lundi 18 avril 2011

Les synagogues dans l’Algérie coloniale du XIXe siècle -Auteur:Valérie Assan

LA SYNAGOGUE SOUS LA REGENCE OTTOMANE : UN LIEU CONFIDENTIEL

Sous la domination turque, l’aspect des synagogues et leur place dans les villes étaient directement liés au sort réservé aux Juifs et à leur obligation de résider dans un quartier spécifique. C’est le cas pour Alger, comme l’indique René Lespès : « Seuls […] les Juifs s’étaient vus de tout temps parqués dans une zone spéciale, comme dans toutes les villes d’Afrique du Nord, où ils étaient ordinairement refoulés vers la périphérie, le long de l’enceinte. À Alger, ils occupaient la partie basse de chaque côté de la rue du grand Souk et surtout entre celui-ci et la mer ; la rue était en plein quartier juif, qui se prolongeait avec ses souks sur l’emplacement actuel de la place du Gouvernement. On retrouvait la population israélite au voisinage de la porte Bab-el-Oued, contre le rempart, principalement du côté de la mer, où elle avait sa principale synagogue, la Hara, lieu de refuge aux jours d’émeute. Resserrés dans leurs quartiers, les Juifs s’entassaient dans des maisons surpeuplées où beaucoup habitaient des caves, dont l’entrée n’avait que 1 m 30 à 1 m 50 de haut."
En vertu du statut de « protégé » réservé aux gens du Livre, les lieux de culte juifs et chrétiens étaient tolérés à condition qu’ils fussent discrets : interdiction de faire sonner les cloches d’une église, d’exhiber une croix ou de bâtir plus haut que les maisons des musulmans. Se fondant dans le dédale du quartier juif, les synagogues se distinguaient mal des habitations : les archives laissées par l’administration coloniale les décrivent comme de simples pièces dépassant rarement cent mètres carrés et situées dans une maison de style mauresque.
Dans les grandes villes, il s’agissait aussi de protéger des lieux généralement pris pour cible lors des pogroms commis par les Janissaires, en marge des changements de règne des deys et des beys.
En témoigne le trop fameux pogrom du quartier juif d’Alger, perpétré le 29 juin 1805, après l’échec de la révolution de palais qui visait à destituer Mustapha Pacha, qui inaugura une nouvelle ère de terreur et de rumeurs au sein de la communauté
L’abbé Poiret décrit ainsi sa visite de la ghrîba de Bône, sous la conduite des Juifs du lieu qui le prirent pour un rabbin déguisé : « […] ils me montrèrent tout dans le plus grand détail ; mais le tout fut bientôt vu. Leur synagogue est aussi chétive que leurs personnes. Pour le peu qu’ils étaleraient de richesses, elles leur seraient bientôt enlevées"
Toutefois, ce tableau doit être nuancé au moins pour l’Ouest algérien. À Tlemcen par exemple, six synagogues purent être reconstruites entre 1790 et 1800, lorsque le bey Mohamed chassa les Espagnols de la ville et s’y installa, entouré de familles juives ramenées de Mascara
Quoi qu’il en soit, les lieux de prières étaient bien les centres de la vie juive au début du XIXe siècle, et le demeurent encore longtemps par la suite : maison de prière, école, siège du tribunal rabbinique, asile pour les rabbins-quêteurs.
La synagogue était aussi le lieu choisi pour la désignation des candidats aux fonctions de chef de la nation et de membre du Conseil hébraïque. Longtemps après la fin de la Régence turque, elle reste le lieu de rassemblement communautaire par excellence et accueille les élections consistoriales à partir de 1871 ; c’est là encore que les Juifs prêtent le serment more judaico, à la demande des Turcs puis des Français
Il faut noter aussi que beaucoup de synagogues, bien que discrètes, se sont chargées au fil du temps d’un riche passé religieux et historique et sont devenues de véritables lieux de mémoire : plusieurs synagogues portent le nom d’un rabbin, telle S. Rabbi Messaoud à Constantine, du nom du rabbin Messaoud Zehgib, qui vécut au XVIIIe siècle ; les événements historiques les plus marquants pour les communautés juives sont rappelés par certaines prières, lors de la fête de Pourim, à Alger et à Oran
En outre, la majorité des synagogues appartient à un ou plusieurs propriétaires privés qui les administrent après les avoir achetées ou, plus souvent, après en avoir hérité. Ces hommes, généralement issus des quelques familles qui constituent l’oligarchie des communautés juives, ont donné à leur synagogue leur propre marque : ce sont des dons d’objets cultuels, une plaque sur la façade rappelant le nom du ou des fondateurs et des administrateurs successifs, certaines particularités du rituel liées à l’origine géographique du propriétaire.
Ainsi, à Constantine, la synagogue « des Algériens » est fréquentée par les Algérois qui veulent préserver leurs traditions propres. Il faut ajouter que, dans une aire géographique marquée par le syncrétisme culturel et religieux, la sainteté de certaines synagogues est reconnue également par les musulmans : les ghrîba de Bône et de Biskra sont des lieux de pèlerinages juifs et musulmans.
Pour la fête de Chavouot (Pentecôte), les lettrés musulmans se rendent dans les synagogues de plusieurs communautés d’Algérie, tout comme en Tunisie et en Libye, afin d’écouter la lecture du commentaire attribué à Saadia Gaon « dans un arabe archaïque et élégant ».
A SUIVRE....

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