mardi 8 mai 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE,MON FILS!

Le lendemain, Norbert fit découvrir la ville à Richard. Comme à Alger, les jeunes s’emparaient des places, des devantures des cafés ou des jardins. C’était des grands éclats de voix, des rires à gorge déployée, des appels lancés à la ronde. Richard ne pouvait s’empêcher de penser à sa propre jeunesse qui se baladait avenue de la Bouzaréah et qui respirait la joie de vivre au soleil d’Algérie. Autant de ressemblance avec son passé l’étonnait bien plus qu’il pouvait et voulait l’exprimer. Il s’imaginait dans la vie civile, pourquoi pas à Netanya qui lui semblait une petite ville, au bord de la grande bleue parsemée de palmiers et regorgeant d’accent pied noir.

-- Ici, c’est comme là-bas. Une petite Algérie en Israel. C’est là qu’il me faut habiter, nulle part ailleurs.  Richard avait trouvé son ile de paradis.

Sitôt après le déjeuner, les deux garçons prirent congé car le chemin était long pour regagner leurs bases militaires respectives. Remerciements et embrassades pour Richard avec promesse de revenir passer un shabbat, une salve de baisers maternels et des recommandations familiales pour Norbert, les deux garçons eurent droit au verre d’eau, coutume empruntée à la communauté d’Algérie qui voyait chaque départ salué par le jet d’un verre d’eau sur les pas de celui qui partait, comme une promesse de retour au bercail.

Il en avait des choses à raconter aux deux femmes de sa vie. Et à son père qui s’accommoderait tellement bien de la vie israélienne avec les cafés ouvert sur l’amitié, les vieux qui radotent des histoires anciennes en arabe, les parties de cartes hautes en couleurs, de dominos dont le claquement sec rappelle la basse casbah d’Alger ou de jacquet au théâtral lancer de « tchic-tchic ». Oui, il était certain que la vie lui serait plus douce avec des gens qui lui ressemblaient par le verbe et la faconde. Par l’accent aussi. Et sa douce qui ne respire que pour les siens, qui ne vit que pour entendre un compliment sur ses « petits », qui se meure d’inquiétude au moindre rhume ou à la moindre bosse d’un de ses enfants, comment s’adapterait-elle à cette nouvelle vie, plus âpre, plus dure, plus cruelle aussi mais surtout plus riche, plus exaltante, plus belle ? Toutes ces questions se bousculaient dans l’esprit de Richard sans s’affranchir de l’épineux problème que lui posait la belle Carmen.

*****

Moïse Zekri attendait Carmen depuis bientôt une demi-heure et cela avait l’air de l’agacer souverainement. La porte de son bureau s’ouvrit prestement sur une Carmen pas mal essoufflée.

-- Pardon, monsieur le rabbin. Mais mon père y m’a fait un de ces pataquès. Il voulait que je reste à la maison pour aider ma mère à faire les mounas pour mardi. Et comme je suis quand même sortie, y croit maintenant que je vais voir un autre garçon que Richard.

Devant l’air dépité de Carmen, le rabbin rentra sa colère pour ne plus penser qu’au problème moral posé par la conversion de la jeune fille.

-- Cela me laisse supposer que ton père n’est toujours pas au courant de ton projet de conversion au judaïsme ?

Devant la réponse négative de Carmen, le rabbin s’assit à son bureau et prévint :

-- Ecoute petite, je ne veux en aucune manière aller à l’encontre de ton désir. Je suis même prêt à t’aider dans tous tes projets et même à te donner des cours particuliers mais jamais contre l’avis de tes parents. Tu dois les mettre au courant. Et qu’ils soient d’accord.

Devant la rébellion de Carmen, Moïse Zekri continua :

-- Dis toi bien que la pilule sera dure à avaler pour eux et il vaut mieux les mettre au courant. De toutes manières, rien ne se fera sans l’assentiment des tiens.

--Ca se voit que vous ne connaissez pas mon père! Conflit il y aura, c’est sur et certain.

-- je te le dis et je te le répète, je suis à ta disposition pour rencontrer tes parents, je ne peux pas faire plus, ma fille !

Richard était bien loin de se douter de ce qui se jouait à Cannes. Loin de l’armée israélienne, des cailloux de Galilée et de l’euphorie de la victoire, Carmen se débattait seule face au problème posé par la révélation à son père de son désir d’embrasser la religion juive. Richard était tout à son bonheur de vivre cette expérience merveilleuse malgré les kilomètres qui le séparaient de sa famille et de sa belle. Ses lettres respiraient la joie de vivre, ses mots débordaient d’enthousiasme, son humeur côtoyait le bonheur et chaque lettre reflétait la jouissance qu’il ressentait à vivre ces instants. Sa mère lisait et relisait les récits de son soldat de fils qui ne parlait jamais des corvées, des gardes, des patrouilles, de la chaleur, pensait-elle pour ne pas la tourmenter. Mais il fallait bien qu’elle se rende à l’évidence, Richard, son fils ne cachait aucun mal de vivre, aucune rancœur ni contrariété, il était simplement heureux.

Carmen aurait voulu prendre le temps d’amadouer sa mère avant d’en parler à la maison, d’expliquer son engagement envers la religion de Richard pour pouvoir tout partager avec son mari, sans brusquer ses parents dont elle était fière de l’éducation et des valeurs qu’elle avait reçue. Fière du nom qu’elle portait et de ses aïeux qui ont fait d’elle ce brin de femme en devenir, fière d’être pied noire comme ses parents et sa famille sur plusieurs générations, fière que son père ait combattu pour la France contre la barbarie nazie, fière enfin d’être leur fille, tout simplement.

Et à présent, alors que son amoureux se trouvait à des milliers de kilomètres occupé à d’autres tâches, incapable de la soutenir ne serait-ce que moralement, elle se heurtait à un problème dont elle repoussait l’échéance tant que cela était possible. Mais le couperet venait de tomber avec l’ultimatum du rabbin Zekri et il était temps d’affronter son père.

Mille fois, elle avait imaginé cette entrevue face au regard désapprobateur du père. Sans parler de celui de sa mère car elle savait que la mansuétude qui habite le cœur d’une maman d’Algérie se désagrège face à la religion reniée. Une religion tant de fois encensée par ses fidèles dans toutes les églises du pays natal et au-delà de l’indépendance, dans toutes les familles privées du droit inaliénable d’honorer les morts restés de l’autre côté de la méditerranée. Une religion ancrée dans les cœurs dès la naissance, poursuivie lors de la communion solennelle et plus tard, par le mariage sous la bénédiction du curé du quartier.

Alors, le chemin semblait long et difficile pour celle ou celui qui désirait transgresser l’ordre établi du mariage dans sa rue et dans sa chapelle. Il fallait oublier des années de fêtes, de célébrations, de messes et bénédictions ; il fallait renoncer à des souvenirs tenaces que l’âge adulte rend désuets mais que l’enfance tente de retenir comme cette croix d’or offerte par la vieille grand mère qui dort sagement sous les pins de Saint-Eugène. Il fallait surtout faire de la peine et provoquer la colère de la famille en tournant le dos à des leçons mille fois apprises sur l’identité civile et religieuse.

Il était cinq heures. Un samedi comme les autres avec les courses et la traditionnelle promenade au bord de la mer. En attendant le retour du père parti faire sa belote au café du coin, Carmen espérait profiter d’être seule avec sa mère pour s’en faire une alliée.

-- Je serais toujours à tes côtés mais si ton père est contre toi, je me vois pas aller contre lui. Surtout que c’est pas une mince affaire que tu me demandes là.

Et la maman de Carmen ignorait la future conversion de sa fille qui se trouva dans l’obligation d’avouer son projet.

-- Mais tu es folle ! Tu es catholique, tu restes catholique ! S’il te veut, y doit te prendre comme tu es. Je croyais que tu voulais seulement l’épouser, pas t’attacher pieds et poings liés.

-- Mais quand on se marie, c’est pour la vie. Alors on est de toute façon liés jusqu’à la mort.

-- Enfin, tu verras avec ton père mais moi déjà, je te dis que c’est de la folie.

Carmen avait compris qu’il ne fallait pas insister auprès de sa mère. Son père, et lui seul, tenait entre ses mains son avenir. Car elle savait bien que sa douce suivrait le chemin qu’emprunterait son époux. Un chemin semé d’embuches que seul l’amour pouvait dégager même si la pilule serait dure à avaler pour ses parents. Elle avait déjà songé au refus paternel et des conséquences qu’il entraînerait. Mais la qualité première de Carmen était la ténacité. Sa mère le savait. Elle avait souvent loué son caractère d’acier qu’elle avait hérité de son père. Comme elle répétait souvent en parlant de sa fille et de son mari : « les chats ne font pas des chiens ». Mais à présent, il s’agissait d’une toute autre affaire qu’une banale différence d’appréciation. C’est de son père qu’il s’agissait, qu’elle considérait toujours comme son héros, qui l’avait mené sur les chemins fleuris de son enfance puis de son adolescence et qui avait bousculé son drame personnel pour franchir la méditerranée. Comment faire entrer dans la discussion la raison du cœur sans prendre en compte l’amour d’une fille pour ses parents. A l’opposé, comment des parents forts de leur expérience et de leur statut s’acquittent-ils du sentiment de leur enfant en proie au vertige de l’amour.

Comment fermer les yeux sur la déception provoquée par le choix de Carmen, le renoncement de l’éducation reçue sur la voie tracée par ses parents, le risque de mettre le feu dans une famille qui avait réussi à se dédouaner de deux terribles coups du sort, l’exode succédant au décès du fils. Toutes questions en tête, Carmen fut surprise par le sifflet de son père, caractérisé par un triple trémolo qui le faisait reconnaître entre mille.

Papa Solivérès semblait de très bonne humeur quand il prit sa fille dans ses bras pour l’embrasser ce qui eut le don de la désarmer. Un rapide coup d’œil à sa mère lui suffit pour comprendre l’état d’esprit ambiant. Aussi, elle demeura interdite. De toute évidence, le moment était mal choisi. Le week end lui offrirait certainement d’autres possibilités de parler à son père sous le regard bienveillant de sa mère.

A SUIVRE.................

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