Les Consulats étrangers
installés en EL DJEZAIR s'empressèrent de courtiser le nouveau maître d'ALGER.
Dans les premiers jours de la conquête, tout ce qui ressemblait, de près ou de
loin, à un dignitaire défila à la " cassaubah". Léon Juda et
Saûl COHEN-SOLAL, investis du titre d'interprètes de première catégorie par
l'intendant DENNIE, donnèrent tant de preuves de leur compétence et de leur
bonne volonté que leur mérite respectif fut reconnu par une nomination
officielle auprès des autorités civiles et militaires de la conquête. Le Baron
DENNIE, bien que fort satisfait des services des israélites, gardait, cependant,
en mémoire le testament politique d'HUSSEIN Dey, stigmatisant la mentalité des
fils de MOÏSE.
--" Les Juifs ne sont nullement à craindre. Ils sont ici, comme dans tout l'Orient, très
corrompus mais fort intelligents en affaires. Employez-les en sous ordre sans
jamais les perdre de vue. Ils
pourront vous rendre de grands services." Cette recommandation
mi-figue mi-raisin fut le dernier acte politique d'un homme vaincu sur les
fonts baptismaux de la colonisation française, qui régna en seigneur et maître
sur la Régence d'EL DJEZAIR, au nom d'un empire ottoman dont l'étoile palissait
de jour en jour. Le 10 juillet, à bord de la "Jeanne d'Arc" le Dey,
sa suite et ses biens s'éloignèrent d'ALGER à destination de NAPLES.
YYY
Prisé dans tous les pays orientaux,
le "bakchich" accompagnait et
souvent, précédait toute transaction commerciale. Quelques dirigeants et
dignitaires du pouvoir turc élevèrent cette pratique vénale au rang
d'institution.
A tous les échelons de la
société, les emplois, les prêts bancaires et usuriers, les mariages, les
nominations, les titres honorifiques n'échappaient à ces procédés usités en
pays d'Orient selon la sacro-sainte loi de l'offre et de la demande.
L'Intendant DENNIE s'adapta
très rapidement à cette coutume, ne refusant jamais un "encouragement"
ou un "remerciement" sonnant et trébuchant.
Cette "finesse
d'esprit" du Baron français, encouragée par une rumeur publique savamment
orchestrée qui attirait l'attention sur la susceptibilité des indigènes devant
l'ignorance de "l'autre" des coutumes orientales, valut à la
communauté juive, dont le rapport avec l'argent se faisait sans détour et sans
état d'âme, de briguer et d'obtenir des postes de la commission municipale.
Secondés par des militaires
totalement déboussolés face aux réalités du pays et des réactions spontanées
mais incompréhensibles d'une population hétérogène, les israélites devinrent
d'indispensables intermédiaires entre la FRANCE et les arabo-berbères. A ce
petit jeu d'influence, le clan BACRI et les juifs livournais reprirent leur
ascendance sur les DURAN et les "porteurs
de bérets" grâce aux relations entretenues par Jacob BACRI auprès
du Général DE BOURMONT.
Mais les besoins de la
FRANCE dépassaient largement le potentiel
commercial de la Maison BACRI. Aussi fit-elle, également, appel aux "Mégorachim"
exilés d'ESPAGNE, représentées par les familles DURAN, SERROR, BENHAÏM, OUALID
et AYACHE pour couvrir le territoire conquis. Léon Juda cumula, ainsi, les
fonctions d'interprète de première catégorie avec celle de fournisseur officiel
de l'intendance française. De son Oranie natale, son frère HAÏM le seconda
efficacement, prenant la tête de toutes les caravanes en partance pour un
campement de l'armée française, ravitaillant le génie occupé à tracer des
routes vers d'autres conquêtes à l'est du pays.
YYY
ALGER, envahie par des
cohortes de pauvres bougres débarqués de nombreuses balancelles en provenance
de MAHON, ALICANTE, NAPLES, MALTE, SICILE ou bien par quelques aventuriers
indésirables ailleurs, changea de visage. Des cabarets fleurirent à chaque coin
de rue. Des rues éventrées par les démolitions d'immeubles et d'édifices
religieux. Des rues que l'on baptisa à la française: rue des trois couleurs,
rue des oranges, rue aux rubans, rue de la ville de soum-soum. Des rues que
l'on défigura pour mieux les aérer.
Et les maisons mauresques
mutilées, avilies, rognées de leur originalité par des spéculateurs immobiliers
peu scrupuleux des lois non écrites du pays. Tel le respect dû aux femmes,
bafoué par les constructions hâtives de bâtisses plongeant sur les terrasses de
la basse ville où les ménagères furent l'objet de regards inavouables d'européens
en mal d'exotisme et peu au courant des pratiques en usage sur ce morceau
d'AFRIQUE.
ALGER paradait. ALGER se
militarisait. ALGER avait la fièvre. Fatalistes, les Arabes demeuraient
circonspects sur l'attitude à adopter envers les français. Ils attendaient,
l'oeil vif et l'oreille attentive, un signe du destin, une parole d'ALLAH. Ils
écoutaient le Juif qui les invitait à emboîter le pas de cette FRANCE inconnue
mais auréolée d'une grande victoire sur l'empire ottoman. Ils étudiaient
l'habileté manoeuvrière des fils de MOÏSE qui étaient devenus leurs égaux par
la volonté du Général DE BOURMONT. Ils espéraient...........
Les Maures, descendants des
conquistadors berbères, ouvrirent à nouveau leurs échoppes après une période
d'immobilisme. Contrairement aux Arabes, ils partageaient, avec les juifs, le triste privilège de figurer au dernier
rang des ethnies sous la Régence. Aussi, leur attentisme fut de courte durée
et, si leur engagement aux côtés de la FRANCE ressembla plus à un mariage de
raison qu'à une folle passion, il contribua, néanmoins, à une meilleure
appréhension des mentalités.
Le Conseil Municipal offrit
l'occasion aux notables israélites de démontrer leur capacité à résoudre les
problèmes civils rencontrés par la nouvelle autorité. Les doléances
surchargèrent l'intendance. Les nombreuses spoliations encombrèrent les allées
du pouvoir et les tergiversations empoisonnèrent l'atmosphère. Las des perpétuelles
réclamations de la petite bourgeoisie locale qui tempêtait contre les abus de
pouvoir d'une hiérarchie militaire confrontée à une pénurie de logements,
l'Intendant Général DENNIE et le Payeur Général FIRINO confièrent la
réquisition et l'achat en bonne et due forme des maisons désertées par leurs
propriétaires arabes et turcs. Investi de cette nouvelle mission, l'aîné des
DURAN créa très rapidement un réseau de collaborateurs qui recensèrent plus de
mille villas extra-muros.
Les plus luxueuses de ces
demeures posées au milieu des "fahs" comme des boutons
de roses sur un écrin de verdure furent dévolues aux officiers et
sous-officiers. Les maisons plus modestes se louèrent à très bas prix aux
soldats, dignitaires et politiciens de second rang faisant partie de l'expédition.
Léon Juda conseilla la
superbe villa de son ami, le "caïd" Sidi ABDALLAH, l'un
des hauts fonctionnaires de la Régence, au sous-lieutenant Patrice de MAC MAHON
qui s'était extasié sur l'architecture de cette maison mauresque, située tout
près de la "djenan" des
DURAN, au coeur du massif de la BOUZAREAH.
Le TELEMNY et ses
somptueuses demeures, ouvertes sur une harmonie de jardins, trouvèrent
rapidement acquéreurs. Les industriels français, à l'unisson, prirent leurs
quartiers dans ce paradis naturel à la végétation généreuse et spontanée. Léon
Juda fut, en cette circonstance, un intermédiaire apprécié pour ces bâtisseurs
qui devinrent, alors, ses obligés.
BEN DURAN, comme l'appelait
le Baron DENNIE, avait su se rendre indispensable pour résoudre les petits
tracas de la vie d'une armée en campagne et jouer le rôle de guide d'une ville
conquise par les armes mais restant à séduire par le coeur et la raison. Ainsi
proposa t-il, à l'intendance, les services de Messaoud et Mardochée OUALID, les
meilleurs tailleurs de l'ex- EL DJEZAÏR lorsque les autorités françaises
désirèrent alléger les vêtements trop lourds et trop chauds de l'armée pour le
climat du pays. Ainsi, appuya t-il Jacob BACRI dans son choix du seul édifice
religieux musulman déserté par son "Imam" pour le transformer
en église. Ainsi la mosquée centrale fut débaptisée après que les autorités
françaises l'eussent demandée au Grand Mufti qui répliqua :" Vous auriez pu la prendre. Vous nous la
demandez! Laissez moi vous l'offrir."
L'Eglise SAINTE-CROIX fut inaugurée, officieusement, par le
commandant en chef, DE BOURMONT, qui planta lui- même la croix, geste
symbolique de la FRANCE chrétienne en terre d'ISLAM. Elle sera confirmée, à
Noël 1832, par le Duc de ROVIGO.
YYY
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