroc, au début du Xie siècle, et qu'ils s'y
sont débattus pendant 350 ans, ils ont fini par s'y fixer et les plaines en ont
été dévastées. Autrefois, toute la région entre la Méditerranée et le Soudan
était peuplée, comme le montrent les vestiges de civilisation, tels que
monuments, sculptures monumentales, ruines de villages et d'agglomérations. "
Dieu hérite la terre et tout ce qui vit sur elle. Il est le meilleur héritier "
(XXI, 89).
En effet, en raison de
leur sauvagerie innée, ils sont, de tous les peuples, trop réfractaires pour
accepter l'autorité d'autrui, par rudesse, orgueil, ambition et jalousie. Leurs
aspirations tendent rarement vers un seul but. Il leur faut l'influence de la
loi religieuse, par la prophétie ou la sainteté, pour qu'ils se modèrent
d'eux-mêmes et qu'ils perdent leur caractère hautain et jaloux. Il leur est,
alors, facile de se soumettre et de s'unir, grâce à leur communauté religieuse.
Ainsi, rudesse et orgueil s'effacent et l'envie et la jalousie sont freinées.
Quand un prophète ou un saint, parmi eux, les appelle à observer les
commandements de Dieu et les débarrasse de leurs défauts pour leur substituer
des vertus, les fait tous unir leurs voix pour faire triompher la vérité, ils
deviennent alors pleinement unis et ils arrivent à la supériorité et au pouvoir
royal. D'ailleurs, aucun peuple n'accepte aussi vite que les Arabes la vérité
religieuse et la Bonne Voie, parce que leurs natures sont restées pures
d'habitudes déformantes et à l'abri de la médiocrité. La sauvagerie peut être
surveillée et s'ouvrir aux vertus, car elle est restée dans l'état de religion
naturelle (fitra); loin des mauvaises habitudes qui laissent leur empreinte sur
les âmes. Selon la Tradition: " Tout enfant naît dans l'état de religion
naturelle. "
Les Arabes, plus
qu'aucune autre nation, sont enracinés dans la vie bédouine et s'enfoncent
profondément dans le désert. Ils ont moins besoin, pour leur vie rude et dure,
des produits et des céréales des collines. Ils peuvent donc se passer des
autres. Il leur est difficile de se soumettre les uns aux autres, parce qu'ils
sont un peuple sans loi, à l'état sauvage. Leur souverain a donc le plus grand
besoin des liens du sang ('asabiyya), nécessaires à l'autodéfense.
Il est forcé de gouverner ses sujets en douceur et d'éviter de les heurter. Sinon, il aurait des difficultés avec l'esprit tribal, ce qui causerait sa perte et la leur. D'autre part, cependant, la monarchie et le gouvernement demandent une poigne de fer, seul gage de durée. Comme les Arabes; par nature s'emparent des biens d'autrui, de même, ils s'abstiennent de tout arbitrage et de maintenir l'ordre public. Quand ils ont conquis une nation, leur objectif est d'en profiter pour s'emparer des biens de celle-ci. De plus, ils se passent de loi. Ils punissent parfois les crimes par des amendes, pour accroître les revenus du fisc et en tirer, financièrement, avantage. Mais ce n'est pas là un frein pour le crime. Ce serait même plutôt un encouragement, car le mobile d'un crime doit être assez puissant pour compenser le simple paiement d'une amende insignifiante. Ainsi, les méfaits deviennent de plus en plus nombreux et la civilisation décline. Une nation dominée par les Arabes est dans un état voisin de l'anarchie, où chacun s'oppose à l'autre. Ce genre de civilisation ne peut durer: il court à sa perte, aussi vite que l'anarchie elle-même.
Toutes ces raisons
éloignent, naturellement, les Arabes de la monarchie. Il faut que leur nature
soit profondément transformée par une structure (sibgha), religieuse, qui les
amène à se modérer et à maintenir l'ordre public. C'est ce que montrent les
dynasties arabes musulmanes. La religion a soudé leur pouvoir temporel à la loi
religieuse et à ses prescriptions, qui -de façon explicite ou implicite- sont
dans l'intérêt de la civilisation. Les califes suivirent cette voie. La
monarchie et le gouvernement des Arabes devinrent grands et forts. Quand Rostam
vit les Musulmans rassemblés pour la prière, il s'écria: "'Omar m'a rongé le
foie! Il apprend aux chiens les bonnes manières! " 2.
Plus tard, les Arabes
furent écartés des dynasties régnantes, pour des générations. Ils négligèrent
leur religion, oublièrent la politique et retournèrent au désert. Ils ignoraient
le rapport de leur esprit de clan avec la dynastie régnante, car l'obéissance et
la loi leur étaient redevenues étrangères. Ils redevinrent aussi sauvages que
dans le passé. Le titre de " roi " cessa de leur être appliqué, à l'exception
des califes de race (jîl) arabe. Après la disparition du califat, le pouvoir
sortit de leurs mains : des Barbares s'en emparèrent. Les Arabes restèrent alors
Bédouins au désert, ignorant la monarchie et la politique. La plupart ne savent
même plus qu'ils ont régné autrefois, ou qu'aucune autre nation n'a rayonné
autant que la leur. Avant l'Islâm, ce furent les dynasties de' Âd et de Thamûd,
les Amalécites, les Ijimyarites et les Tubba'; depuis, les Mudarites, les
Omayyades et les Abbâsides. Mais, quand les Arabes oublièrent leur religion, ils
n'eurent plus de rapport avec la politique, et ils retournèrent à leur désert
originel. Farfbis encore, comme au Maroc actuel, ils dominent des dynasties trop
faibles, mais leur supériorité ne peut conduire qu'à la ruine de la
civilisation. Dieu est le meilleur héritier (XXI, 89) !
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lundi 4 février 2013
LES ARABES VUS PAR IBN KHALDOUN
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