C’était un samedi où la pluie s’était invitée,
une pluie insistante et pénétrante qui collait les vêtements légers que
réclamait l’été. Lisette Benaïm avait conviée sa sœur ainée et sa nièce à
déjeuner. Elle trouvait auprès d’elles
le réconfort que lui refusait son mari trop laxiste sur les dangers
encourus par son fils.
–« A
l’écouter, Richard, c’est Superman et moi ch’uis une imbécile de me faire tant
de mauvais sang. En attendant, j’ai l’impression qu’il s’en fiche comme de
l’an quarante. »
--«
Tu parles ! Léon, je le connais ! C’est pas qu’il s’en fout, il se fait
du souci comme toi. C’est son fils, quand même! La différence, c’est qu’il ne
veut pas le montrer. Comme tous les hommes, ma fille !»
--« Peut être
que c’est simplement qu’il préfère garder pour lui cette inquiétude pour pas
ajouter à ton mauvais sang…. »
ajouta Colette, la nièce de Lisette qui adorait
son oncle et lui pardonnait tout.
Elle n’avait pas tout à fait tort car Léon tendait
l’oreille au moindre récit venant de la terre sainte au centre communautaire de
Cannes. Il écoutait chacun débattre des conditions de jeunes soldats confrontés
au terrain, soutenus par une foi extrême en leurs chefs et en Israël mais
gardait pour lui ses impressions de peur de leur porter malheur. Ses origines
judéo-arabes de la casbah d’Alger
l’avaient façonné ainsi et s’il s’en défendait, ce n’était jamais devant son
épouse et plus généralement devant les femmes.
La sonnette fit sursauter les trois femmes. Colette ouvrit
la porte sur une jeune fille qui se présenta en calant son parapluie contre
mur.
--« Je voudrais
voir madame Benaïm s’il vous plait. »
Une voix venue de la salle à manger interpella Colette.
--« Qui
c’est ? »
Les deux jeunes filles apparurent dans l’embrasure de la
porte de la salle à manger. Devant l’étonnement des deux femmes sur l’identité
de la nouvelle venue, Carmen prit la parole.
--« Bonjour,
mesdames. Veuillez pardonner cette intrusion dans cette réunion familiale mais
depuis quinze jours, je n’ai plus de nouvelles de Richard et je meurs à petit
feu…… »
--« Vous êtes
qui, mademoiselle ? »
--« Oh !
Excusez- moi ! Je ne me suis pas présenté. Je suis Carmen. »
--« Ah,
Carmen ! Vous êtes la Carmen de Richard ? »
--« Oui,
madame. »
Devant l’air interrogateur de sa cousine, Lisette Benaïm précisa
--« C’est la
jeune fille que Richard a l’intention d’épouser. Vous dites que vous n’avez pas
de nouvelles de Richard depuis…. ? »
--« demain, ça
fera trois semaines ! »
--« J‘ai eu une
lettre hier qui datait du 6 Juin. Vous devriez en recevoir demain ou au plus tard
après demain. Asseyez- vous, vous allez prendre un café. »
--« Je voudrais
pas vous déranger…. »
--« Vous nous
dérangez pas et puis de toutes manières, on a des choses à se dire, non ? »
--« Oui, mais
vous êtes en famille. Je …….. »
--« Allez,
allez. Pas de chi chis ! De toute façon, c’est ma sœur et sa fille. Elles
sont au courant, alors un peu plus tard, un peu plus tôt ! »
Carmen prit la tasse que lui tendait Colette dont le
sourire lui sembla un encouragement. L’âge sans doute y étant pour quelque
chose.
Après avoir avalé son café, elle prit son courage à deux
mains pour se faire l’avocat du diable. Bien calée dans son fauteuil, d’une
voix claire et distincte, elle s’adressa à la maman de Richard.
--« Je suis
ravie de faire votre connaissance pendant le service de Richard. Il faut savoir
que j’aime votre fils, Madame, au-delà du raisonnable. Au point de prendre des
cours auprès de Monsieur Zerbib pour me faire juive car je désire tout
partager avec mon mari. »
--« Vous voulez
vous convertir ? »
Lisette Benaïm n’en croyait pas ses oreilles. Incrédule,
elle regarda sa sœur toute remuée car elle connaissait la difficulté d’une
conversion dans la religion juive.
--« Je désire
que les obstacles à notre union sautent un à un et je sais que le plus important
pour Richard c’est d’épouser une fille juive pour que ses enfants soient juifs
alors, je serai une femme juive comme il le désire. »
--« Mais et vos
parents y sont d’accord ? »
--« Mes
parents, j’en fais mon affaire ! »
Bien sur, le mensonge est un vilain défaut mais à la guerre
comme à la guerre, pensa t-elle en mesurant la valeur de cette révélation sur
la maman de Richard, sa sœur et sa nièce.
La maman de Richard regarda cette petite, belle comme le
jour, dont s’était amouraché son fils. Sa voix douce contrastait avec la
fermeté de son engagement, elle était pied noir, bien élevée, moderne sans être
effrontée, l’inquiétude en bandoulière et l’amour au bord des lèvres.
--« Une fille
de chez nous » conclut-elle.
Carmen prit congé de cette famille qu’elle désirait
séduire comme elle le fit jadis avec Richard. Au moment de la dernière poignée
de main, Lisette Benaïm ouvrit ses bras pour accueillir sa future belle fille
en officialisant leurs rapports par le tutoiement.
--« Viens, ma
fille ! Que cette journée, elle te porte bonheur ! Richard a bien
choisi. Je suis fière de mon fils. »
Les pleurs de Carmen roulèrent sur ses joues entrainant
les larmes de Lisette, de sa sœur et de sa nièce,
--« Hou.
Allez ! Y faut pas pleurer, ça va nous mettre les yeux. Viens vendredi soir, c’est shabbat. Comme ça
tu feras la connaissance de ton futur beau-père et de son frère, d’accord, ma
fille ! »
--« D’accord ! »
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