jeudi 5 avril 2012

Albert Bensoussan – « Une enfance juive en Méditerranée musulmane »

C’est le titre d’un ensemble de textes convergents écrits par 34 auteurs qui évoquent leur enfance, au Maghreb ou au Moyen-Orient, et rassemblés par Leïla Sebbar qui souligne :
« Ces récits d’enfance disent la fin d’un monde, d’une Histoire, d’une société cosmopolite, ils disent le pressentiment d’un exil définitif… »
La plongée dans l’enfance ressuscite un souvenir, ou une impression : Juifs et musulmans se côtoyaient là, vivaient non seulement en voisinage, en cousinage, mais aussi, d’une certaine façon, en connivence, voire en complicité.
Cependant, tout le monde s’accorde sur un fait : les Juifs étaient toujours minoritaires et inférieurs (sauf dans l’Algérie sous la France, où leur statut de citoyens français les rendait globalement antipathiques aux musulmans), et donc menacés, ici ou là, ou disons à la merci d’événements qui pouvaient se retourner contre eux.

La proclamation de l’État d’Israël a été l’un de ces événements et a déclenché, pour la plupart, le signe du départ.
« Mais pourquoi donc sont-ils partis ? », que de fois ai-je entendu cette question étonnée au cours de séjours en terres musulmanes !
Justifiant ce livre, qui est rappel et regard en arrière, Lucette Heller-Goldenberg en revivant le Marrakech de son enfance (où son père dirigeait l’Alliance Israélite) constate :
 « Il n’y a plus de vie juive au Maroc, comme dans les pays musulmans qui se sont vidés de leurs Juifs. Il ne reste plus que la mémoire ».
Ce livre est un immense fleuve mémorieux, car il charrie toutes les paroles, toutes les histoires. Mais alors, que de tendresse et de nostalgie dans ces multiples évocations ! Et d’abord par l’abondance d’un vocabulaire arabe, ou judéo-arabe, qui est le marqueur des racines séculaires. Chacun ou chacune y va de son petit mot du cœur, de son expression typique, de cette langue arabe choyée, caressée, bercée dans le cœur de ces enfants dont les parents et grands-parents parlaient essentiellement l’arabe – et qui l’ont oubliée. Et affirme du même coup une appartenance, une identité : « Tunisienne, je demeure » (Ida Kummer), « L’enfance à Casablanca est un film en couleurs » (Anny Dayan Rosenman),  et Dany Toubiana revendiquant Guelma et tout un univers enfantin : « Lieu de mémoire qui, aujourd’hui encore, cristallise à lui seul les désillusions et les espoirs, les partages et les chamailleries, les rires et les larmes, les jeux et les rêveries ».
Chacun – et ils sont trop nombreux pour être tous cités – y va de son petit souvenir d’enfance : soleil, odeurs, couleur, poivrons grillés, orange « Crush », shouk bla yehoud / kif el cadi blachoud – « un marché sans juifs est comme un juge sans témoins » – : y a-t-il, vraiment, une justice là-dedans ?
Aujourd’hui on veut nous faire croire que les Juifs en terre d’Israël ont pris indûment la place des « Palestiniens » (ainsi qu’on appelait, d’ailleurs, les Juifs vivant en Israël avant l’Indépendance, et sur les murs d’Alger ne l’ai-je pas lue, cette inscription malveillante, ou cette invite : « Les Juifs en Palestine » ?), mais posons, pour finir, cette question :
où est la place de ce million de Juifs qui ont déserté – parce que chassés – les terres musulmanes ? Jean-Pierre Allali, dans un lumineux essai, Séfarades – Palestiniens : les réfugiés échangés (Safed, 2005), tente d’y répondre. En refermant ce très beau livre qui, à l’initiative de Leïla Sebbar, grande ravaudeuse de mémoires, rassemble en un même projet d’appréciables plumes séfarades, francophones et anglophones, nous retiendrons le mot de la fin du mémorialiste (Yves Turquier, Beyrouth) : « Ses yeux sont pleins de larmes », en retenant les nôtres, nous qui avons tant aimé et nous sentons si mal aimés, en tant que juifs des terres musulmanes. Et puis non, gardons espoir, avec André Azoulay (Essaouira) qui intitule significativement son souvenir d’enfance : « Vers d’autres lendemains ? » (avec, toutefois, un point d’interrogation) :
« Une tendance se fait enfin jour en Méditerranée musulmane pour que soit reconquise et reconstruite la diversité culturelle et spirituelle qui a façonné et largement déterminé nos sociétés. Cette reconquête est légitime en soi, mais elle peut être décisive pour que s’enclenche une autre dynamique plus particulièrement entre Juifs et Musulmans ».
Pour ma part, en effet, tous mes amis arabes, berbères et musulmans sont là et m’entourent, et ils sont nombreux : oui, la paix se fera un jour, j’en suis sûr, parce que le judaïsme s’est toujours nourri d’espoir, et le vrai mot de la fin se décline en hébreu : hatikva הַתִּקְוָה.
Albert Bensoussan
* Une enfance juive en Méditerranée musulmane, éditions Bleu Autour, 2012, 368p., 26€.

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