jeudi 9 août 2012

HORIZONS BLEUS de Hubert Zakine

Voilà, la pluie et le ciel couleur tristesse y sont partis en croisière au large du littoral algérois. L’humidité elle est allée se faire voir ailleurs, là-bas ou Moïse il a perdu son bâton (Hé ouais, pourquoi c’est toujours le bon dieu qui perd ses savates).

Toute ensommeillée, Colette elle a tenu à partager son Elesca du matin avec moi. Je la regarde me préparer avec des gestes précieux mes tartines de pain beurré comme si elle était ma mère.

Serge, mon cousin d’Allemagne, mon  cousin germain quoi, y nage dans l’eau et dans la félicité avec une damoiselle qu’elle le rend damoiseau cucu la praline. Ya pas à dire, on est vraiment des parotes dans cette famille. Dès qu’une fille elle nous fait les yeux doux ou des tartines beurrées, on ressemble à des zombis. Hier encore, pour qu’il accepte de se baigner, y fallait analyser la température de l’eau, faire une règle de trois à savoir si elle lui convenait, pas trop chaude, pas trop froide, si elle était agitée, si elle était bleue, blanche ou rouge, enfin c’était un enquiquineur de première. Et là, parce qu’une fille elle lui demande de se noyer avec elle,  y se jette à l’eau sans même réfléchir. Cette famille, tu sais !

La mer normalement on n’y a pas droit parce que y’ a incompatibilité d’humeur entre la natation et le football, que les muscles du nageur y s’entendent pas avec ceux du footballeur. Et comme le football, pour nous c’est une seconde nature, devinez la suite. Seulement voilà. Comment dire à un enfant d’Algérie qui habite au bord de la Méditerranée en lui faisant les gros yeux :

--«  Tu vois cette étendue bleue qu’elle est douce et câline comme une maman de chez nous, tu touches pas si tu joues au football! Tu montes, tu descends, tu touches pas ! » ou bien :
--« Tu aimes taper la pancha dans la mer, c’est bien mon fils, tapes ! Mais si jamais je te vois un ballon dans les pieds, une jambe je te coupe ! ».

La vérité ! Tu peux pas décemment parler de la sorte à ton fils. C’est pêché pour des parents de chez nous.

Le football, on peut pas s’en passer. La natation aussi. Alors comme on dit chez nous et c’est sans doute les enfants d’Algérie qu’on a inventé cette expression :

« A la grâce de Dieu ! ».  Chez nous, le Bon Dieu, la vérité on le met à toutes les sauces. Sara, sara, on l’évoque. Pour un oui, pour un non, «  Que le bon Dieu y nous en préserve ! », «  Que Dieu bénisse ! », « Mon Dieu, comme il est beau ! » et des tas d’autres prières mais « à la grâce de Dieu » y remporte la palme de tous ceux qui sont sûr de rien du tout.

Tous ceux que la danse elle commence à leur courir sur le haricot (çuila qui peut me donner la version littéraire de cette expression inventée par un amateur de paste fazoule, je le décore de la légion d’honneur !), y se donnent rendez vous pour le deuxième match du siècle qui oppose les vieux contre les jeunes.  L’équipe des torses nus contre l’équipe des gros ventres.

Les femmes, sans pitié pour leurs maris, elles encouragent leurs « petits bébés adorés ». Encore un peu, elles leur feraient pas à manger si « les bébésso à leurs mères » y gagnent pas. Championnes des mauvaises langues, de la mauvaise foi et de la méconnaissance du football, rien qu’elles critiquent l’arbitre qu’elles mettraient bien en bouillie si elles en avaient le pouvoir. Surtout au début de la partie quand les « gros ventres » y nous amusent avec leur technique brésilienne. A toi, à moi, rien qu’y nous mettent dans le vent. Un coup de t’meniek par çi, un coup de zouzguèfe par là, le ballon, même pas on le voit en photo.

Seulement, l’équipe de nos pères, c’est là qu’on s’aperçoit que la bedaine elle leur pèse sur l’estomac. Que grâce à dieu et sans doute au diable mais surtout à leurs épouses qu’elles sont les reines de la cuisine, y mangent comme des morfals. Que la loubia, le couscous, les pâtes, les pitses, la calentita et tout et tout, ça fait pas des stokafitches. Que les femmes, elles les ont trop choyés, avec leur manie de toujours répondre « y vaut mieux faire envie que pitié » quand un « jaloux » y trouve que les maris y grossissent à vue d’œil.

« Cinq dans tes yeux, spèce de ficelle que tch’es ! »

C’est vrai tout ça mais quand on fait partie de l’équipe des « gros ventres », qu’on joue les fanfarons, qu’on parie que les jambes elles ont toujours vingt ans, que les petits mazozé à leurs mères, y vont se prendre la tannée de leur vie,  que la honte à la figure elle va les envahir, alors, mieux avant, on s’entraîne. Au bout d’un quart d’heure, les poumons y crachent. Nous autres, on dirait qu’on nous a mis une fusée là où je pense. Tac, on marque. Les adversaires, avec leurs gros ventres et leurs grosses voix, y hurlent « hors jeu ! » Qué hors jeu ! L’arbitre devant les insultes de nos mères, ça fait longtemps qu’il a pris la poudre de la scapète ou sinon, elles lui faisaient avaler son sifflet.          –« QUE HORS JEU ! ». On vocifère tous en chœur.

--« Hors jeu ! Un point c’est tout ! » y répète Monsieur Bensimon avec son regard de tueur. Quel voleur ! Dans son magasin de tissus, y doit voler un maximum sa clientèle. Pour lui, un mètre ça mesure quatre vingt centimètres ! Et si sa cliente elle rouspète, il lui fait ses gros yeux balala et la femme elle se sauve en courant.

Purée, si nos adversaires c’était des étrangers, y a bagarre générale. Seulement voilà, c’est nos pères, nos géniteurs, les maris de nos mères, les frères de nos tantes et de nos oncles, ceux qui nous donnent notre argent de poche, ceux qui nous font les gros yeux quand on fait une boulette (une parenthèse, en parlant de boulette, ma mère c’est la championne du monde et des alentours des boulettes ! voilà, c’est dit !) ceux qui nous paient la place au Majestic quand Charles Aznavour y vient chanter à Alger….. alors, va pour le hors jeu. On va pas jouer les mesquins quand même !

A la fin du match qu’on a gagné par abandon des gros ventres devant notre virtuosité et surtout à cause des femmes qu’elles ont eu peur de la syncope de leurs maris, on a tapé comme d’habitude le bain comme des sales qui veulent se laver sans savon.

Après, quand tout le monde on est beaux comme si on allait à un mariage, on s’est dégusté la tonne de petits rougets frits à la poêle (pourquoi toujours on dit frits à la poêle ? Comme si qu’on pouvait les cuire dans une lessiveuse ! ) Comme des abeilles, et vas y que j’te mange les rougets avec les mains, en se suçant les doigts comme des gros dégoûtants. Parce que le poisson chez nous, si tu manges avec la fourchette et le couteau soit tch’es une tapette comme Luc le coulo soit tch’es un mérate.

Colette, comme une femme elle me décortique le rouget et elle me le met dans la bouche comme si je suis unijambiste des bras. Même pas je me salis les doigts ! J’en peux plus. Si j’étais pas bien élevé, je roterais comme les arabes quand y z’ont fait un bon repas. Et ma mère, en bonne orientale qu’elle est, elle dirait :

--«  Bessarah, mon fils ! »

En langage patos ça veut dire « Que ça te profite ! » et en langage pied noir «  Que ça te profite mon fils, les yeux de mes yeux, la beauté à sa mère, que tu deviennes le plus grand docteur du monde ! ».

Seulement. ch’uis pas arabe et si je rote devant tout le monde, mon père y m’en donne une que tous les murs du cabanon y m’en donne plein d’autres.

Je les entends d’ici, les bien élevés : pourri, dégueulasse, tiassardo, demande pardon, j’en passe et des meilleurs. Alors, mieux ch’uis pas arabe. N’empêche, des fois, ça doit être bon d’être arabe. Surtout après un bon repas.
A SUIVRE...................

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