vendredi 3 juin 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED -27- -hubert zakine-

CHAPITRE QUATRIEME
LES QUARTIERS
LA PLACE LELIEVRE

La place Lelièvre se délimite par son église, son kiosque à musique, son boulodrome et son groupe scolaire. Quatre points cardinaux, quatre points névralgiques, quatre lieux mythiques qui résistent au temps défiguré dans la mémoire collective de la population. Bab El Oued a ceci de particulier que ses habitants ne sortent que contraints et forcés de leur enclave. Ils goûtent leur cocon familial avec délectation comme ils apprécient la complicité qui émane du voisinage. Depuis la maternelle, une amitié cimentée par la fréquence des rencontres lie l’enfance en l’arrimant au quartier. Aussi, chacun prend le temps d’affiner ses sentiments envers le théâtre de lumière de sa jeunesse et la vie s’écoule paisiblement, bercée par les atouts du cœur.

L’église Saint Joseph trône sur cette place qui forme un carré presque parfait. Même si quelques chapelles furent bâties en toute hâte pour satisfaire le besoin de Dieu des premiers arrivants en Algérie, on peut avancer que Saint Joseph est la plus ancienne église de Bab El Oued. Le Père CASTERA, figure emblématique de ce lieu voué à la prière, marqua des générations de fidèles. Dans la mémoire des gens de ce quartier et au delà, de tout le faubourg, il reste « LE » curé de Bab El Oued. Cet homme pieux est adoré de ses paroissiens qui n’hésitent pas à choisir des enfants de chœur parmi les enfants juifs du quartier. Vous avez dit inter-communautarisme ?

Une autre, si ce n’est « LA » célébrité de la Place Lelièvre adresse sa marchandise aux garçons et filles du groupe scolaire qui fait face à son magasin dont l’enseigne célèbrissime « COCO ET RIRI » est synonyme du bonheur de l’enfance.

Suranné, le kiosque à musique se souvient des beaux concerts militaires du square Bresson où l’avaient installé les urbanistes des années trente. Depuis son transfert Place Lelièvre, sa mission première demeure d’ordre décoratif, rôle parfaitement rempli par ce bijou d’architecture baroque. Envahi par les enfants du quartier qui respectent la majesté du monument, il retrouve des fragments de sa jeunesse passée lors d’épisodiques manifestations musicales organisées par les fanfaristes de Bab El Oued ou lors de bals populaires particulièrement appréciés.

Le boulodrome s’endimmanche tous les jours et atteste de l’envergure de la cage thoracique des joueurs qui s’enguirlandent durant des heures pour un demi-centimètre qui fait toute la différence entre une partie gagnée ou perdue, et comme le Bab El Ouédien déteste perdre……….. Ici, le joueur occasionnel n’est pas courtisé, car ici, monsieur, on joue à la Lyonnaise, la longue qui exige un cérémonial que ne désavouerait pas un grand metteur en scène. Tout est dans le geste, dans la course et le lancer de cette boule « qu’elle vous arrache le bras, ma parole! ». Les parties succèdent aux parties dans le brouhaha rythmé des entrées et sorties des écoles et des disputes de bonne santé raillées par les épouses qui traitent leurs maris de « chiffonniers ». Un éternuement malicieux ou spontané peut entraîner l’annulation d’une partie en ce lieu où tous les coups sont permis mais non autorisés. Les jours de tournois, le quartier cesse de respirer pour ne pas troubler la sérénité nécessaire à ce sport qui avoue avec une certaine réticence sa parenté avec ce jeu de fainéant : la pétanque.

Place Lelièvre comme partout ailleurs à Bab El Oued, la compétition reste le nerf de la guerre entre garçons et bien que l’on soit copains du quartier, on se « prend en tête à tête » à la sortie de l’école dans une entrée de maison, souvent pour une peccadille. Lorsque les adversaires ne sont pas des « gamates1 » et désirent simplement que l’honneur soit sauf, la place fait office de ring et les « boulomanes » d’arbitres stoppent le combat dès le premier coup de gong . Plus qu’aux Messageries et à la Basseta, la population reflète ici le petit monde de Bab El Oued par la diversité de sa population de toutes origines et de toutes confessions.

A SUIVRE...

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