La soirée elle se déroule comme prévu. Y a les morfals qui mangent en dansant, d’autres qui dansent en mangeant, des autres (c’est pas les mêmes) qui s’occupent de pas mettre le feu aux Horizons bleus, des autres (que personne y connaît) qui se tapent anisette sur anisette et que le retour à leur cabanon y va se faire en zig-zag, des gens bien élevés qui sont déjà descendus à la plage pour rendre tout c’qui se sont morfalé, et nous autres, les fils de ma mère qu’on est préposés à la boisson.
Bernard, il est préposé à Francette. Ces deux-là y se quittent plus. Y se prennent pour Colette et moi. Zarmah, y sont amoureux ! Qué amoureux ! Quand tu connais Bernard, tu vois dans ses yeux globuleux la lubricité en lettres majuscules. Et comme Francette, elle a pas froid aux yeux, la partie elle est gagnée d’avance.
--« Moi aussi elle m’a demandé si je voulais… » Même pas y me laisse finir ma phrase.
--« La niquer ? » Bernard, il est momifié.
--« Ouais, ouais ! Ma parole d’honneur ! »
Les yeux de Bernard y sortent de leurs orbites. Un chien devant le plus bel os du monde, un os de mammouth. Bernard y veut pas y croire. C’est trop beau pour être vrai. Jamais au grand jamais (purée, cette hérédité dans le langage !) il aurait imaginé, même dans ses rêves les plus obscènes qu’il allait revenir du cabanon sans son pucelage. Alors ? C’est sûr, ça risque de lui taper sur le système.
Tout ça, je suppute (quel vocabulaire de cucu la praline !) mais Francette, la première intéressée, elle reste bouche cousue sur l’éventualité du dépucelage de Bernard.
Bou ! Peut être j’ai trop parlé ! Si jamais, sa proposition elle s’adressait à moi et à moi seul, y va m’en vouloir à mort jusqu’à la fin de mes jours. Pourquoi mes jours, cinq dans ses yeux ! Ses jours à lui, je l’aime bien Bernard mais oh, y faut pas exagérer. J’y suis pour rien moi. Il a qu’à se la violer, la Francette en question ! Mais si y boude, j’aurais plus qu’à dire adieu à mon ami de toujours. Comme dans « amis pour la vie », un film italien destinée aux pleureuses de Bab El Oued.
Moi de toutes façons, je sais que je vais faire tintin. Avec des moments de chaude alerte mais, ch’uis prévenu, tintin jusqu’au mariage. Tant pis je vais signer dans un club ou m’engager dans la légion. Ou alors, je vais taper des études comme tous les babaos qui font intellectuels avec leurs cartables en cuir. c’est bizarre, hein, tous les étudiants qui travaillent bien, y sont laouères? Tous y se donnent un genre ou y sont vraiment larmah ? Moi j’ai pas besoin de lunettes. Comment je fais ? Allez pour ma petite chinoise, va pour les lunettes ! Tain de tête de tchic-tchic que je vais me payer. Tous les amis y vont se rouler par terre de rigolade. Le nouveau Darry Cowl, il habite Bab El Oued.
J’espère que ma petite chinoise elle jouera quand même de temps en temps du piano à quatre mains comme l’autre nuit sur la plage avec moi. L’espoir y fait vivre il a dit quelqu’un qui connaissait pas Colette, ses baisers qui étoufferaient un boeuf et ses tétés durs comme de la pierre. Aujourd’hui, c’est jour de ménage. L’aspirateur à baisers, il est de sortie mais ma mère elle est juste à côté. Je suis vert de honte. Heureusement, ma mère elle est tellement absorbée à griller les merguez que son fils y pourrait danser le french-cancan qu’elle continuerait à les tourner sur le feu.
Ce soir là, on a mangé comme des goinfres, on a bu (du Sélecto) comme des trous et on a bécoté comme des salopris que si nos mères elles avaient vu, illico presto, on allait en pension.
Chaque jour qui part en brioche y nous apprend quelque chose.
Premièrement, le mauvais sang à quoi ça sert ? Dites le moi vous que vous savez que dalle ! D’abord, la vérité de la palisse c’est que le mauvais sang ça sert avant tout à se faire le sang mauvais. Hé, oui ! Qui c’est qui peut dire le contraire ?
Deuxièmement, le temps y passe si vite (à peine quinze ans et déjà mon pucelage il a failli passer de vie à trépas en moins de deux), je suis déjà presque marié et demain j’aurais même pas le temps de me retourner que je serais mort. Laïstarna ! Cinq dans mes yeux !
Troisièmement, on dit que le temps c’est de l’argent. Alors moi je dis à quoi ça sert la richesse du porte monnaie ? La vérité, y vaut pas mieux la richesse du cœur comme elle existe au cabanon des gens heureux même qu’on sait même pas qui est plein aux as et ceux que le porte monnaie il a pas la peur du vide. La vérité, je préfère avoir des bons amis que des sous dans les poches. Ch'uis un grand philosophe quand je mange des merguez, on dirait. Je vais me mettre au régime ou sinon Colette elle prend peur.
A SUIVRE....................
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