samedi 21 avril 2012

LE DESTIN FABULEUX DE LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de hubert zakine

Abandonnant la voie maritime après les avaries causées au brick de Nathan MIGUERES par le bombardement d'EL DJEZAIR, Léon Juda prit la route côtière, familière à tous les marchands et colporteurs du pays. Sous l'aurore apaisante d'un ciel en feu, la caravane s'ébranla au milieu d'un charivari commun à tous les départs, des cris du maître chamelier aux insultes du meneur de mulets têtus qui refusaient d'avancer, des disputes entre cavaliers et bergers, des hennissements des chevaux qui piaffaient d'impatience sous le harnais aux meuglements des bêtes à cornes, toute la ville résonnait de ce brouhaha.

Depuis son plus jeune âge, Léon Juda aimait les premières lueurs de l'aube, quand le chant des oiseaux troublait le silence assourdissant d'une nuit d'été. Quand le corps engourdi de sommeil s'invitait aux noces d'une brise légère qui véhiculait les parfums de la mer et de la campagne humide avec un lever de soleil tourmenté qui hésitait à sortir de son lit sauvage aux milliers de reflets argentés.. Quand, un verre de "kawah" à la main, les pieds nus sur un sol frais et le regard perdu vers des souvenirs égarés dans les étroites dédales de l'existence, il humait son pays, ses essences de jasmin et de menthe sauvage, d'eucalyptus et d'orangers en fleurs, de figuiers de barbarie et de fleurs d'anis. Quand sa mère, Aïcha, sa grand- mère, la petite mémé, sans un mot et sans un bruit, lui jetaient un cafetan sur ses épaules nues dans un geste protecteur et délicieux pour elles et pour lui.
David DURAN, son père, lui avait appris au-delà des connaissances écrites, le savoir avec un S majuscule. Le savoir- regarder et le savoir-écouter, le savoir-aimer et le savoir-être aimé, le savoir-donner et le savoir-recevoir, réunis en un immense chapelet de petits bonheurs qui cadençaient les sentiments de Léon Juda au rythme de sa vie.

Après une halte au port d'ARZEW pour l'approvisionnement d'une frégate en partance pour GIBRALTAR, Léon Juda longea la route intérieure de la Macta en direction de MASCARA, chargeant son jeune frère Haïm de négocier la vente de plumes d'autruches avec le représentant du Sultan du MAROC.

Ces ornements de turbans et autres tenues d'apparat des sultans, beys, aghas, caïds ou aristocrates civils et militaires du Maghreb attisaient la convoitise de ces dignitaires soucieux de renforcer leur prestige par de magnifiques artifices vestimentaires.

La maison de Chérif MAHI ED DINE, nimbée de cette lumière bleutée si particulière à la chaux blanche qui en recouvrait les murs, se baignait dans un délicat coucher de soleil orangé, offrant l'illusion d'une demeure imaginaire des mille et une nuits que lui décrivaient, jadis, les récits de sa mère et de la petite mémé.

Il souleva l'épais "haïk" brun rayé de blanc, de rouge et de noir qui filtrait l'air frais de cette fin de journée et retenait, au dehors, la chaleur étouffante du soleil à son zénith.

ABD EL KADER étudiait à la lueur bleuâtre d'une lampe à huile dont l'ombre portée donnait, à la pièce, l'apparence d'un bateau ivre.

L'enfant leva son regard bleu vers le protégé de son père.
-"Salam, Léon! Sois le bienvenu dans la maison de MAHI ED DINE!"
--"Shalom, ABD EL! Je bénis, et ALLAH avec moi, la demeure de ton père!"
--"En son absence, je suis chargé de t'accueillir et de t'offrir l'hospitalité!"
Ce cérémonial fit sourire Léon Juda.
--"Le voyageur harassé qui se tient devant toi te remercie et demande à son hôte si le Marabout de la GUETNA sera présent demain à mon réveil ?"

L'enfant referma son livre de prières et invita l'ami de son père à le suivre jusqu'à l' "outak", grande tente recouverte de peaux de bêtes réservée aux visiteurs de marque.

ABD EL KADER et Léon Juda se livrèrent une grande partie de la nuit aux commentaires conjugués et comparés des versets sacrés du CORAN et des commandements de l'ANCIEN TESTAMENT, constatant, dans un dernier bâillement, la similitude de pensée des deux religions.

C'est avec grande déférence que Léon Juda accueillit le père d'ABD EL KADER sous sa tente où trônait le chandelier à sept branches qui ne le quittait jamais depuis sa majorité religieuse. L'entretien se déroula dans une atmosphère de franche complicité oscillant entre la relation amicale et la négociation commerciale.

Devant le sérieux et l'efficacité de son interlocuteur, le seigneur des "hachem" avoua sa satisfaction de voir honorer une parole si difficile à respecter dans ce pays où la prévarication tenait lieu de respiration.

La confortable commission versée par le jeune chef de la Maison DURAN à MAHI ED DINE scella définitivement leur collaboration.

Cette main mise sur le commerce local rendit furieux Jacob BACRI, passé, en quelques mois, de la position enviée de maître d'ORAN où il ne possédait pas moins de sept maisons tenues par des membres de sa famille, à une condition de simple intermédiaire.

MAHI ED DINE, de son coté, se frottait les mains. Chef spirituel dont les ressources financières servaient avant tout à nourrir les membres de sa tribu et les bédouins de passage, il se réjouissait de la chute de la Maison BACRI du Beylick de l'Ouest dont "LA ZIZA ", bateau pirate notoirement armé par Jacob BACRI, écumait la cote oranaise pour, ensuite, régner sur la revente des marchandises "réquisitionnées" par son équipage.

Homme droit et vertueux, le vieux marabout de la GUETNA avait toujours combattu ces pratiques mais l'opportunité de démettre BACRI de son emprise sur le commerce régional ne s'était jamais présentée.

Quant aux deux protagonistes israélites qui se livraient une lutte acharnée pour le pouvoir, ils mesuraient l'immensité du gouffre qui les séparait.

Jacob BACRI rejoignit le "vieux" en EL DJEZAIR pour mettre en place une politique offensive contre l'expansionnisme des frères DURAN dont Haïm, le frère cadet, résidant permanent d' ORAN, savourait cette réussite, lui qui subissait depuis des années, les malveillances et les vexations du clan BACRI. Mais le "Vieux" Joseph intima l'ordre à sa famille de l'Ouest de déplacer ses activités vers le Beylick de CONSTANTINE et les ports de BEJAIA et d'ANNABA en oubliant, pour le moment, la Maison DURAN.

Malin comme un singe, le Patron des BACRI espérait ainsi asphyxier l'Oranie livrée à elle-même, coincée entre le MAROC et les provinces qui dépendaient de sa Maison. Il imaginait les difficultés d'approvisionnement rencontrées par des caravanes obligées de contourner les voies terrestres existantes, afin d'éviter les dîmes de passage que ses partenaires ne manqueraient pas d'augmenter sur son avisé conseil. Le fret maritime coûtant fort cher, ce moyen de transport amoindrirait, à n'en pas douter, le patrimoine de son concurrent devenu adversaire puis ennemi.


A SUIVRE..........................

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