mardi 29 mai 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE, MON FILS! de Hubert Zakine

Richard profita de cette fin de semaine sans permission pour écrire à ses amis qu’il avait un peu négligés ces derniers temps. Il replongea dans l’amitié de l’enfance évoquant des souvenirs d’hier vite rattrapés par sa nouvelle vie. Il se rendait compte que son nouveau pays prenait de plus en plus de place dans son cœur. Le technicolor supplantait le noir et blanc mais sans toutefois le rendre suranné. Tout au long du lent cheminement de sa plume, les mots s’alignaient, joyeux lorsqu’ils décrivaient la vie présente en Israël mais, teintée de nostalgie et d’amertume, lorsqu’ils évoquaient le temps passé de l’Algérie. Son bonheur était à ce prix. Tantôt gai, tantôt triste, il chassait la noirceur de ses pensées en relisant les lettres de sa mère paraphées par la signature de son père qui s’excusait presque de ne pas savoir dire les mots chaleureux. Richard commençait à se débrouiller en hébreu, celle langue ressuscitée d’entre les morts pour redonner vie à un peuple qui l’adopta comme un naufragé s’accroche à une bouée. Alors, de temps en temps, au détour d’une phrase, mêlant le français et les quelques mots de judéo-arabe qui fleurissaient son langage, il aimait glisser des expressions israéliennes dans ses lettres comme dans ses conversations. Il apprit aussi que Roland avait ouvert un salon de coiffure pour dames à Paris, que Jacky travaillait toujours en famille dans le Xème arrondissement auprès de son père et de son frère ainé et que Paulo arrondissait ses fins de mois aux bras de jolies femmes mûres. Cela ne laissait guère de place au rêve du partage de l’amitié et du projet de vivre en commun une nouvelle existence au soleil d’Israël. Mais, il avait besoin de les sentir proches d’autant que Victor venait d’être transféré en basse Galilée.

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Le soleil brillait de mille feux et déjà la méditerranée, cuirassée d’argent, faisait les yeux doux aux cannoises en leur proposant ses plages désertées pendant la pause hivernale. Léon Benaïm, comme tous les matins, descendait « taper un bain » sur la croisette. Là, il refaisait le monde avec ses amis, des gens d’Afrique du Nord, porteurs d’un accent reconnaissable entre tous, qui traînaient leur mal de vivre loin de la terre natale. Ils avaient pour certains un regard perdu par delà les nuages à la recherche d’un temps révolu qu’ils tentaient de rattraper en racontant de manière ininterrompue leur jeunesse enfuie. D’autres, les plus nombreux, débitaient un flot de paroles, riant à gorge déployée à la moindre plaisanterie, s’étourdissant de bruit et de fureur comme s’ils continuaient à « taper cinq » pour preuve de vie. Léon se délectait de ces instants de bonheur arrachés à la morosité ambiante qui enrobait chaque journée du déraciné. Il remerciait le ciel d’avoir sa famille auprès de lui contrairement à certains de ses amis abandonnés sur la longue route de la vie et qui trouvaient dans cette camaraderie spontanée l’agrément de leur existence. Ne lui manquait que son fils dont l’absence lui était insupportable mais il refusait de s’en plaindre pour, d’une part, conjurer le mauvais sort et d’autre part, pour oublier cette angoisse qui le tenaillait mais qu’il gardait secrète. Car un homme issu des jardins d’Arabie ne laissait pas paraître ses sentiments sans dévoiler sa faiblesse. Il faisait partie de cette race d’hommes façonnés par une vie de labeur, qui ne se plaignait jamais devant autrui, mesurant sa besogne non pas à la sueur de son front mais à la satisfaction de sa famille et au respect que méritait son travail.
Alors chaque jour, au rendez vous de l’amitié, il se prélassait au soleil de la méditerranée entouré de ses compagnons de jeux. Car, à cinquante ans comme jadis dans sa ville natale, il jouait à la belote, au volley ou au football sur la plage comme un enfant qu’il n’avait jamais cessé d’être.

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Joseph Solivérès aimait se promener dans le marché de Cannes La Bocca qui lui rappelait celui de Perrégault avec ses étals de poissons qui parfumaient tout le quartier. Le dimanche matin, il commençait par une visite chez le coiffeur algérois Di Mauro, histoire de discuter avec lui du pays puis après un tour chez son ami d’enfance Sauveur Roméo pour prendre le pouls de la communauté pied noire, il terminait au Café de la Gare chez Paulo l’ex-cafetier de Sidi Bel Abbès installé depuis 1962 à Cannes La Bocca. Après cette cure de jouvence improvisée, il rentrait à son domicile retrouver sa petite famille occupée à préparer le repas dominical.
Carmen avait préparé le terrain auprès de sa mère qui s’était défaussée sur son époux pour ne pas causer de la peine à sa fille adorée. C’était le grand jour où tout aller se décider. Le cœur battant et l’angoisse au bord des lèvres, elle espérait que la discussion ne s’envenimerait pas mais connaissant son père, elle n’en mettait pas a main au feu. Quant à Rosette, sa mère elle savait qu’il lui faudrait beaucoup de doigté afin de calmer le jeu avec ses deux « têtes de mules » qui allaient s’affronter.

--« Joseph ! Ta fille, elle voudrait te parler. Mais, mieux tu te cales bien dans ton fauteuil parce que ça risque de te faire bondir. C’est pas une demande ordinaire. Je dirais mieux, c’est une demande extraordinaire. Mais je t’en supplie, restons calmes »
--« Allez qu’est ce qu’elle me veut encore ? »
Carmen avait préparé son discours mais, devant son père, aucun son ne sortit de sa bouche. Elle regarda sa mère, chercha un encouragement qu’elle attendit en vain. Alors, elle prit son courage à deux mains et exposa son problème. A l’effarement qui figea le visage de son père, Carmen comprit que le message avait été reçu. Délaissant sa fille, papa Solivérès se tourna vers sa femme, y cherchant une raison de douter des mots prononcés par son enfant. Devant la mimique qui confirmait les propos entendus, il dut se rendre à l’évidence : il n’avait pas rêvé.
--« Mais tu es folle ! D’abord tu veux te marier avec un juif ! …..admettons .... bien que… ! Et maintenant tu veux renier ta propre religion…..tant que tu es, renies tes parents, renies ta mère, ton père, mamie, renies tout ce qu’on t’a appris. »
--« Mais je renie rien du tout ! C’est simplement que ce sera plus facile si j’entre dans la religion juive….. »
--« Pourquoi faire ? Pour être plus intelligente. Plus riche. Plus quoi ? »
--« Plus rien, papa. C’est simplement pour être en harmonie avec mon mari, avec mes enfants…… »
--« Avec ta belle famille surtout. Et nous dans tout ça, tu nous mets au placard ? »
Carmen eut une moue d’agacement ce qui eut le don d’énerver son père
--« Oui, nous on te comprend pas. Parce qu’on dit pas amen à tout. Ecoutes moi bien, si tu te fais juive, tu es plus ma fille. Comme ça, j’aurais plus d’enfants…..
--« Hou, que Dieu nous en préserve. Ma fille, sois raisonnable. Tu veux que ton père il ait une attaque ? »
--« Une attaque. Et pourquoi tu veux que j’attrape une attaque. Rien que ça y manque. Débrouilles toi avec ta fille. Moi j’ai tout dit, basta ! »
Rosette prit Carmen par le bras, l’entraîna vers la cuisine et continua la conversation en lui faisant la leçon.
--« Tu peux pas te contenter de l’épouser ton Richard. Ça te suffit pas pour être heureuse ? Tu veux tout envoyer promener de ton ancienne vie ? Tes parents y sont catholiques et toi tu es comme eux. Personne y peut rien changer et surtout pas ton rabbin de malheur. Ou alors, ton père et moi, tu fais une croix dessus. C’est ça qu’tu veux ? »

Carmen avait laissé parler ses parents sans intervenir mais elle avait enregistré le message. Le mariage était consenti du bout des lèvres grâce au travail de sape qui semblait avoir fini par payer. C’était le principal. Parvenir au bout de son ambition sans faire du dégât au sein de sa famille était une toute autre affaire.
Elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait ni ne voulait un clash avec ses parents mais l’ultimatum du rabbin dressait un obstacle qui paraissait infranchissable.

A SUIVRE..............

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