samedi 17 mars 2012

HORIZONS BLEUS LE CABANON DES GENS HEUREUX de Hubert Zakine

Après les repas du midi, les femmes du cabanon toujours, elles descendaient à la plage. Pas pour se dorer la pilule, bronzer comme les starlettes pour faire les belles et tout et tout. Non simplement pour faire la vaisselle à l’eau de mer. Et quand les plats y résistaient à la lavette et au savon, elles frottaient les assiettes avec du sable mouillé et mon ami, le Paic citron y pouvait aller se rhabiller. Les lavandières du Portugal aussi.

A la guerre comme à la guerre, les femmes des Horizons Bleus, elles se tapaient les corvées sans sourciller, utilisant des trouvailles de grands-mères, la débrouillardise permanente et le savoir-faire en bandoulière. Et la récompense suprême, elle venait pas du dernier appareil ménager à la mode mais plus prosaïquement du rire de leurs enfants. La sieste aussi, elle faisait partie de la récompense mais elles appréciaient aussi les réunions sur la terrasse pour tchotchorer et attraper au vol le fou rire.

Pour un oui, pour un non, le pied noir y rigole comme un bossu. Pourquoi un bossu ? A savoir ! Pour rigoler, de rien et de tout, on se moque du voisin, du passant, du babao et même de l’ami. On a horreur de la solitude car comment partager le rire si on est seul. Purée, on dirait une question pour passer le baccalauréat, dé !

Ma mère rien qu’elle disait : « un fou rire ça remplace un bon bifteak !». On nous enlève le rire, on meurt. C’est notre oxygène. Mais attention, moi je vous parle du rire « à la pied noir » pas style lèvres pincées en n’osant pas se faire entendre du voisinage ! Non, je décris le rire qui claironne comme une charge de cavalerie style « la charge de la brigade légère » avec Errol Flynn. Que, quand on l’entend, on a envie de le reprendre de volée pour le lancer un peu plus loin à un ami afin que la chaîne du bonheur, jamais elle s’arrête. Un rire y catalogue son auteur mieux qu’un passeport.
Tu montes, tu descends, le rire et le fou rire y sont les deux mamelons de l’amitié. Comment un Karse, un smom, un qui esquisse un sourire quand toi, tu ris à gorge déployée, comment y peut partager l’amitié avec toi ce Buster Keaton de pacotille, alors qu’il est incapable de partager le rire? Dis le moi si tch’es un homme!
Comme jamais, au grand jamais (« jamais », ça semblait pas assez explicite aux mères de chez nous) un enfant d’Algérie il avait le droit de se baigner après manger sans respecter la sacro-sainte règle des trois heures de digestion ou sinon nos mères elles se faisaient une transfusion de mauvais sang, on a le choix entre taper la sieste ou la promenade à Pointe Pescade ou à Baïnem. En raison de la chaleur qu’elle tape sec, on décide de jouer à la ronda en attendant l’heure du bain et la fête foraine aux Deux Moulins prévue à sept heures du soir. « Ronda ! Trinegla ! Cao ! Cao et missa ! » Toute l’après midi, le cabanon il a résonné de nos cris d’annonces. A celui qui les criait le plus fort. Je pourrais même préciser gueulait.

Les Deux-Moulins, c’est une station balnéaire, grande comme un mouchoir de poche, cernée de cabanons comme y en a partout sur la côte algéroise mi-bois, mi-pierre, mi-figue, mi-raisin mais que tout le monde y s’arrachent. Même si y z’ont rien à voir avec les villas de la Madrague, ces paradis de l’enfance attirent les algérois pour la plage mais aussi pour les bals organisés en soirée.

J’ai jamais eu beaucoup d’argent dans les poches mais aujourd’hui, c’est la dèche complète. J’ai pas réussi à soutirer le moindre sou à mon père qui prolongeait la sieste en faisant plein de RAN-RAN-RAN. Chaque fois que je m’approchais de sa chaise longue, comme un fait exprès, il amplifiait son grognement. J’avais une de ces roufs ! Alors, comme jamais au grand jamais (j’me prends pour une femme de chez nous) il était question de réveiller mon père pendant la sieste ou sinon ma mère elle me tue, tant pis pour moi. Même pas de quoi offrir à ma petite chinoise un morceau de kikilomètre, un sachet de bibérine ou un petit chewing gum Globo. Purée, la honte elle va me manger la figure. En attendant la soirée et le débarquement des gens des Horizons Bleus aux Deux Moulins et la générosité de mon père, je jouerais « les Misérables » avec à mes côtés Colette dans le rôle de Cosette mais en plus jolie. Exprès je ralentis le pas. Colette, la pauvre elle croit que je veux encore l’embrasser. La bande de babaos y sont tous riches comme Crésus. Y vont se morfaler les zoublis , le créponné, le Crush , ces bâtards et moi je serais à la diète.

Sur la place de la Pointe Pescade où l’église elle trône face à la Méditerranée, les joueurs de boules y se disputent, y vocifèrent, y s’étrangleraient si y z’étaient pas les meilleurs amis du monde et si le soleil y tapait un peu moins.

Ce jeu, que mon oncle il est champion du monde et des alentours, y faut vraiment être masochiste (voilà encore un mot que j’emploie parce que ça fait chic et intelligent mais même pas je connais tout à fait le sens).

C’est vrai, la pétanque c’est courbatures et compagnie, j’vous dis pas! Les joueurs, y se donnent un mal de chien pour approcher le boulitche. Y tirent la langue, y ferment un œil, (zarmah y visent), y tournent en rond comme si y réfléchissaient, y mesurent, y z’insultent la mort de ses morts à cette boule adverse qui cache le boulitche, tout ça sous le regard fasciné ou rigolard des passants.

Si la pétanque elle a été inventée à Marseille, celui qui a pas assisté à une partie entre pieds noirs à la Pointe Pescade ou à Bains Romains, il a rien vu comme un laouère qu’il est.

En face, les vieux sages y préfèrent taper la belote. La vérité, c’est moins fatigant. Surtout en milieu d’après midi. Les forains y sont en train de monter leurs manèges pour la soirée.

A SUIVRE......................

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire