Ce matin, c’est dimanche. On va pas aux Horizons bleus. Le
flouze, ma mère, elle en a pas bezef alors, on va faire tintin aujourd’hui. Je
descends au jardin mais y a pas âme qui vive. Ame qui vive, la vérité c’est une
façon de parler quand on est de Bab El Oued ? Tsstt, je file un mauvais
coton, moi ! Je dois être fatigué. Ma mère, pour pas que je tombe dans un
lit, elle va sortir le thermomètre, les dragées pour le calcium, le carré de
sucre pour me donner du tonus, et tout et tout.
Tout seul, je reste assis entre les deux jardins, là où les
chauffeurs de taxi y z’attendent le client en sirotant une anisette au café
« chez Henri » à l’angle de la rue Eugène Robe. En désespoir de
cause, je descends à Padovani où tous les gens du faubourg, y croient être en
vacances. Du monde en pagaille mais aucun copain. Achno, où ils sont tous
passés ? Je vais pas taper le bain, tout seul ! Las de mes
tergiversations (Putain dé ! ter-gi-ver-sa-tions !) Où j’ai été
chercher ce mot là ! C’est plus du Victor Hugo, c’est du Chateaubriand. Je
savais même pas que, dans mon armoire, y avait ce mot là. Les gens de Bab El
Oued, jamais ils emploient ce langage. Peut être que je suis pas le fils de ma
mère et que ma vraie mère, elle est baronne ou vicomtesse ! j’sais pas
moi ! Pour parler comme ça, j’ai dû naître dans le château du comte de la
couillonnade en bâton. Ma parole, je dois délirer ! Je vais poser mon
stylo et me reposer un chouïa parce que si je continue, ma famille elle va me
faire enfermer chez Roubi.
--Quand même
c’était un gentil garçon pourtant ! Peut être que la fille avec qui y
marchait, ça lui a tapé sur le ciboulot.
--Tu crois que
cette petite elle lui a jeté un sort ?
--En plus, il était
beau comme un dieu, quel gâchis !
Après manger, mon frère aîné nous entraîne dans une belote de
bonne humeur qui nous fait tout oublier. Oublier que ma mère elle a pas
d’argent et qu’elle sait pas comment on va manger demain. Mais comme elle nous
rassure à sa manière: demain le bon dieu, il est grand ! La vérité,
j’aurais préféré qu’il soit grand aujourd’hui!
*****
Comme à chaque jour suffit sa peine, je m’apprête à descendre en
bas la rue quand on sonne à la porte que Jacky il a gardé ouverte comme
d’habitude en partant travailler. C’est le facteur qui nous apporte un mandat
de ma tante qui habite, depuis peu, Paris où elle meurt d’ennui. Et c’est
normal ! Une fille de la rue Marengo et de la rue Suffren, comment tu veux
qu’elle devienne pas neurasthénique sans le soleil de la famille! Toujours
est-il que ma mère, la pauvre, elle avait raison de nous dire : « La
roue elle tourne quand on s’y attend le moins! »
Le cœur plus léger, je descends avec la certitude d’être
réquisitionné par ma douce pour aller au marché Nelson lui porter le panier.
C’est bizarre dés que je dépasse le jardin Guillemin, on dirait que je marche
sur des œufs. D’un square à l’autre, il y a tout juste cent mètres, mais
c’est un autre monde. Guillemin c’est Bab El Oued, Nelson c’est Bab El Oued en
plus temeniek. Bou, les gens de Nelson y vont me faire la tête comme un tchic
tchic à trois faces. Quand on marche rue Eugène Robe ou rue Feuillet, quand on
va aux Variétés le cinéma où on parle en chuchotant, quand on fait le marché
Nelson ou qu’on va prendre un créponné chez Grosoli, le chitane que je suis,
il est pas décontracté comme aux Messageries, à la Basseta ou au marché de Bab El Oued. L’avenue de la Bouzaréah elle est plus
débraillée que l’avenue de la Marne. C’est une évidence. A savoir !
Pourtant, les gens de l’Esplanade, c’est pourtant des pieds noirs pur jus
d’anisette ! Mais, peut être, y sont plus discrets et moins tcherklala que
dans les autres quartiers (L’esplanade, de la mer à la casbah, elle part du
lycée Bugeaud jusqu’au début de l’avenue de la Bouzaréah).
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