mercredi 20 juillet 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -33 -

Bab El Oued vit au rythme des saisons avec un été qui ralentit son pas et invite à la nonchalance, un automne pourpre qui promène ses blancs nuages  dans la clémence des cieux, un hiver pointillé qui s’achève dans la transparence d’un printemps de lumière.
Et au large, douce et câline, la Méditerranée……….
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Des gestes immuables cadencent la vie de la population. Dès le réveil, chacun revisite le spectacle offert par dame nature. Le théâtre des balcons frappe les trois coups. Le rite de bon voisinage s’éternise afin d’entretenir l’amitié.
Le dimanche matin est un jour spécial. Tout Bab El Oued se met sur son 31. Entre la messe, le marché, le café, le sport et l’« andar et venir » avenue de la Bouzaréah, chacun fait son choix.  Les habitudes des pionniers demeurent vivaces dans ce pays où l’on aime se montrer. La jeunesse tape la promenade autant pour parader que pour taper des œillades aux belles demoiselles qui se pâment d’amour au moindre regard échangé.
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Les adultes tapent la belote ou la ronda, la manille ou la schkobe, l’anisette et la kémia. L’amitié  retrouve ses couleurs d’enfance et le rire s’enroule autour des tables et des tournées. Lorsque sonnent les cloches de l’église, chacun rentre chez soi car le repas dominical en famille est sacré et nul ne peut enfreindre une loi non écrite mais respectée de tous. L’après-midi, lorsque les hommes ne supportent pas leur équipe favorite au stade de SAINT-EUGENE, MARCEL CERDAN ou MUNICIPAL, la famille au sens large du mot resserre le cercle autour d’une partie de belote pour les hommes et d’un bon café pour les femmes avec le fou-rire en invité permanent.
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La famille tient un rôle essentiel dans la vie de chaque enfant de Bab El Oued. Elle est le repère, le champ clos, le cocon au sein duquel rien ne peut arriver. La famille protège de l’extérieur et montre la voie de l’abnégation et de la cohésion de ses membres. Elle est ouverte aux parents éloignés des  branches co-latérales du père et de la mère sans se  cantonner aux seuls frères et sœurs. Les oncles et tantes, les cousins et cousines allongent la liste des invités lors d’un repas dominical ou d’une fête religieuse. En un mot comme en cent, la famille, c’est le bonheur dans la maison!
On agrandit parfois la tribu par le biais de l’amitié et les gamins appellent « tonton » et « tata » les amis de la famille.
Même la voisine sollicitée par une maman momentanément absente à l’heure de la sortie des classes, se charge avec un empressement tout maternel de la tâche qui ne paraît en aucun cas être un fardeau tant les services se rendent de part et d’autre du palier. Ici pas de chichis! On partage les joies comme les peines. Les portes ouvertes sur le palier encouragent les indiscrétions mais aussi et surtout les échanges. Les jours de fêtes, on offre une assiettée de pâtisseries au voisinage qui rendra le plat assorti d’une friandise pour les enfants. Si un citron manque pour une sauce, pas besoin de courir chez le « moutchou » du coin, une voisine y pourvoira à charge de revanche. Ainsi s’écrit l’histoire des relations humaines d’un immeuble, d’une rue, d’un quartier.
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Le respect des adultes se vérifie chaque jour et à chaque heure de la journée. Le garçon qui fréquente «  l’école de la rue » dès l’âge de cinq, six ans, use de tout son pouvoir d’imitation, voire d’admiration pour les plus grands. Il apprend les jeux de la rue, l’amitié, les plaies et les bosses……et les grossièretés que Bab El Oued maquille en « gros mots ». Mais la rue lui enseigne une donnée fondamentale de l’éducation du faubourg ; pas de gros mots devant un adulte. S’essuyer les mauvaises habitudes sur le paillasson avant d’entrer à la maison, tel est le leitmotiv des « oualiones » du quartier.
Les enfants de Bab El Oued respirent la vie à pleins poumons. Lâchés dès le plus jeune âge dans l’espace aérien de l’insouciance, la rue devient leur royaume. Un royaume transmis par les anciens qui passent le flambeau avec un rien de nostalgie pour toutes ces années bénies en culottes courtes. Bab El Oued ne se couche pas sur un matelas doré. Aussi, les jeux de l’enfance puisent à la source du savoir des générations précédentes pour s’amuser sans dépenser un sou.
Ainsi se perpétuent « Papa Vinga», « Fava vinga » les noyaux d’abricots, la toupie, les tchapp’s, les billes, la savate, la carriole, la boléra4, le taouète, le carré arabe, autant de jeux qui nécessitent un investissement humain certain car la débrouillardise et le courage  en sont les denrées indispensables mais dont l’aspect financier est quasiment inexistant.
Parce que les adultes n’oublient jamais qu’ils furent de sacrés garnements, ils gardent une tendresse toute particulière pour les « voyous » du quartier. En les regardant grandir, ils se souviennent des escapades à la carrière Jaubert à la poursuite des « machos » ces grosses sauterelles vertes qui effrayaient les plus petits, des rencontres de football inter-quartiers qui se terminaient immanquablement par arrêt de l’arbitre pour « divergence de vue » avec l’une des deux équipes, des « panchas » à Padovani, des équipées sauvages au « Mon ciné » ou au « Rialto » qu’ils prenaient d’assaut en bandes, des premières amourettes qui laissent des bleus au cœur et du vague à l’âme.
L’enfant est roi dans ce pays. Les manchettes des journaux sont  soumises à la portion congrue dans le domaine de la martyrologie de l’enfance. La moindre toux saoule d’inquiétude la maman-gâteau pour laquelle son petit est la huitième merveille du monde. Les enveloppements d’alcool, les ventouses, les cuillerées d’huile de foie de morue, les fortifiants de toutes sortes « pour aider le petit à grandir », les nuits blanches à veiller « si le petit y respire bien », la prise de la fièvre en posant les lèvres sur la tempe, les flambées d’alcool pour chauffer la maison avant le bain du petit, le lit « mis à l’air » chaque jour, les matelas retournés chaque semaine, la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble, les plats divinement décorés, les pâtisseries délicieuses inoubliées du palais, les nuées de petites attentions résument parfaitement les battements du cœur des mamans de ce pays « pour leurs petits ».
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A SUIVRE............



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