mardi 3 avril 2012

LA RUE MARENGO / SOUVENIRS DE SERGE TIMSIT

La casbah d'Alger (ou vieille ville) est construite sur une colline et limitée par le boulevards Gambetta au sud, le boulevard de la Victoire à l'ouest, le boulevard de Verdun au nord et les rues Bab El Oued et Bab Azoun à l'est.
La rue Marengo en est une rue principale. Elle est avec la rue Randon, dont elle est le prolongement, la seule rue où peuvent circuler des véhicules (à l'exception des rues qui se trouvent à la marge de la basse casbah telles que la rue de la Lyre ou la rue de Chartres). Ces deux rues traversent la Casbah en son milieu depuis l'Opéra jusquà la Rampe Valée (en fait jusqu'à la rue Ben Cheneb qui ne fait qu'une trentaine de mètres) et en constituent l'épine dorsale. Elles se rencontrent au niveau de la grande synagogue d'Alger que nous ne fréquentions pas assidûment (juste pour Yom Kippour, pour les bar mitzva et pour les mariages) et du marché Randon où nous nous approvisionnions quotidiennement. De chaque côté, partent d'autres rues plus ou moins larges et toutes en escaliers puisqu'elles épousent plus ou moins la ligne de plus grande pente de la colline (rue Porte Neuve, rue des Getules, rue Salluste, rue Boulabah, rue de Toulon, rue de la Casbah, ....).

La rue Marengo était d'ailleurs pratiquement la seule rue commerçante de la casbah, les livraisons des commerçants se faisaient par des grandes charrettes tirées par un ou deux chevaux. C'est ainsi que, par exemple, les sacs de 50 kg de farine étaient livrés à notre boulanger. Des hommes chargeaient les sacs sur leur dos et les descendaient jusqu'au four de la rue de Toulon. Pendant le déchargement, les chevaux etaient nourris ; on installait devant leur gueule, un sac de son attaché à leur cou, et, pour obtenir une gorgée de ce son, ils donnaient un grand coup de tête en arrière, et, ainsi, ils perdaient parfois, une partie du contenu de leur sac.

Les ordures ménagères, également, étaient ramassées par des éboueurs et versées à l'arrière d'un camion à ciel ouvert. Un employé, chaussé de bottes, se tenait sur la plate-forme arrière du camion, les étalait avec une pelle et les piétinait pour les entasser. Ce mode de ramassage est vrai pour la rue Marengo, mais pour les autres rues en escaliers, le ramassage des ordures ménagères se faisait à dos d'âne. Les ânes portaient sur leur dos un double panier qui pendait de chaque côté de leur dos et l'éboueur qui l'accompagnait remplissait ces paniers au fur et à mesure de sa tournée.

Au marché, nous avions un fournisseur principal, Rachid, chez lequel nous achetions, notamment, des fèves, des petits pois que nous gouttions avant d'acheter (il fallait qu'ils soient bien pleins, avec des grains pas trop gros et qu'ils soient doux et tendres au goût), des artichauts (violets, bien sûr).... le tout par pleines corbeilles. Et lorsque, arrivés en France, nous avons découvert qu'on achetait les légumes et les fruits à l'unité, nous étions tout étonnés.
La rue Marengo, comme la rue Randon, grouillait de monde et les quelques voitures qui y passaient avaient énormément de mal à se frayer un chemin ; elles étaient souvent obligées de rouler presque à l'allure des piétons qui encombraient la chaussée. La priorité revenait, de fait, aux piétons.

Dans la rue Marengo, il y avait environ 55% de musulmans, 40% de juifs et 5% autres (catholiques ou protestants). Mais compte-tenu de la description qui vient d'être faite, je dirais qu'entre le 20 et le 36 de la rue Marengo (il n'y avait plus de logements au delà), il y avait 80% de juifs, 19% de musulmans et 1% autres. Tout ce monde vivait en harmonie, et même si, au niveau des mariages, il n'y avait aucune mixité, chacun respectait l'autre et les relations de voisinage étaient excellentes. D'ailleurs toutes les fêtes étaient célébrées par tous. A Noël chaque enfant avait au moins un jouet, quelle que fût sa religion (c'était déjà devenu une fête païenne), et pour les Rameaux, on voyait les petits arabes (c'est comme ça qu'on appelait les enfants musulmans) endimanchés se promener avec des rameaux factices. Aujourd'hui, même les catholiques ne le font pas. Et pour le Ramadan, nous mêmes, dès quatre heures et demie, nous nous mettions à la fenêtre, attendant avec impatience le coup de canon qui mettait fin à la journée de jeûn. Et cinq minutes après ce fameux coup de canon, la rue, alors pleine de monde, se transformait en désert pour reprendre vie dans la soirée pour une longue nuit.
Et bien sûr, nous profitions de toutes les douceurs fabriquées par nos voisins à cette occasion.

Dans la rue, les 'petits arabes' avaient trois jeux principaux :

- le cerceau, ils utilisaient toutes sortes de roues en métal telles que, par exemple, les cerceaux des tonneaux et les guidaient avec un fil de fer qu'ils avaient façonné à son extrémité,
- la marelle, souvent dans sa forme spirale,
- et surtout, la carriole qu'il confectionnaient avec des planches de bois et des roulements à billes. Une planche de bois servait de siège, sous cette planche, à l'arrière, un essieu de bois aux extrémités duquel étaient fixés deux roulement à billes. Devant, la planche était prolongée, en son milieu, par un planche plus étroite sur laquelle était fixée, en travers, une planchette mobile avec un roulement à bille. C'est cette planchette qui permettait d'orienter la carriole. Les 'petits arabes' conduisaient leur carriole avec les pieds sur cette planchette ou avec une ficelle attachée aux extrémités de la planchette. Lorsque la pente de la rue le permettait, par exemple en partant du 29 vers le marché Randon, ils fonctionnaient seuls ; sinon ils se faisaient pousser par un de leurs camarades.

- Pour la fête de Mouloud, ils jouaient également avec des pétards. Il y en avait de deux sortes :
-les pétards classiques destinés à faire du bruit. Ils étaient composés d'un opetit cylindre gris en carton qui contenait, je suppose, de la poudre. Le cylindre était prolongé d'une petite mèche qu'on allumait pour faire exploser le pétard. Je dirais que c'était un baton de dynamite en miniature.
-les bombes qui avaient la forme d'un bouchon de bouteille de vin en un peu plus court. Elles étaient également en carton gris et contenait, je pense, plus de poudre qu'un pétard classique. Aux extrémités du cylindre, il y avait un produit inflammable en cas de choc (du soufre ?). Ces bombes étaient jetées violemment sur le sol et explosaient à son contact. Elles étaient dangereuses car elles provoquaient des brûlures sérieuses si on se trouvait à proximité. C'est ainsi, qu'à plusieurs reprises, je me suis retrouvé avec des plaies assez profondes aux jambes.

Parfois Messali Hadj apparaissait dans sa belle américaine, une cadillac décapotable. C'était un personnage d'allure noble. Lui et sa voiture provoquaient la curiosité et l'admiration de tous. Les "petits arabes" s'agglutinaient autour de sa voiture. Messali Hadj était, je crois, le chef du MNA (Mouvement Nationaliste Algérien), une organisation bien plus modérée que le FLN, et adepte de la négociation.
De temps en temps, des danseurs noirs avec leur tambours, leurs trompettes et leurs espèces de castagnettes en métal noir (des kekrebs) parcouraient la rue, et, de nos fenêtres, nous leur lancions des pièces de monnaie

Lorsqu'il y avait un décès (juif ou chrétien) dans un immeuble, l'entrée de l'immeuble était encadrée de lourds draps noirs avec des liserés argentés et sur la partie supérieure du drap, il y avait, également en couleur argentée, les initiales du defunt ou de la défunte. Dans le hall d'entrée de l'immeuble, sur une petite table était installé le cahier de condoléances sur lequel personne n'oubliait de venir inscrire des mots de réconfort et d'y apposer son parafe. Puis arrivait le corbillard. C'était une espèce de calèche vitrée, tirée par deux, voire quatre chevaux chapeautés de plumeaux noirs. Le cercueil était installé à l'intérieur de la "calèche" et toute la famille, tous les amis, tous les voisins s'ébranlaient en une longue procession, à pieds, jusqu'au cimetière de Saint Eugène. Pour son dernier voyage, le défunt avait vraiment fière allure !
Lorsqu'il y avait le décès d'un musulman, la cérémonie était un peu différente. Il n'y avait aucun signe visible devant l'immeuble. Le défunt, enveloppé dans un drap, était installé dans un cercueil sans couvercle mais comportant des manches devant et derrière. Il était ainsi porté sur les épaules des hommes qui l'accompagnaient à sa dernière demeure, et tout ceux qui voulaient lui témoigner un dernier hommage prenaient un relais sur quelques dizaines de mètres. La foule de la famille, des amis et des voisins suivait derrière, jusqu'au petit cimetière de la rue Ben Cheneb.

8 commentaires:

  1. oui c'était le bon vieux temps moi j'habite toujours au25rue marengo

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  2. Bonjour,
    Vous etes toujours au 25 rue Marengo....perso j'ai vécu au 21 de la meme rue,le quartier me manque ouled el houma me manquent,et tout ce qui va avec...A bientôt.

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  3. j'habite au n 23 c'est là que je suis né en 1951

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  4. il y avait Mme TURNER (dentiste) la famille ESPOSITO les GUESSAB etc...au n 23

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  5. je suis né en 1951 au n 23 j avais pour voisins Mme Bensimon Esposito Mme Turner ( Dentiste

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  6. JE SUIS NE AU 22 RUE MARENGO. J'AI FAIT MA BAR MITZVA AU TEMPLE DE LA RUE RANDON ET J'ALLAIS A L'ECOLE RUE DU SOUDAN. NOTRE FAMILLE EST TRES CONNUE ET A AMENE LA FAMILLE AUTEUIL DE L'OPERA D'ALGER HABITAIT NOTRE RUE OU EST NE LE FILS DANIELLE AUTEUIL BONJOUR ET ADIEU TRISTESSE.......

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  7. JE SUIS NE AU 22 RUE MARENGO .J'ALLAIS A L'ECOLE DE LA RUE DU SOUDAN ET J'AI FAIT MA COMMUNION AU TEMPLE DE LA RUE RANDON. LA RUE MARENGO ETAIT UN UNIVERS INCOMPARABLE DE VIE EN COMMUN AVEC DE L'AMOUR EN PARTAGE ...... SOUVENIRS ....SOUVENIRS

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  8. Mme TURNER (Dentiste) je l'ai connu et pourtant je suis né en 1969, et ce 'est qu'en 1982 que j'ai habité là bas, mes parents , ma mère en particuliers,fille de la Casbah est née en 1933, me parlait des familles qui habitaient au 21 rue Marengo , les COHEN ,les ZIZA, les ZEROUATI si j'ai bien retenu, la fraternité qui existait entre voisins quelque soit leurs origines ,leurs religions ,leurs croyances , ahhh !!! YA RABI tout cela a disparu.

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