Le courage malheureux, Richard attendait sa belle, la tignasse au vent et l’imperméable mastic serré à son corps de jeune athlète par une ceinture qui lui coupait quelque peu la respiration. Sa mère lui avait confectionné une doublure de laine que Richard boutonnait aux extrémités selon son humeur et la température ambiante. Il avait répété mille et une fois le discours préparé à l’attention de Carmen, lui révélant sa décision d’éviter le conflit avec sa famille, sa confession et ses propres convictions. Discours sans appel qui exigeait la conversion de sa belle afin que le patronyme de Benaim demeure au sein du judaïsme. Il avait décidé en son âme et conscience, dans la solitude d’un voyage ennuyeux, livré à lui-même et à ses tourments, sans la moindre contradiction, soutenu dans ses certitudes par les images encore fraîches d’une fête juive cadencée de musique orientale.
Mais qu’adviendrait t-il de sa détermination devant le regard noyé d’amour de Carmen? Seul un « gros sans-cœur » selon l’expression familière à sa mère, resterait de marbre en rompant une idylle forgée dans la douloureuse solitude de l’exil. Les malheureuses victimes de grandes transhumances humaines, les déracinés par le souffle du « vent de l’histoire «, les rescapés des camps de la mort ont une démarche commune à tous les transplantés de la planète: ils se recherchent afin d’exorciser, de magnifier le passé ou plus prosaïquement d’en parler pour ne pas oublier.
Les deux enfants s’étaient raconté leur ville natale, leur enfance d’Algérie, leur exode avant de se découvrir puis de lever la garde. Ce n’est qu’après avoir compris qu’ils nageaient tous deux dans le même courant qu’ils remontèrent ensemble le long fleuve d’amour. Mais à présent, ils s’apercevaient que le fleuve possédait deux rives et que le courant les empêchait de se rejoindre. Seule une embarcation de fortune appelée conversion porterait Carmen sur la berge où l’attendait Richard. Mais le torrent capricieux étoufferait-il sa colère pour se maquiller en long fleuve tranquille? Là était la question, là était l’avenir.
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--« Mais comment tu veux imposer à cette petite une conversion qu’elle est synonyme de renoncement aux fondements mêmes de son éducation? Raïeb, ses parents! Pourquoi veux-tu que les Solivérès y z’acceptent aujourd’hui ce qu’y refusaient hier? » s’inquiéta Prosper Benaim lorsque son neveu lui avoua sa décision. Cet homme là n’aimait point parler pour ne rien dire. Il pesait chacune de ses phrases pour leur donner le poids que mérite la réflexion. Il poursuivit:
--« Mais comment tu veux imposer à cette petite une conversion qu’elle est synonyme de renoncement aux fondements mêmes de son éducation? Raïeb, ses parents! Pourquoi veux-tu que les Solivérès y z’acceptent aujourd’hui ce qu’y refusaient hier? » s’inquiéta Prosper Benaim lorsque son neveu lui avoua sa décision. Cet homme là n’aimait point parler pour ne rien dire. Il pesait chacune de ses phrases pour leur donner le poids que mérite la réflexion. Il poursuivit:
« Et attention, si la conversion, elle doit entraîner une rupture avec son cercle familial, ton couple, en barigoule y partirait. Pace que n’y résisterait pas à ce viol du passé. Si tu n’obtiens pas un accord franc et massif de tout son entourage, alors y faudra te faire une raison. Nul ne peut aller contre la volonté de ses parents. C’est en tous cas ce qui nous a été enseigné là-bas. A moins que vous passiez outre à tout çà mais si c’était le cas, tu te poserais pas autant de questions. J’ai tort, mon fils? »
Richard aimait parler avec son oncle car il dédramatisait tout et inversait souvent l’ordre des choses établies. Il tenait de son éducation la raison et de ses lectures la fantaisie qui habitait sa réflexion. Il était à lui tout seul un forum de pensées contradictoires qui argumentait et se désavouait l’instant d’après à la suite d’une brève confrontation d’idées. Il aimait rappeler que seuls les « babaos », il ne disait pas sot, ne reconnaissaient jamais leurs erreurs. Puits de sagesse pour les uns, clown de génie pour les autres, courtisé de tous, il distribuait gracieusement ses avisés conseils à l’image d’un médecin retraité qui aurait du mal à quitter son cabinet et sa fonction.
Richard estimait que son oncle compensait la rigueur de ses parents et qu’en tout état de cause, les épreuves de la vie lui avaient appris la mesure.
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Carmen semblait propulsée sur coussin d’air tant sa démarche était fluide. Elle s’abandonna dans les bras de Richard, heureuse de le revoir après une petite semaine d’absence. Elle parla de tout et de rien, se grisant de ces instantanés volés au seigneur temps, les figeant dans ses cahiers d’adolescence pour les retracer plus tard, bien plus tard, lorsque les années auront brouillé les mémoires. Elle écrivait chaque page de sa vie amoureuse telle une courtisane qui désirait conserver les visages et les heures, les rendez-vous secrets et les rencontres éblouissantes, les soleils décevants et les chagrins flamboyants.
Puis elle se tût. Abandonnant le privilège des mots à Richard qui lui dessina avec mille arabesques les émotions de son séjour à Paris. L’illumination de l’indispensable. La révélation de l’indéfectible attachement de son patronyme au royaume d’Israel. L’impossible étoile orpheline de David. Ses enfants seront juifs ou ne seront pas! Maries-toi dans ta rue, telle est la vérité!
Telle est SA volonté! De l’amour plein le cœur, de l’amour plein les yeux mais seule la conversion………………………………..
La souffrance de Carmen, son regard accroché à ses lèvres, sa propre souffrance, peu importait face à la multitude. Richard s’obligeait à forcer sa nature et ses sentiments. Lourd était le tribut à payer pour la survie de son peuple et la pérennité de son nom.
--« N’en parle pas à tes parents pour l’instant. On ira voir le rabbin et après le Bon Dieu, il est grand! » trancha Richard en empruntant cette expression chère aux femmes de son pays. Demain le Bon Dieu, il est grand! S’en remettre à la volonté divine, en appeler à la fatalité ou pire à la superstition, telle se définissaient les naïves de toutes confessions qui peuplaient l’Algérie.
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A SUIVRE...................
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