dimanche 22 janvier 2012

HORIZONS BLEUS "le cabanon des gens heureux" de Hubert Zakine

Quand le cinéma il a lâché tous les babaos dans la rue, Luc, le coulo, il a compris mieux que si un haut parleur y s’était écrié : « Colette et Richard, y se sont donné le compte ! » et il aurait ajouté :" « Mais attention hein, comme les petits ! »
Ce soir là, qui c’est qui dort ! Pareil à un mort de faim, j’ai attendu le jour suivant avec un purée d’impatience j’vous dis pas ! Mais aouah, le soleil, ce smata, il a pris tout son temps pour se lever. Comme une jeune mariée ou mieux, comme un chitane qui désobéit à sa mère et qui fait semblant d’être malade pour « taper cao » à l’école. Salopris, va !
Tous les dimanches, la famille elle montait au cabanon pour taper l’ardjeb. Toute la matinée, rien qu’on s’embrassait pour se dire bonjour avec les sœurs et les tantes de ma mère. Entre cousins, c’était des grandes claques dans le dos à se démettre l’épaule quand c’était pas le squelette tout entier qui se démentibulait. Et plus on s’aimait, plus on appuyait les coups et plus on se morflait l’œil pour montrer la force de notre affection. Des véritables sauvages !
En exagérant un chouïa, quand la famille elle s’était donnée le mot pour passer le dimanche au cabanon, on avoisinait les 900 personnes. J’exagère bien sur mais la vérité, la vérité, on était vraiment beaucoup avec les invités des autres cabanonniers.
Quand on est descendu à la plage pour taper la pancha, on aurait dit une manifestation.
La vérité, ce dimanche là, ça m’embétait un chouÏa que toute la smala elle vienne me casser le travail. Comme un morfal, je désirais plus que tout battre le record du monde d’apnée face aux baisers de ma petite chinoise. Allais-je battre le propre record du monde établi la veille ? (chof comme j’écris bien quand j’ai pas la pression de mon maitre d’école que sara-sara y vient lire au dessus de mon épaule pendant la dictée et que je perds tous mes moyens !).
Je savais que je risquais l’asphyxie mais vivre sans danger pour un enfant de Bab El Oued c’est antinomique (ba ba ba ! j’écris comme Victor Hugo,dé !)
Colette la petite futée, elle se faisait une joie de me noyer de ses baisers afin de me faire du bouche à bouche pour me ranimer et ainsi de suite. Et voilà que l’arrivée de la ribambelle de cousins que la vie m’a offerte sans même que je réclame quoi que ce soit, elle contrarie ses projets. Reusement, Colette c’est pas une fille à se laisser dépasser par les évènements. Ni une, ni deux, elle s’approche de moi et elle me glisse à l’oreille de sa voie chaude et suave ( je dis vraiment n’importe quoi, hein !)
-« Y sont tellement nombreux qu’ils s’apercevront même pas qu’on s’est éclipsés ! »
Qué l’éclipse ! Elle croit qu’on sème comme ça une armée de samotes ! Ca se voit qu’elle connaît pas mes cousins. Quand on jouait aux cow-boys, y z’étaient tous des rangers et des éclaireurs de l’armée. Moi et mes frères, y nous pourchassaient du matin au soir. Y faut dire qu’on faisait partie de la tribu de Sitting Bull. On avait beau se cacher dans le garde-robe ou dans la soupente, toujours y nous démasquaient. Jojo, qu’il était Hopalong Cassidy, ce coulo, y nous rattrapait avec son cheval « fend l’air » en se tapant sur la fesse. Nous autres, les indiens, y nous mettaient alors dans la réserve avec femmes et enfants. Hélène, raïben, elle était la seule fille de la famille. Alors, elle jouait tous les rôles de femmes. Et ses poupées, c’était les enfants. Que c’était bien d’être petits ! Mainant, on est ni grands, ni petits et le réalisateur y nous donne des rôles de grands à Colette et à moi. Si sa mère elle savait qu’elle fréquente un indien !
Le couscous, sa loubia et sa chtétra, il a beau nous taquiner les narines, qui c’est qui monte de la plage quand tata Lisette elle nous appelle ? Comme des innocents, zarmah, on entend que dalle ! Personne y répond. Alors c’est papa Vals, le haut parleur d’Alger, qui nous brise les tympans. Et là, personne y peut prétendre ne pas l’avoir entendu.
Même pas j’ai faim ! Rien que j’ai envie d’embrasser ma petite chinoise. Comme avec les cacahuètes ou les tramousses, une fois tu goûtes, tu peux plus t’arrêter ! Tout le monde y tape l’anisette sur la terrasse même tonton Léon que ma tante elle surveille comme le lait sur le feu. Pas pace que c’est un tchitchepoune mais pace que « l’alcool, ça fait du mal, c’est moi qui t’le dit, ma fille ! » . Ma tante, la pauvre, rien qu’elle se fait du souci pour la santé de son mari. Pas assez avec les enfants ! Mais comme c’est la reine de la diététique, mon oncle, raïeb, les gros plats de chez nous, il les mange seulement avec les yeux. Miss régime, c’est ma tante !
J’espère que Colette, si jamais elle devient la femme de ma vie, elle va pas prendre la relève et prétendre au titre suprème de miss régime. Oh ! une dans la famille, ça suffit hein !
Le service y se fait en deux temps. D’abord, les enfants. Les adultes après. Le ballet des femmes de la famille y peut alors commencer. Ma parole, à les voir gesticuler autour de nous, on aurait pu croire que Gène Kelly il est passé par les Horizons Bleus pour régler les entrechats de ma mère et ses sœurs. Purée ! Dès qu’un plat y se vide, tac, une main experte elle rebelote. On peut pas s’empêcher de penser que soit nos mères, elles sont aux petits soins avec les enfants et que le Bon Dieu y les remercie, soit elles meurent de faim et elles ont hâte de nous voir terminer notre couscous pour se le morfaler à leur tour. Après les recommandations d’usage sur la digestion, on se tape la scapa. Déjà, Colette elle m’attend à la plage mais mes cousins y m’accaparent tellement que je préfère demeurer sur la terrasse. C’est vrai, mes cousins, je les aime. D’abord pace que ma mère, sans ça elle me met au pain sec et à l’eau et ensuite pace qu’ensemble on se tape des kilos de rigolade et des tonnes de matches de foot dans le couloir. Et même si y veulent jamais jouer les indiens, on sait qu’on est meilleurs qu’eux au football.
Aujourd’hui, je les trouve pire que la gomme arabique. Y se passe environ une heure que j’utilise à me faire du mauvais sang comme ma mère quand elle à rien à faire. Soudain, y me vient une idée à la Spencer Tracy dans le rôle de Thomas Edison. Encore un peu je m’écrie « euréka j’ai trouvé ! » mais après réflexion je préfère lancer « et si on tapait un match ? »
Purée l’enthousiasme des uns et des autres, les vivats de la foule, les bravo. Marcel Cerdan après les deux calbotes qu’il a données à Tony Zale, même pas il eu droit à une pareille ovation. Encore un peu, mes cousins y me portent en triomphe.
Colette, elle comprend que dalle à mon manège. Elle a simplement oublié que son beau brun musclé, il était en plus intelligent, dé !Alors je lui glisse à l’oreille :
-- je commence le match et zarmah je me blesse ! Après on les laisse !
je suis pas le fils de ma mère pour rien, va ! A malin, malin et demi !
Colette, elle reprend des couleurs. C’est pas encore le technicolor mais on entrevoit le cinémascope.
On laisse les adultes se taper la pancha de couscous et de rigolade et on commence le match sans avoir oublié de nous disputer sur la composition des équipes. Le temps d’une tchèque, d’une roue libre, d’un dribble de Serge qui sait même pas comment il a fait, d’un arrêt du gardien qu’il est habillé comme l’as de pique et de quelques coups de t’menieks des uns et des autres et je décide de me blesser pour de faux comme un zbérote que je suis. Pour de faux, mon œil ! Ce bâtard de Luc y me tape le croche pied du siècle. Aussitôt j’me prends pour une caravelle d’Air France. Je me tape pas le vol plané de l’année ? Mon genou, j’vous dis pas ! Il est pas en cinémascope mais le technicolor y connaît hein ! Y passe par toutes les couleurs de la création. Comme Christiane Delacroix quand elle commente la mode à la radio, mon genou y vire du rouge au bleu avec une tendance verte. Un colori mode, quoi !
Je souffre le martyre et moins Colette, elle me plaint pas et plus j’ai mal.

« Elle est sans cœur cette petite » j’me dit et j’me répète. Quand soudain la raison de son indifférence, elle me saute à la figure. Elle croit que je fais zbérote. Elle croit que comme convenu, je fais semblant. Je tape le cinéma. Bou ! Rien elle comprend, alors cette petite. Elle croit que j’me suis niqué le genou et le coude et le bras et la tête alouette, rien que pour aller me l’embrasser dans un coin ? Oh ! je suis vraiment blessé ! Comme un vrai footballeur ! Avec du sang et tout ! Elle pense quand même pas que mon sang c’est du mercurochrome ?
Quand ma mère et ses sœurs et ses tantes et les voisines et les tantes des voisines elles voient le sang qui coule de partout, l’affolement, j’vous dis pas. Si les indiens y z’avaient attaqué le cabanon, elles auraient eu moins peur. Tata lisette elle est allée dans la cuisine prévenir ma mère que total elle était devant elle, tata Paulette, la pauvre, elle m’a jeté de l’eau à la figure pour conjurer la peur, total ça faisait une heure que j’étais blessé, madame Thomas, elle est allé chercher son bazar pour faire le soleil que total ça avait rien à voir, papa Vals il arrétait pas de répéter en se faisant un ventre de rigolade « C’est rien, c’est comme ça qu’on devient un homme ! ».Qué un homme ! Si y faut être recouvert de sang pour devenir un homme, je reste petit. Ou je deviens une femme !
Ouais, mais comme j’aime pas faire le ménage, la cuisine, le linge, repriser, repasser, aouah ! je reste petit. Châ châ !
Colette la pauvre elle a compris que je me suis morflé l’œil pour de bon. On dirait qu’on lui a tué son père et sa mère tellement qu’elle a de la peine. Avec tous mes pansements, je ressemble plus à une momie qu’à un footballeur. Y manquent que Bud Abbot et Lou Costello pour faire un remake des « Deux nigauds et la momie ». A tout prendre et à y regarder de plus près, les nigauds c’est pas c’qui manque au cabanon. Hors concours, Luc le coulo dans le rôle principal et pour le second rôle y’a que l’embarras du choix.
Purée ! Avec tous ces pansements, comment je vais m’échapper pour roucouler avec Colette ? A savoir !
Comme je peux pas passer l’après midi à me faire plaindre par tout le cabanon qu’à force, à force, les yeux y vont me mettre, alors je souffre en silence. John Wayne, il aurait pas fait mieux sauf que lui, ses blessures c’est du zbérote, du chiqué. Je demande à Colette de m’attendre et en avant nous autres, je la prends par l’épaule zarmah elle me soutient. Ma blessure elle m’a donné des ailes. Je fais semblant d’aller rejoindre les apprentis footballeurs qui continuent le match du siècle.
Tout en matant que personne y nous mate, on se taille vers la forêt où j’espère conter fleurette à ma petite chinoise.
Purée, même pas elle me laisse le temps de me préparer qu’elle reprend son travail de sape. L’aspirateur y s’est remis en marche mon ami comme si je suis un nid à poussière. Ses tétés, que la vérité ça a rien à voir avec ceux de madame Nogués qu’elle prend un malin plaisir à les mettre sous les yeux des gobieux du jardin Guillemin pour donner la tétée à son bébé, y m’attirent comme des aimants. Mais aouah, j’ai trop peur de la baffe ! Je reste sage comme une image jusqu’au moment où ma main gauche, pourquoi la gauche, mystère et boule de gomme, elle devient la main du diable. Sans réfléchir plus que ça, la voilà qui part à l’aventure. Paul Emile Victor c’est moi. « Le conquérant du nouveau monde » c’est encore moi. J’explore un maximum. Mais attention hein pas trop ! Et le respect alors !
Ce jour là, mes jeux d’enfance y z’en ont pris un coup pace que je me vois plus en train de jouer aux « tchic-tchic » après avoir jouer aux tétés de Colette.
Comme il a dit l’autre : " la vie est ainsi faite, aujourd’hui bli-bli, demain cacahuète"
A SUIVRE..................

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