DES SYNAGOGUES PROPRIETES DE L’ÉTAT ?
En effet, dès 1830, la législation a placé les biens religieux de l’Algérie sous la tutelle de l’État. Ces mesures, qui visaient les corporations musulmanes, n’ont pas été immédiatement appliquées aux synagogues. La question de la propriété se pose toutefois à partir du moment où des travaux sont entrepris : jusqu’en 1870, le budget de toute la colonie est détenu par le ministère de la Guerre, et l’administration militaire est tentée de considérer comme siens des bâtiments qu’elle a édifiés ou réparés.
Un décret du Gouvernement général en date du 4 août 1861 permet la remise aux consistoires de la colonie de certains locaux, parmi lesquels des synagogues.
BOGHARI |
Cette mesure permet aux communautés de faire réparer des lieux de prière sans craindre de les voir réclamés par l’administration. À l’inverse, les biens dont la propriété n’a pas été clairement revendiquée risquent d’être « repris » par l’État. C’est ainsi qu’en 1884 les biens de la communauté israélite de Tlemcen sont placés sous séquestre, alors que les Juifs jouissent de plusieurs d’entre eux dès avant la conquête française. Le consistoire d’Oran intervient et obtient en 1886 la remise des biens concernés, en tout cinq immeubles d’une superficie totale de 540 mètres carrés environ.
Bien plus, les consistoires sont aptes à recevoir des subventions de l’État pour la construction et la réparation des édifices. Comme en métropole, ils doivent soumettre leurs projets à l’approbation d’une commission dépendant du ministère des Cultes qui a pour l’Algérie un rôle purement consultatif tant que le ministère de la Guerre reste maître du budget, soit jusqu’en 1870.
ORAN |
À mesure que le régime civil s’étend en Algérie, les budgets des municipalités et des départements peuvent proposer des crédits pour les édifices non-catholiques, par la suite acceptés ou non par le ministre des Cultes. Dans les années 1880, certains députés ont tendance à appuyer la demande des communautés juives auprès des plus hautes autorités dans une logique électoraliste : le système « des rattachements » prévoit en effet que l’administration civile de la colonie corresponde directement avec les différents services ministériels. Gaston Thomson, en particulier, député de Constantine depuis 1877, intervient auprès du ministre des Cultes en 1887-1888 pour qu’une subvention de 6 000 francs soit accordée pour achever la synagogue de Souk-Ahras, puis se tourne vers le président du Conseil en 1894, dans l’intérêt de la communauté de Tébessa.
Que le sort des synagogues dépende de l’administration militaire ou de l’administration civile, l’application de la législation est soumise à la bonne volonté de fonctionnaires parfois peu enclins à prendre en considération les besoins de la population juive. On en donnera ici deux exemples.
Le gouverneur général de l’Algérie refuse en 1848 un projet de construction de synagogue à Mostaganem, pourtant établi par les services de la province d’Oran, en faisant valoir « combien sont bornées les ressources budgétaires que l’on peut affecter à la construction des édifices consacrés aux différents cultes et il ne conviendrait pas qu’on employât 30 000 francs environ pour une synagogue destinée à une population qui n’atteint pas le chiffre de 600 personnes, lorsque beaucoup de villages manquent d’églises. »
BAB EL OUED SYNAGOGUE SAMUEL LE BAR |
En 1882, le consistoire d’Alger sollicite la concession d’un emplacement domanial de 980 mètres carrés à Orléansville, à l’angle des rues de la Mosaïque et de l’Hôpital, afin d’y bâtir une synagogue.
Comme il ne peut justifier des ressources pour cette construction, l’affaire traîne. En 1889, le consistoire est en mesure de proposer de payer 26 000 francs sur les 31 000 francs de frais prévus par le devis. Mais le gouverneur suit l’avis du préfet selon lequel le consistoire d’Alger, dont le budget est excédentaire, ne pourra bénéficier d’aucun secours de l’État. La concession de terrain ne sera par conséquent accordée que si le consistoire s’engage auparavant à payer entièrement la construction.
Bien plus, le dossier est enfin examiné par le Comité des inspecteurs généraux des édifices religieux le 8 octobre 1890. Quelques modifications architecturales sont demandées afin de réduire les coûts ; et alors que ce comité proposait d’allouer un secours de 3 000 francs, le ministère refuse toute subvention sous un nouveau prétexte : « Ce secours est, en effet, demandé pour un temple qui sera la propriété du Consistoire ; or, le fonds de secours mis à ma disposition est en règle générale réservé aux édifices qui sont propriété communale». Or, les consistoires d’Algérie ont depuis 1861 la personnalité civile, et donc la capacité de recevoir des fonds. On peut donc croire à une entente de différents acteurs de l’État pour réduire les fonds donnés aux Juifs, au moment où l’antijudaïsme s’exprime de plus en plus ouvertement dans la colonie.
A SUIVRE......
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