dimanche 25 mars 2012

HORIZONS BLEUS de Hubert Zakine

Les Deux Moulins y sont noirs de monde. On dirait une manifestation sauf que là, les manifestants y tapent le tango et le cha cha cha avec le bal qui bat son plein. Sur la place décorée de flons flons, les danseurs, serrés comme des sardines, zarmah y dansent. Total, y draguent un maximum. Y draguent mais y frottent pas parce que toute la famille de la fille elle fait la mata. Mais malgré tout, Colette elle me fait remarquer que pour la première fois au monde, certains y dansent le paso-doble totalement immobiles. Comme des zombis. Comme des malappris, ouais ! « C’est pas malheureux quand même ces hommes. Y se croient tout permis ! » elles rouspètent les femmes. Total, pour frotter y faut être deux. Alors qui c’est les coquines, hein ! Mon oncle Robert toujours y précise en parlant des femmes:
--« elles adorent jouer les zbérotes pour nous tourner en bourrique. »

Comme les lecteurs y sont pas obligés de connaître le langage judéo arabe qu’on parlait dans la casbah d’Alger, mieux je traduis : « les femmes elles aiment faire du cinéma ! »

Toujours est-il, cinéma ou pas, Sodome et Gomorrhe c’est plus Steward Granger et Pier Angeli mais Luc et Jeannot qui z’ont jeté leur dévolu sur deux filles des Deux Moulins que leurs tétés, on dirait les Deux Chameaux, un lieu-dit sur la côte algéroise avec deux rochers que de loin, les vicieux y z’imaginent en tétés.

Serge y discute avec un admirateur de Luis Mariano que le pauvre y va chanter au radio-crochet sans savoir que le panier de tomates y lui est destiné. Bernard y fait une tête d’enterrement à cause d’Annie qu’elle a retrouvé un copain du Ruisseau. Purée, qu’est ce qu’on est jaloux dans cette bande. Y a pas à dire mais le « Tigre du Bengale » y nous a marqué. Le Tigre du Bengale et surtout Debra Paget que sa danse hindoue, elle a affolé tous les hommes du quartier. L’ouvreuse, cette semaine là, si elle a pas été violée, c’est que Bab El Oued y savait se tenir. Oussinon, j’vous dis pas ! Surtout avec des zigotos comme mes copains, lecteurs assidus de Paris-Hollywood et autres livres interdits aux moins de seize ans.

Vers huit heures du soir, les Horizons Bleus sont descendus aux Deux Moulins, maman Vals en tête. La femme de papa Vals elle est une joueuse invétérée. A tout, elle joue. Le hasard c’est son meilleur ami, sa drogue, son meilleur ennemi aussi. Les forains y s’en méfient comme de la peste parce qu’elle a une chance de cocue. Pardon papa Vals ! A la belote, sara-sara elle attrape un cent, un cent cinquante, au poker, la quinte, le brelan et le carré y sont monnaie courante, même à la bataille, personne il la bat.
Dès la première mise, madame Vals elle s’attire les foudres du forain. Comme attirée par un aimant, la roue elle s’arrête juste au chiffre misé. Le forain, le regard qui lui lance, j’vous dis pas ! Les autres femmes, elles jouaient depuis une heure sans gagner le moindre bli-bli. Alors obligé voir cette « grosse smina » gagner le filet garni ça les énerve un maximum. Surtout que le filet garni, grâce à Dieu, y fait pas pitié, hein !
Jugez vous-même : des bouteilles en veux-tu en voilà : Liminana, Lesieur, Sélecto, Hamoud Boualem, Monserrat, Picon. Des boites et des paquets comme s’il en pleuvait : Café Nizière, Elesca, Toucrême, Ferrero, Ricci, Cadum, Poulain et plein d’autres gourmandises.

Papa Vals y joue les Jean Gabin :
« Vous avez vu comment j’ai dressé ma femme ! Elle me coûte un minimum, elle rapporte un maximum. Qui c’est l’homme ? » plaisante-t-il, fier comme Artaban. Il oublie une seule chose : qui c’est qui va porter le gros lot qui pèse une demie tonne jusqu’aux Horizons Bleus? C’est l’homme !
Ca y est, Colette elle me fait la tête comme un tchic tchic pace que je dis bonjour à Francette, une fille de l’avenue des consulats à Bab El Oued. Ma réaction elle se fait pas attendre : « Purée, marcher avec toi c’est pire que la prison de Barberousse, alors ! Et le mariage, c’est le bagne de Cayenne ». Si je lui avais insulté sa mère et sa grand-mère, la mort des ses morts, la figua de sa ouéla et de toutes ls femmes de son quartier, elle aurait été moins vexée ! Son mauvais caractère y lui fait tourner les talons et elle me laisse en plan comme une vieille savate.

Achno, comment une miniature pareille, elle peut se taper un sale caractère aussi maouss ? Elle s’en retourne aux Horizons Bleus style Maureen O’Hara qui quitte la maison de John Wayne dans
« L’homme tranquille ». Si j’étais le plus célèbre cow boy du cinéma américain, moi aussi je la ramène en la tirant par les cheveux et je lui donne la fessée. Ma parole, avec mon sang mi judéo-espagnol, mi judéo-arabe, j’ai rien à envier à un fier irlandais. Mais, moi, je suis pas John Wayne ; je traîne le
« qu’en dira t-on » d’un garçon d’une famille bien comme y faut. Je peux pas lui dobzer l’œil, quand même ! Et puis j’ai pas envie. Si jamais après elle louche, je serais bien avancé avec une épouse qu’elle ressemble à Bozambo.
Cuilà qu’il a pas vu le film qui porte son nom, rien y comprend. Allez va, vous me faites pitié avec cet air ahuri que vous avez à vous demander qui c’est ce Bozambo là ! C’était l’ancêtre du film « Godzilla, le monstre des temps perdus » que le Japon y nous a envoyé sans remarquer que ce monstre y louchait un maximum. Ca y est, vous avez compris ouais !

A SUIVRE......................

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