samedi 24 mars 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS de Hubert Zakine

Le bac brillamment passé, Richard entama les démarches pour effectuer son service militaire en Israël. Sans le dire à ses parents. Sans le dire à Carmen. Trois années loin de chez lui. Trois années à tester sa capacité à vivre dans ce pays où le danger demeure permanent. Où la vie restait suspendue à un fil tant que la colombe de la paix volait au milieu des colères. Mais trois années aussi à se documenter sur la vie de tous les jours avec son cortège d’obstacles à franchir. La langue, le travail pour son musicien judéo-arabe de père,

-- « Papa, ya une tonne de pieds noirs en Israël ! Des bar misvah, des milah, des mariages c’est pas c’qu’il doit manquer ; Je sais, j’exagère un chouïa mais parfois y faut regarder la vérité en face !» Convaincu de marquer des points, il ajouta perfidement :
« Et puis, rappelles toi, papa, c’est pas Defferre qui voulait nous jeter à la mer ?... »
--« Bon ca va mon fils ! Arrête de faire le samote ! Va faire ton service et après le Bon Dieu il est grand ! »

Léon s’amusait de l’enthousiasme de son fils aîné. Contrairement à sa femme, il faisait confiance au destin même si Lisette jouait avec la fatalité orientale sauf lorsqu’il s’agissait de ses enfants. S’il était devenu un virtuose de la musique judéo-arabe, c’était grâce au destin qui l’avait fait naître dans la casbah tout près d’un café maure, s’il avait échappé aux chambres à gaz en sautant du train qui emmenait cent cinquante malheureux vers Drancy, antichambre de Dachau et autres destinations tristement célèbres, c’était la faute au destin, s’il faisait partie du cortège des français d’Algérie abandonnés par la France sur la route de l’indépendance, c’était la faute au destin qui accompagnait Léon depuis plus de cinquante années. La fatalité orientale était passée par là et l’avait pris par la main pour l’accompagner jusqu’aux portes de Jérusalem. Alors, si Israël, la terre des ancêtres devenait sa dernière demeure par la grâce de son fils, il préférait penser au destin et dire : « c’était écrit ! ».

Trois années de souffrance aussi. Loin de sa douce à tester le dicton « loin des yeux, loin du cœur » avec au bout du chemin la récompense ou la désillusion, une terre nouvelle à aimer ou à détester, un jardin d’Eden ou un cimetière de larmes.

Carmen écoutait cet algérois qui lui filait entre les doigts. Richard emprisonnait son avenir suspendu à une décision unilatérale sur laquelle elle semblait ne plus avoir de prise. Egoïstement, il roulait en tête de cette course effrénée vers la ligne d’arrivée sans se retourner. Carmen, toutes voiles dehors, s’éreintait à suivre son Marius pied noir attiré par le large, tendu vers un seul mouillage, vers un seul drapeau, vers un seul Exodus : Israël.

Faisait-elle encore partie de cette option? Se poser la question la déstabilisait mais elle désirait regarder la vérité en face quitte à entretenir une souffrance inutile.

Richard aimait sa petite sirène. Mais le cœur encombré, il en oubliait les sentiments d’amour que lui inspirait Carmen. Les oubliait ou les tamisait afin de ne pas brouiller les cartes de son départ pour Tsahal.

Plus tard pensait-il, quand les clameurs se seront apaisées, quand les premiers mois auront vaincu ou convaincu Richard de vivre sur la terre ancestrale, alors, les émois un instant tamisés illumineront les cieux. Car il savait. Carmen serait la femme épousée et la mère de ses enfants. Enfants juifs par le miracle de l’amour ou par la conversion peu importait. Il ignorait par contre la démarche de sa belle envers le judaïsme et ses rencontres avec le rabbin d’Antibes.

Ce jour là, Carmen fêtait son dix huitième anniversaire auprès de ses parents et de quelques amis. Pour la première fois, Richard franchit le seuil de l’appartement des Solivérès, les deux femmes de la maison ayant eu raison de la résistance du chef de famille.

-« Espèce de sauvage, ta fille, le sang de ton sang, la chair de ta chair, elle va avoir dix huit ans. C’est le plus bel âge de sa vie et toi, avec ta fierté mal placée, tu veux pas qu’elle invite ses amis…… »
--« Ses amis oui mais pas Richard, pace que Richard c’est pas un ami comme les autres ! » s’emporta Joseph en coupant la parole à sa femme. »
« -- Et alors, même si c’est son petit ami, quelle différence ça fait ! Y va pas te demander sa main ce jour là, quand même ! »
--« Rien qu’ça y manquerait ! »

Comme à son habitude lorsqu’il ne maîtrisait pas la situation, le père de Carmen se mit à faire les cent pas.

Rosette connaissait si bien son mari qu’elle sauta sur l’occasion pour porter l’estocade.

--« Et puis si tu veux pas le voir, tch’as qu’à aller jouer aux boules…. »
--« Oh je suis chez moi ici ! » martela t-il en tapant de l’index sur la table de la salle à manger. Il poursuivit :
« Et je te signale que c’est l’anniversaire de ma fille et tu trouves rien de mieux que de m’envoyer jouer aux boules ! Des fois, j’te jures ! »
--« Alors, qu’est ce que tu proposes ? »
--« Rien ! Qu’elle fasse comme elle veut ! » .

Il tourna les talons, se ravisa, fit un demi-tour puis rectifia : « Qu’elle fasse comme TU veux ! » en pointant un index mécontent en direction de Rosette.

Richard sonna à la porte des Solivérès, le cœur serein et les bras chargés de roses. Une pour Carmen et un bouquet pour sa maman.

Dans la poche de son blazer bleu marine, une petite boite entourée d’une faveur rose clair, petit coffret enfermant une jolie paire de boucles d’oreilles abouties de perles blanches.

Il avait pris le soin de ne pas arriver trop tôt afin de disperser les attentions, les questions et les regards de la famille. La poignée de mains entre Richard et le maître des lieux fut ressentie par le jeune homme comme un défi à sa virilité. Il eut l’intelligence et la présence d’esprit de subir le droit d’aînesse que semblait revendiquer papa Solivérès. La dizaine d’invités ne s’aperçut de rien.

La maman de Carmen s’attarda sur la beauté du bouquet :

--« Il ne fallait pas mon garçon…. Comme elles sont belles…. ma couleur préférée….comme c’est gentil…..je suis touchée ! »

Si elle désirait offrir une autre image des parents de sa chérie que celle froide et distante poignée de mains de son mari, elle ne se serait pas prise autrement.

La journée se passa mi-figue, mi-raisin avec des rires, des larmes et des chansons, la bouderie contenue du maître de maison, la discrétion de Richard, la distribution des cadeaux assortie d’une controverse sur l’opportunité d’une prise de bec à voix basse entre Rosette et son mari au sujet de la valeur des boucles d’oreilles, présent trop cher au goût de papa Solivérès pour une simple amitié.

Durant la dégustation du gâteau, il s’inquiéta auprès de Richard de son appel sous le drapeau israélien :

--« Pour quand le départ ? »
--« C’est pour le premier Août. »
--« Et Carmen m’a parlé de trois ans ? »

Devinant la perfidie cachée dans cette question, Richard se fendit d’une réponse alambiquée qui le mit en joie

--« Oui, trois ans entrecoupés de plusieurs permissions d’autant plus prévisibles que la paix, elle semble installée pour un moment avec cette victoire pendant la guerre des six jours ! »

Richard restait poli mais ne sachant si le plat que lui servait son hôte était du lard ou du cochon, il se plaçait sur une prudente défensive.

--« Et tu es certain que ma fille, elle va attendre bien sagement que tu rentres. Tu sais des Pénélope, y’en pas beaucoup dans le monde où on vit. »
--« Vous savez, Monsieur Solivérès, je suis réaliste ! La vie, c’est pas un conte de fée. Nous autres les pieds noirs, on en sait quelque chose. Alors qui vivra verra. Mais j’espère que tout se passera bien ! »

Richard eut une étrange impression. L’entité « nous autres les pieds noirs » englobant dans une même communauté les Solivérès et les Bénaïm semblait avoir détendu l’atmosphère.

Rosette et Carmen s’en aperçurent. Elles remarquèrent la petite brillance qui perlait dans les yeux du père lorsque la nostalgie s’invitait à sa table. Discrètement, elles échangèrent un petit sourire de connivence qui échappa à tout le monde.

Papa Solivérès et Richard parlèrent avec quelques formules de politesse puis le jeune homme prit congé des femmes de la maison.

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A SUIVRE..........................

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