Perdu dans ses pensées, Léon Juda fut ramené à la désespérante réalité lorsque la calèche stoppa aux abords des sources de BIRTRARIA, près de la campagne du Frais Vallon.
Ali Ben RAÏS avait freiné son attelage pour laisser son jeune maître se recueillir sur le promontoire de l'acqueduc dominant la place des suppliciés juifs.
Avec des gestes lents et lourds, Léon Juda escalada la petite colline. Le regard douloureux du fils endeuillé ne put soutenir la vision de ce lieu maudit qui vit tant de ses coreligionnaires précéder son père dans la longue liste des martyrs juifs de ce pays.
L'amertume au bout du regard, il tourna le dos à cette place où la pendaison, l'empalement, la décapitation, l'écartèlement, la lapidation et bien d'autres tortures ottomanes servaient de spectacle à une populace corrompue.
La calèche traversa le Passage JENNEE situé sous le Palais de la "JENINA". Cette voie, couverte d'arcades soutenues par d'épaisses colonnes à têtes d'animaux sculptées, captait la lumière sublime d'EL DJEZAIR puis la diffusait, tamisée, au grand bonheur des caravaniers qui s'y reposaient, heureux de cette halte rafraîchissante. Y séjournaient de nombreux mendiants dans l'espérance d'une hypothétique pièce de monnaie jetée avec dédain ou générosité par quelque dignitaire étranger.
Léon Juda demanda audience à HADJ ALI qui régnait sur EL DJEZAIR depuis 1809. Contre toute attente, le Dey accepta de le recevoir sur-le-champ ce qui intrigua le jeune homme mais ne le déstabilisa point.
--" Peut-être me confond t-il avec un membre influent de la communauté!" se contenta t-il de penser en franchissant le bureau du Dey.
Trônant sur un canapé à baldaquin, assis en tailleur et adossé à un tapis de coussins de velours vert et bronze, HADJ ALI apposait son sceau sur un parchemin soutenu par un écritoire en bois, présenté par un jeune noir aux pieds nus.
Son visage autoritaire, adouci d'un collier de barbe grisonnante, se tourna vers le visiteur occupé à poser son regard-girophare sur ce décor familier, mille fois arpenté en attendant son père, David DURAN, "drogman " de MUSTAPHA PACHA.
Seule, la fontaine était restée intacte, toute de faïence outremer enchâssée et clapotant du même ruissellement musical de son eau claire et limpide.
Léon Juda sentit l'insistance du regard posé sur lui et le souffle puissant de la voix rocailleuse qui l'interpella.
--" Je t'accorde peu de temps ! Alors parle ! Et parle vite ! Et d'abord, qui es-tu ?"
--" Je suis Léon Juda BEN DURAN, fils de David DURAN et descendant de l'illustre "RASHBAZ"
--" Ainsi, tu es le fils de l'ancien Chef de la Nation Juive!"
--" Oui! MONSEIGNEUR! Et je ne trouverai le repos de l'âme qu'après avoir connu la raison qui a armé le bras du bourreau! ".
--" Ton père a mal agi! Il a dressé ses frères les uns contre les autres!"
--" Avec tout le respect que je dois à votre Seigneurie, mon père désirait, par-dessus tout, le bonheur de sa communauté. Jamais, il n'aurait transgressé la loi de MOÏSE. Toute sa vie, il a mis en application l'héritage de son ancêtre qui a réunifié le judaïsme du pays!"
HADJ ALI emprunta un ton moins autoritaire devant les accents de sincérité qui émanaient de ce jeune juif qui outrepassait, pourtant, ses privilèges.
--"Ces derniers temps, les rapports BACRI-DURAN s'étaient détériorés et les plaintes sur la gestion des finances israélites s'étaient amoncelées sur mon bureau!"
--" Mais, vôtre grâce! Jamais la maison BACRI n'a pardonné à mon père la détention de Joseph COHEN-BACRI dans sa "Djénan", mais cela découlait d'une injonction du Dey....."
--"Cela suffit, jeune homme! Ton père me tenait tête, comme toi du reste! Il voulait m'imposer ses vues sur la condition de sa communauté! Et cela je ne l'accepte pas! Ni de lui ni d'un autre! Le nouveau "Moqqadem" l'a bien compris, lui !"
Devant la mine décomposée de son jeune interlocuteur, le Dey fixa Léon Juda, droit dans les yeux, puis ajouta:
--"N'oublies jamais qu'ils ont exigé que je lui prenne la vie!"
A SUIVRE................
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