mardi 5 février 2013

LE DESTIN FABULEUX DE LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de Hubert Zakine


ALGER AUX MILLE VISAGES

 

La vieille ville, escale obligée de tous les apprentis sorciers en quête d'affairisme ou d'exotisme à bon marché, de tous les plumitifs à l'inspiration vagabonde, de tous les artistes à la recherche d'alibis plus ou moins avouables, s'ouvrît, bien malgré elle, à la civilisation.

Le génie créa de toute pièce une ligne de démarcation artificielle au sein de la "kasbah" en perçant une longue zébrure qui sépara la masse de ses maisons blanches en deux, la "haute ville" et la "basse ville". Artère principale creusée au coeur de la "vieille ville" pour européaniser le quartier en aérant le regard vers le ciel. Cette flèche plantée dans le ventre de la "kasbah" qui montait de BAB EL OUED et glissait en pente douce vers le grand Temple israélite et la place du marché, sera dénommée "rue MARENGO" en hommage au lieutenant-colonel, bâtisseur du port d'ALGER, du môle  et du jardin portant son nom. Puis ce sera le percement de la future rue de Chartres sur l'emplacement d'une ancienne caserne des Janissaires, bâtie elle-même sur les ruines de la mosquée MEZZO-MORTE, et la création d'une grande esplanade située entre les rues des souks BAB AZOUN et BAB EL OUED. Ce quadrilatère adossé à la ville arabe, accoudé au balcon avec vue grandiose sur la méditerranée, sera débaptisée à chaque changement de régime. Place Royale sous Louis PHILIPPE, Place Nationale sous la République, Place du Gouvernement sous l'autorité du Gouverneur Général, elle conservera ce titre tout au long de la présence française en ALGERIE, accolé toutefois à celui plus pittoresque de Place du Cheval après l'inauguration de la statue équestre du Duc d'ORLEANS en 1845.

L'Empire ottoman était loin. EL DJEZAÏR s'effaçait en douceur pour offrir son regard bleu et  ses maisons blanches, ses aurores rougissantes et ses parfums envoûtants, ses orientales et ses cafés maures, ses vestiges et ses combats. ALGER s'installait en pays conquis, le drapeau tricolore comme unique message. Un message qui avait parfois du mal à passer avec des architectes qui ne s'embarrassaient pas de fioritures pour imposer leurs projets d'urbanisation. Ainsi, ne tinrent-ils aucun compte de l'avis des juifs indigènes qui leur déconseillèrent de toucher à la Place MASSINISSA, son célèbre platane SIDI MANSOUR et son sanctuaire, hors la porte BAB AZOUN. Comme ils l'avaient fait des mises en garde sur la décision des autorités françaises de réquisitionner la Grande Mosquée "KETCHAOUA" pour la transformer en Eglise. Des émeutes naissantes furent durement réprimées, entraînant un climat malsain qu'une distribution de vivres et un mea-culpa des autorités militaires auprès des responsables musulmans de la ville, dissipa.

                                
YYY

L'Emir Abd El Kader
Léon Juda mit à profit l'avancée des hommes du Général Pierre BOYER sur Oran pour ravitailler sonfrère Haïm en soieries et tissus légers pour la confection sur place de vêtements destinés à l'armée.
Après une nuit passée dans la maison de son frère qui lui apprit l'imminence d'une guerre entre tribus musulmanes d'Oranie, il prit la route des chameliers pour MASCARA et la plaine de l'EGHRISS.
Stoppé à cinq cents mètres à vol d'oiseau du campement de MAHI ED DINE par une horde sauvage d'une quarantaine de cavaliers vociférant comme mille, il ne dût la vie sauve qu'au "yatagan" que lui remit le chef de la Guetna un matin de juin 1810.

L'"outak" du "marabout"  se situait au centre d'un camp improvisé, constitué de quatre enceintes disposées en rond où se tenait un véritable conseil de guerre. De retour d'un pèlerinage à LA MECQUE aux cotés de son fils, le maître des lieux accueillit avec la plus grande courtoisie son visiteur d'un jour.

--" Que la paix d'ALLAH  qui a guidé tes pas vers moi imprègne tes jours et tes nuits! Vas avec mon fils! Il te dira!"

ABD EL KADER invita Léon Juda à l'accompagner dans sa dernière tournée d'inspection des tribus fidèles au "caïd" de la Guetna.

Treize années séparaient les deux hommes. Treize années et treize centimètres. Quoique de petite taille, ABD EL KADER était homme bien proportionné. Cavalier émérite, il dominait sa monture noire avec maestria, ne faisant qu'un avec son cheval. Léon Juda cravachait davantage pour maîtriser la bête. Moins à l'aise sur la selle, son allure altière se débarrassait de son handicap dès qu'il mettait pied à terre. Sa plus grande taille et ses treize années qui le séparaient d'ABD EL KADER lui conféraient une autorité naturelle qui ne semblait pas indisposer le fils de MAHI ED DINE. Une influence discrète mais réelle portait témoignage de cette situation.

Bien qu'elle volât en éclats à l'occasion d'une discussion sur la relation entre chrétiens et musulmans que Léon Juda considéra avec indulgence.

--" Lorsqu'on est chrétien, on doit vivre avec les chrétiens. Lorsqu'on est musulman, on doit vivre avec les musulmans et c'est un crime de cohabiter avec les chrétiens!"

--" Et avec les juifs? " proposa Léon Juda.

--"On a toujours vécu ensemble!"

--" Mais alors, pourquoi ces préparatifs de guerre entre musulmans puisque tous les arabes doivent vivre ensemble? " se risqua candidement Léon Juda

--" Les Turcs sont à TLEMCEN. Le MAROC veut TLEMCEN. La FRANCE veut TLEMCEN. Tu vois, Léon, ce n'est pas une guerre entre musulmans. Mais rien n'arrêtera la volonté d'ALLAH! ALLAH est avec nous. Nous chasserons Turcs, Kouloughlis et Français d'Oranie! Vois! Regardes! Toutes les tribus de MAHI ED DINE n'attendent que l'ordre de mon père pour envahir le Méchouar de TLEMCEN. Puis ce sera au tour d'Oran!"

Après cet exposé, Léon Juda regarda ABD EL KADER d'un autre oeil. A n'en pas douter, le pèlerinage de LA MECQUE de 1827 avait transfiguré l'adolescent quelque peu mystique en un homme de conviction religieuse et guerrière.

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Alentour, la plaine de l'Eghriss semblait une poudrière prête à exploser. La "djihad" se doublant d'un affrontement entre musulmans, l'affaire n'était pas simple. MAHI ED DINE, saint homme épris de paix et de justice, semblait l'otage des chefs de tribus qui le vouaient à une position peu enviable de chef de guerre.  Léon Juda demeura à MASCARA, retardant volontairement son départ pour la capitale afin de suivre l'évolution du blocus imposé par les hommes du  "Marabout de la Guetna" devant ORAN d'où ils voulaient chasser les Français. L'aîné des DURAN n'avait jamais été un soldat, encore moins un guerrier. Les canons français ébranlèrent le courage des arabes qui se replièrent en ordre dispersé sous ses yeux éberlués. De la crête qui dominait la garnison d'ORAN, il assista à mille actes de fol héroïsme mais son attention fut attirée par ABD EL KADER sur son cheval, se jouant du bruit et de la fureur sous une mitraille d'enfer. Il eût du mal à reconnaître l'enfant studieux, imprégné de spiritualité, qui partagea quelques instants privilégiés de jeunesse en cet intrépide cavalier, insaisissable diable de guerre, une épée vengeresse au bout d'un bras de fer. De son coté, MAHI ED DINE, pour répondre aux nombreuses sollicitations des chefs de tribus, avait troqué sa pèlerine de croyant pour l'armure guerrière trop lourde à porter pour la croisade d'un vieux sage. Immobilisme ne veut pas dire victoire. L'échec relatif du blocus d'ORAN  l'amena à convoquer un conseil des tribus à ERSEBIA, aux portes de MASCARA, afin de désigner un nouveau chef pour une "djihad" qu'il abandonnait à la jeunesse..   

ABD EL KADER fut, ainsi, nommé sultan des arabes sur la recommandation d'un "marabout" centenaire, SIDI LARADJI, auteur d'un rêve prémonitoire sur le destin du fils de MAHI ED DINE.

Le 25 novembre 1832, ABD EL KADER, qui préféra le titre d'EMIR DES ARABES à celui de Sultan, entra triomphalement dans MASCARA où l'avait précédé Léon Juda, auquel il se plaignit du fossé existant entre une armée française structurée, hiérarchisée, disciplinée et les trois tribus qui le soutenaient.

Combattants valeureux, cavaliers magnifiques, exaltés par une "djihad" rassembleuse d'énergies mais aussi pillards, indisciplinés, aptes au découragement, à la dispersion et à l'individualisme, telle était l'armée d'ABD EL KADER.Léon Juda écoutait son ami qu'il avait du mal à reconnaître malgré des relations personnelles inchangées. Le nouvel Emir des arabes désirait rallier à la guerre sainte tous les hésitants, tous les pleutres, tous les convertis à la cause française. Organisateur hors pair, il devint alors, sous le regard admiratif teinté d'inquiétude de Léon Juda, un tribun d'envergure exceptionnelle avec le Coran comme bouclier.

 
YYY

 A SUIVRE..................

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