Juillet 1830
Les "taleths" de la
communauté étendaient un immense manteau ciel et blanc au-dessus des nuages
d'EL DJEZAIR. Chaque temple, chaque maison, chaque échoppe répercutaient les
prières alourdies par le sens de l'histoire, éternelle errance du peuple juif
cadencée par les pogroms, les inquisitions ou la magnanimité des puissants. Le
Grand "Rabbin" d'EL DJEZAIR ponctua sa prière de conseils
sur l'attitude à adopter face aux troupes françaises.
--" Exprimez la joie mais non la servilité, la
cohésion plutôt que la dispersion, la discipline et même l'autodiscipline
plutôt que l'anarchie! L'image de la communauté est plus importante que celle
de votre personne. Montrez votre savoir en toutes circonstances pour en tirer
profit, tel est le mot d'ordre pour chacun d'entre vous."
Léon Juda BEN DURAN et Jacob
BACRI portaient l'espoir d'une communauté capable de coopération à tous les
niveaux, de la finance à l'artisanat, du colportage au grand commerce international,
de la connaissance des langages et dialectes au contenu géographique du pays,
de la subtilité de l'âme orientale à l'extraordinaire complexité du climat.
Rien ne leur était étranger et un formidable challenge émergeait sous les yeux
de ce peuple humilié depuis des siècles en terre d'ISLAM.
Le Grand
"Rabbin" embrassa son "taleth",
puis le rangea dans sa pochette de velours bleu cernée de fils d'or lorsqu'une
assourdissante déflagration ébranla les murs de la Synagogue.
Mus par un instinct de
conservation toujours en éveil, tous les hommes se précipitèrent vers la sortie
en oubliant d'embrasser la "mezouza". La
" kasbah", jonchée de
pierres et de gravats semblait en perdition. Une épaisse fumée noire
envahissait le ciel au-dessus de Bordj Sultan KALFASSI, futur Fort l'EMPEREUR
au nord ouest d'EL DJEZAIR. Les deux chefs de la Nation Israélite, sous la
pression des sages de la communauté, se rendirent en hâte vers la citadelle de
la "cassaubah"
où régnait une effervescence embarrassée. HUSSEIN, une lunette à la main, les
bras le long du corps, semblait renoncer à considérer la situation. Autour de
lui gesticulaient les hauts dignitaires de la Régence qui s'affrontaient sur
les mesures à prendre au grand désintérêt du souverain.
Les nouvelles alarmistes
pleuvaient sur le patio de la "cassaubah", les plus réalistes
invoquaient la prise de Fort l'EMPEREUR par les troupes françaises. Autant dire
qu'EL DJEZAIR tombait entraînant la Régence dans sa chute.
HUSSEIN regardait la
méditerranée qui protégea si longtemps le pouvoir ottoman de marins aussi
renommés qu'Andréa DORIA ou Fernand CORTES, le conquérant du MEXIQUE. La mer,
pourtant, ne l'avait pas trahi mais n'avait joué aucun rôle dans cette bataille
livrée et sans doute perdue contre la FRANCE. La mer si argentée le matin, si
bleue l'après-midi, si marine le soir, si belle toujours. Furieuse ou câline,
HUSSEIN prenait, chaque soir, le temps de la contempler, comme une amie, une
alliée, une forteresse. Une image complice, immuable, invisible à force de présence
mais dont l'absence se révèlerait omniprésente. Paysage doré qu'il contemplait
pour l'une des dernières fois, gommé par la conquête des troupes de DE
BOURMONT.
Troublé par la puissante
inquiétude de son entourage, le Dey demanda le silence. Il fit rédiger une note
à l'un de ses scribes à l'attention des autorités françaises et la confia à son
premier secrétaire "drogman" ottoman, Sidi MUSTAPHA. A l'instar des
personnalités qui se pressaient à la "cassaubah", les envoyés
de la communauté se turent devant la détresse de celui qu'ils considéraient,
déjà, comme l'ex-souverain turc en EL DJEZAIR. L'envoi d'un émissaire
apportait, à Léon Juda la preuve du désarroi de la Régence et le signe évident
de faiblesse qui laissait présager la fin des hostilités avec la victoire des "franchais" . Le doute n'était
plus permis. La FRANCE boutait le pouvoir ottoman hors les murs de la
forteresse et la communauté israélite se
devait d'user, envers elle, de toutes les séductions.
Les juifs, interlocuteurs
privilégiés de la conquête, indispensable cheville ouvrière de l'installation
des français dans un pays dont ils ignoraient à peu près tout, tel serait le
challenge proposé à la communauté par Léon Juda BEN DURAN et Jacob BACRI
lorsque la capitulation serait effective.
Durant deux longues heures,
le débat s'installa au sein de la "cassaubah" entre les
ministres consulaires de GRANDE-BRETAGNE, d'ESPAGNE et d'AUTRICHE. Par petits
groupuscules, les états-majors, les dignitaires, les notables commentaient, en
un long et confus murmure, les bombardements qui déstabilisaient HUSSEIN et sa
garde noire.
Le commandant en chef
IBRAHIM tempêtait contre les canons du Fort des VINGT QUATRE HEURES,
habituellement tournés vers la mer, qui souffraient d'une trop courte portée pour
atteindre le camp du Général DE BOURMONT, situé
sur les hauteurs de Fort l'EMPEREUR.
Soudain, un garde de la
milice annonça Sidi MUSTAPHA, porteur d'une demande de capitulation en guise de
paix accompagné de BRACEWITZ, vieil interprète de l'armée française qui avait
fait la campagne d'EGYPTE. Après quelques mots d'introduction mal analysés
parce que mal compris par le Dey, le vieil interprète parlant un arabe plus
proche de l'égyptien que du moghrébien, HUSSEIN ordonna à Léon Juda de lui
traduire, à l'oreille, la lecture de BRACEWITZ.
--" L'armée française prendra possession de la
ville d'ALGER , de la Cassaubah et de tous les forts qui en dépendent ainsi que
de toutes les propriétés publiques demain 5 juillet à 9 heures du matin."
D'un geste de la main,
HUSSEIN PACHA fit taire la rumeur réprobatrice qui se levait, déjà, au sein de
la cour du "Diwan".
--" La religion et les coutumes des Algériens
seront respectées; aucun militaire de l'armée ne pourra entrer dans les
mosquées. Le Dey et les turcs devront quitter ALGER dans le plus bref délai."
Les "janissaires", à ces mots, tirèrent les "yatagan"
de leurs fourreaux en s'écriant:
" A mort, les français!". HUSSEIN se leva, fit quelques pas,
suivi en cela par Léon Juda, regarda alentour et garda le silence. Puis, sans
parler, d'un geste du menton, demanda la poursuite de la lecture.
--"Le Général en Chef de l'armée française s'engage envers son Altesse,
le Dey d'ALGER, à lui laisser la liberté
et la possession de toutes ses richesses personnelles.
Le Dey sera libre de se retirer avec sa famille et ses richesses dans
le lieu qu'il aura fixé. Tant qu'il restera à ALGER, il y sera, lui et sa
famille, sous la protection du Général en chef de l'armée française. Une garde
garantira la sûreté de sa personne et de sa famille.
Le Général en chef assure à tous les soldats de la milice les mêmes
avantages et la même protection.
L'exercice de la religion restera libre; la liberté des habitants de
toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie
ne recevront aucune atteinte.
Les femmes seront respectées, le Général en chef en prend l'engagement
sur l'honneur.
L'échange de cette convention sera fait le 5, avant 10 heures du matin.
Les troupes françaises entreront aussitôt après dans la Cassaubah et dans tous
les autres forts de la ville.
Au camp
devant ALGER, le 4 juillet 1830.
A SUIVRE...........................
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