lundi 5 décembre 2011

LES SYNAGOGUES DANS L'ALGERIE COLONIALE DU XIXeme SIECLE de Valérie Assan

Les synagogues consistoriales

Valérie Assan est agrégée de l’Université. Elle prépare une thèse de doctorat sur les consistoires israélites en Algérie (1845-1905). Dans ces conditions, on comprend que les réformes du rituel aient pu être un enjeu de luttes entre les Juifs « indigènes » et les rabbins métropolitains. L’emploi du français pour les sermons, l’apparition de l’orgue dans certaines synagogues, et surtout l’extrême ardeur de certains ministres du culte à combattre les rites locaux étaient voués à l’échec, face au poids de traditions encore vivantes et d’une organisation communautaire clientéliste. Un rapport non daté concernant l’organisation de la première synagogue de la rue Scipion donne un bon aperçu des traditions qui perdurent au sein même des temples consistoriaux, longtemps après l’ordonnance de 1845 : les recettes, constituées par la vente des mitsvot (honneurs pour toute l’année) et des alioth (montées au sefer Torah les shabbat et les jours de fête), sont encaissées auprès des plus riches, qui abusent de leur position de notables de la communauté pour payer quand ils le désirent : « les ministres-officiants et les bedeaux s’adressent directement aux plus forts contribuables, le plus souvent avant le terme échu. Ces derniers les accueillent ou les repoussent selon leurs caprices du moment, mais enfin traitent avec eux sans que les commissaires osent se permettre d’intervenir. ». Les honneurs ne sont pas estimés en francs, mais dans une monnaie fictive, le deb, utilisée aussi pour le calcul des dots. Par ailleurs, le plus grand désordre règne dans la synagogue. Le consistoire tente d’agir par des règlements, tout en reconnaissant leur inefficacité : contrôle de la vente des honneurs, obligation de dire la plupart des prières à voix basse, amendes pour ceux qui troublent l’office par leurs bavardages et leurs déplacements, interdiction des « youyous » des femmes, qualifiés de « cris », interdiction encore, pendant la fête de Pourim, des « démonstrations tapageuses et inconvenantes désignées sous le nom de Kebkab ainsi que tout trépignement ou bruit quelconque ». Par conséquent, la vigueur du discours idéologique sur la régénération des Juifs « indigènes », tant dans les divers rapports des rabbins consistoriaux que dans la presse juive de la métropole, ne doit pas masquer la réalité des faits : sur le terrain, le culte continue à être assuré par les rabbins indigènes, qui « sont les véritables rabbins de la communauté
» encore au début du XXe siècle. Cette période marque toutefois un tournant : les débats s’apaisent ensuite avec la constitution d’une classe moyenne portée à s’assimiler et la déjudaïsation des classes supérieures. Par ailleurs, l’évolution des synagogues algériennes au XIXe siècle nous renseigne sur celle de la place des Juifs dans la société de cette région du Maghreb : désormais tolérés, les Juifs ne sont cependant pas intégrés à la société coloniale. En effet, la place de chaque groupe de population est déterminée selon une hiérarchie dans laquelle les Juifs, qui viennent après les Français puis les « Européens » (Italiens, Maltais et Espagnols), valent à peine plus que les Arabes, et beaucoup moins qu’eux à partir des années 1880, où les thèses de Drumont se répandent. On n’est donc pas étonné que des synagogues aient été prises pour cibles lors des premières manifestations anti-juives en Algérie, comme à Mostaganem en mai 1897.  
FIN


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