dimanche 15 avril 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE, MON FILS de Hubert Zakine

La traversée se passa sans histoire. Elle lui rappela celle d’Alger qui le déposa sur les quais de Marseille. Mais cette fois à l’instar des juifs de l’Exodus, il avait le cœur empli d’espoir et de fierté. Il essayait de chasser les mauvaises pensées pour ne se livrer qu’au bonheur présent. Il serait bien temps de fermer les yeux pour revoir le visage de sa belle ou d’imaginer sa douce, sa mère chérie souffrir en silence sous le regard de son père, la sérénité feinte et le sourire aux lèvres. Oui, il avait bien le temps d’entrer de plein pied dans sa vie d’adulte. Pour le moment, il était face à son destin, un destin qu’il désirait israélien, avec les siens, frères d’armes ou simples civils, un destin qu’il s’était choisi et qui s’écrivait en lettres d’or au fronton de son ambition.

Sitôt en terre sainte, Richard se rendit au bureau de l’agence juive en pleine effervescence. De très nombreux candidats à l’alyah s’y pressaient, encouragés par la campagne de propagande du pays après la victoire des six jours. Mais Richard avait bien préparé son affaire, aidé en cela par Victor qui l’avait précédé de quatre mois. N’ayant d’autre famille, Richard avait reçu la date de son incorporation et une somme d’argent représentant une double solde mensuelle, une participation aux frais et paiement des éventuelles factures. Soulagé de ces taches matérielles, il plongea dans sa nouvelle vie avec délectation.

Les premières semaines se déroulèrent comme dans un rêve, le corps épuisé mais le cœur rayonnant, l’esprit en alerte et les muscles tendus. Seuls les cours du soir en compagnie des nouveaux arrivants l’obligèrent à puiser dans ses réserves de sommeil car au-delà du supplice d’appréhender l’hébreu, il se plia avec plaisir à toutes les obligations. Et surtout à celles du courrier échangées avec les deux femmes de sa vie. Ses soirées se partageaient entre le parfait compte rendu de ses faits et gestes que l’angoisse de sa mère réclamait et les lettres d’amour que lui inspirait Carmen. Parfois, il se rendait à la cantine, histoire de confronter ses impressions avec celles de ses camarades, pour la plupart, natifs du pays.

A sa mère, il parlait de ce blidéen qui partageait sa chambre et cette fierté qui l’habitait lorsqu’il endossait l’uniforme de l’armée israélienne, ces nuits parsemées d’étoiles et ces sous-officiers auréolés de la victoire des six jours qui leur racontaient leur glorieuse épopée, les filles soldats les unes plus belles que les autres et leur engagement.

--« Ton fils, il est amoureux d’une petite israélienne, je le sens ! »

--« Raouèd et radaouèd ! Tu devrais t’installer comme voyante. Madame Irma, elle a plus qu’à aller se rhabiller. Ton fils à peine y demande l’heure à une fille, tu le vois marié et père de famille. Yaré, yaré ! »

La casbah d’Alger parlait par leur bouche. Toutes les phrases, toutes les ponctuations, tous les propos sentaient bon les épices et le quartier de leur jeunesse. Doté d’une foi inébranlable en sa communauté ancrée dans des croyances ancestrales, Léon Benaïm avait parcouru la vie sans jamais renoncer à la devise de sa Maison : « Tout est écrit ». La douceur personnifiée, sa femme se demandait encore et toujours comment il avait pu participer au conflit 39-45 sans tirer le moindre coup de feu. C’est pourtant ce qu’il fit en se voyant enrôler comme tailleur auprès du Général Juin. Mais cette époque était révolue et son fils portait à présent l’uniforme israélien. Heureusement, la guerre des six jours était bel et bien derrière lui et il semblait que le calme était installé pour longtemps dans la région. Dans ces conditions, il avait approuvé l’engagement de son fils dans l’armée israélienne en estimant que servir sous la bannière étoilée serait le passage obligé d’un enracinement dans ce pays. Car il était persuadé que son avenir comme celui de ses frères aboutirait fatalement à cette promesse inscrite dans le cœur de chaque enfant d’Israël : l’an prochain à Jérusalem.
Carmen partageait son temps entre ses études et les cours dispensés par le rabbin Zekri entrecoupés par les étapes de lèche-vitrine auprès de sa mère. Sa mère qui appréciait ces instants choisis essayait de distraire sa fille mais se heurtait à sa détermination lorsque la discussion croisait l’avenir des deux enfants.

--« Maman, si ça ne tenait qu’à moi, j’irai m’installer là-bas pour être près de lui. »
--« Mais ma fille laisse le faire son service militaire et après le bon dieu il est grand ! »
--« Tu dis ça comme pour dire le destin y nous appartient pas. »
--« Bien sur, y nous appartient pas ! Qui peut dire ce qu’on sera dans trois ans. Tu peux toi ? »
Et la discussion repartait pour un tour sans que chacune ne trouve oreille plus complaisante ni plus humaine. Bien sur, Rosette Solivérès souffrait de voir les sentiments de sa fille mis à rude épreuve mais elle ne désirait pas entrer dans son jeu et mettait toute son expérience à détourner les questions embarrassantes.
--« Allez ! Laisses moi profiter de ma journée de détente avec toi ! »
Quant à papa Solivérès, il évitait soigneusement les discussions sérieuses avec sa fille. Autant dire que Carmen s’enfonçait dans une solitude imposée qui ne lui déplaisait pas. Elle se dessinait ainsi un destin qui lui collait à la peau et ne rencontrait aucune contestation. Son père préférait n’écouter que la voix de la raison. De sa raison. Il ignorait tout du projet de conversion de sa fille qui se débattait dans un océan de perplexité. A la complexité de son engagement envers le judaïsme venait se greffer les multiples questions relatives à Richard. Tant que la vieille devise qui accompagnait la Maison Benaïm lui revenait comme une litanie : à chaque jour suffit sa peine.


A SUIVRE......................

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