CHAPITRE 26
MŒURS ET TRADITIONS
LES QUARTIERS
LES MESSAGERIES
Bien avant la conquête, les coursiers de la régence d’Alger prennent leurs ordres à la résidence du dey. Forteresse plus sûre, la « Cassaubah » a supplanté le palais de la Jénina sous le règne d’ALI KHODJA. Les écuries du Dey se sont alors déplacées vers le mer. La caserne des Janissaires borde la future avenue Malakoff. La plage toute proche où s’ébattent les purs sangs arabes conservera l’appellation de « bains des chevaux » jusqu’à la construction du stade Marcel CERDAN en 1949. Auparavant, sa fonction fut préservée par les Maltais qui y faisaient la toilette de leurs montures.
Au même titre que nombre de quartiers de BEO, les Messageries sont une enclave au cœur même du faubourg, un îlot au milieu d’un archipel, un territoire absolu, une petite Italie.
Née de l’imprudence maladroite d’un épicier Mozabite en 1927 qui abattit un mur de soutien afin d’agrandir son magasin, la démolition du quartier de la Marine dont l’insalubrité et le délabrement des maisons sont enfin constatés, offre aux locataires un relogement au sein de cinq groupes d’Habitations à Bon Marché de la Régie Foncière dont trois à Bab El Oued (Messageries, Malakoff et Léon Roches).
Le quartier des Italiens hérite ainsi d’appartements neufs, spacieux et aérés dont le regard se perd dans la Méditerranée. Tous les emplacements jouissent d’une situation exceptionnelle. La cité des Messageries débouche sur le front de mer dans une symphonie de bleu et de blanc qui concourt à l’embellissement de Bab El Oued.
La petite Italie resserre ainsi les rangs. On se retrouve en pays de connaissance. Le cercle de famille s’arrondit et ouvre ses bras pour accueillir les heureux élus de la Régie Foncière.
Chacun bénit le mozabite de la Marine. Grâce à lui, le premier pas vers la lumière est franchi. L’Eldorado fut long à se dessiner mais aujourd’hui, le chemin est tracé, la voie est ouverte. Le goût d’entreprendre est revenu.
Le quartier conserve son nom même si les Messageries n’existent plus. Le temps des coricolos, des galères et des diligences s’efface. Le tramway BONNIFAY tiré par 3 chevaux qui dépose ses voyageurs aux arrêts de Malakoff, Barchicha, Salpétrière, Consolation et Saint Eugène s’épuise dans les côtes. Bientôt, son image rejoindra d’autres pans de l’histoire du pays dans l’armoire aux souvenirs. Les Messageries prennent le train de l’émancipation française et l’essor du pays, de la ville et du faubourg rejaillit immanquablement sur le quartier. L’enseignement, la religion, la petite industrie, le commerce s’invitent, alors, aux noces de la modernité et de la tradition.
Un peu plus loin, la plus grande imprimerie de Bab El Oued, la TYPOLITHO que les Messageries considèrent comme faisant partie de la famille.
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Rue des Lavandières, la future école SIGWALT apprend la France aux garçons de Procida, Torre del Gréco et Naples. Elèves turbulents ou disciplinés, attentionnés ou désinvoltes, ils emmagasinent le savoir parler, écrire, lire et compter sous la baguette de maîtres sévères mais justes. Certains s’évanouissent de la mémoire collective sitôt l’année scolaire terminée. D’autres marquent de leur empreinte psychologique ou vestimentaire des générations d’enfants tel ce directeur métropolitain, Mr CAZAUBON avec son béret basque et son mégot de cigarette qui semble sécotiné à ses lèvres, l’impeccable Mr SERROR toujours tiré à quatre épingles ou bien Mr LIEVIN, footballeur à l’A.S.S.E qui commente tous les lundis les résultats sportifs du dimanche.
L’école des filles fait face à la Synagogue. Elle sort les fillettes de leur isolement où les cantonnent les « mamas » italiennes dans des tâches ménagères car « une bonne table et un bon lit gardent le mari à la maison, ma fille! ». Sitôt sorties de l’école, elles sont assiégées par les apprentis dragueurs de SIGWALT et si elles pressent le pas, leurs œillades de midinettes encouragent les avances. Une des institutrices fait la une des journaux non pas pour son mérite pédagogique mais en sa qualité de maîtresse d’un professeur de gymnastique d’Algéria Sport qu’elle trucida et découpa en morceaux après l’exode. Rue de DIJON, la synagogue Samuel LEBAR voit défiler toute la communauté de BEO.
En plein cœur de la « petite Italie » des Messageries, le Temple du judaïsme témoigne de l’entente cordiale qui règne au sein des quartiers d’Alger. On y célèbre la « Bar Misvah » qui ouvre les portes de la majorité religieuse à l’enfant de treize ans.
On s’y marie en empruntant au rite séfarade une liturgie spécifique datant des grands Rabbanim de l’âge d’or du judaïsme. On y prie, on y récite le « Quaddiche », la prière des morts, on y jeûne les jours de « Yom Kippour » que l’on appelle, par accoutumance et adhésion à la langue française, Grand Pardon , on y fête Pessah , la Pâque juive, on y pratique tout simplement le judaïsme.
Le gardien de la synagogue, qui est également le chemech en hébreu, revêt les jours de cérémonie son habit de lumière et son bicorne lui donne l’allure austère d’un académicien. Un terrain attenant la synagogue faisant office de stade, la jeunesse turbulente des Messageries lui procure souvent une migraine folle par les frappes répétées dans le but tracé sur le mur arrière du Temple. Magnanimes certains jours, les footballeurs glissent vers le square qui trône au beau milieu du boulevard de Champagne pour étancher leur soif de dribbler et marquer des buts. Ceci sous le regard bienveillant des agents de police du cinquième arrondissement, pour la plupart amoureux du ballon rond.
Un peu plus haut, LA POMPE, l’une des célébrités de Bab El Oued n’abreuve plus les chevaux et les habitants du quartier. Mais elle conserve la noblesse de l’art hispano-mauresque qui en fait un monument impérissable aux yeux de tous jusque dans les années 50 pour laisser place à une circulation automobile devenue pour l’époque, intense.
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Au fil des saisons, les enfants des Messageries larguent les amarres d’avec l’Italie, ce pays-passion dont leurs parents et grands-parents sont issus. Pleinement réussie, l’intégration pastellise les images d’antan. La France a fini par créer une nouvelle race que l’on nomme Européens d’Algérie. Plus tard, lorsque le vent de l’histoire fera son œuvre déstabilisatrice, les LIGUORI, FASANO, GARGIULO, PAPPALARDO n’hésiteront pas à poser leurs valises en France métropolitaine qui fut pourtant la cible de leur désamour mais s’était enracinée dans leur inconscient. Très peu vogueront vers le pays de Dante pour tenter d’y enfouir leur chagrin.
Les Messageries ont vécu. Les murs ne répercutent plus les chansons napolitaines de Claudio Villa, Renato Carosone ou Marino Marini, l’école SIGWALT ne raconte plus la France des monts enneigés à des enfants en sueur, le café des Trois Avenues ne résonne plus d’engueulades de bonne santé mais du claquement sec des dominos dans une odeur entêtante de Kawah, ce breuvage très sucré datant de l’époque ottomane, la synagogue s’endort dans le silence d’une prière murmurée par un vieil homme solitaire à barbe blanche de prophète. Mais de la mémoire des hommes renaît ce quartier bien au-delà des mers, des frontières et des cimetières jusqu’au dernier soupir du dernier de ses enfants. Au delà de la vie!
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A SUIVRE CHAPITRE 27
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