jeudi 28 avril 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED hubert zakine

CHAPITRE 24
CHAPITRE QUATRIEME
VIE ET MŒURS
LES QUARTIERS

Le « royaume » de Bab El Oued est un quartier d’Alger. Une ville dans la ville, une terre étrangère, exotique, que les « étrangers », c’est ainsi que l’on nomme ici les habitants des autres quartiers, abordent avec un rien d’appréhension envers ces jeunes gens sympathiques mais ô combien exubérants qui ne se déplacent qu’en bande et jonglent avec le verbe haut et le rire tonitruant. Venir s’encanailler dans le ventre des cafés où de jolies espagnoles dévoilent leurs jambes fines et nerveuses au son de flamencos endiablés, passer une soirée dans un de ces bars enfumés où les effluves d’anisette saoulent autant que les mélodies improvisées sur des guitares nostalgiques, c’est un passeport d’intrépidité pour les gens de la haute ville. C’est le droit de se « tartariniser » aux yeux des autres et de flatter sa propre image dans le miroir aux alouettes. C’est également la face cachée de sa propre vie, l’homme qu’il aurait pu devenir si son horizon avait flirté avec Bab El Oued, si ses aïeux avaient adopté le faubourg en posant le pied sur la terre d’Algérie. Bien qu’il n’ait pas, par précaution sans doute, débordé de l’épine dorsale du quartier, il pense en connaître toutes les facettes. Ce qu’il ignore c’est que Bab El Oued ne se reconnaît pas dans l’exclusivité. Il n’est ni italien ni espagnol. Il n’est pas plus juif que maltais. Il n’est pas musulman, corse ou alsacien lorrain. Mais il est tout cela à la fois. La synthèse d’un brassage communautaire qui boit à la source vive de la Grande France. Le but suprême de ces gens venus de tous les horizons est de servir la mère-patrie tout en se servant de ses valeurs républicaines afin de mettre des couleurs à leur existence monochrome. Mais cette unité de vue n’empêche pas les différences et cette volonté de se fondre dans un moule commun français n’interdit pas le désir de nouer des liens plus étroits avec des gens de même origine. Bab El Oued fort de ses cent mille âmes ne peut éviter des regroupements par affinités géographiques ou affectives. Telle famille napolitaine prévient d’autres natifs du sud de l’Italie de la disponibilité d’un appartement et l’immeuble chante bientôt Claudio VILLA ou Beniamino GIGLI. Telle « tribu » israélite s’empare d’une rue et aussitôt les oncles, les tantes, les cousins, les cousines guettent les appartements ou les locaux commerciaux libérés afin que Bab El Oued chante la casbah judéo-arabe par les voix de Lili LABASSI, Line MONTY ou Lili BONICHE. Pareil pour les Espagnols qui rassemblent alentour de la Basseta tout ce que Bab El Oued compte d’hispaniques qui se gargarisent de la voix chaude et sensuelle de Sarita MONTIEL et ne manquent aucun film de Luis MARIANO et Carmen SEVILLA. Ajoutez un amour inconsidéré pour le lieu de naissance, le quartier, la rue, la maison où l’on a ouvert les yeux et passé sa jeunesse que s’éloigner de cinquante mètres de « son chez soi » frôle l’utopie. A Bab El Oued, on est d’une rue, d’un immeuble, voire d’un appartement qui demeure la « propriété » de la famille tant que l’un de ses membres le désire. Cela ne souffre aucune discussion auprès de quiconque. Locataire, le Bab El Ouédien est propriétaire de son logement, de son faubourg, de son café, de son équipe de football, de ses amitiés. Ce sentiment de propriété découle de l’amour viscéral qu’il porte à ce village transformé en « royaume » par ses aïeux.

Plus qu’ailleurs, le faubourg est fier de ses différences. Ses enfants les entretiennent par la macaronade, la tafina ou la paella. Par le bleu de chine, le sarouèle ou la relila. Dans la cuisine comme dans le vêtement, dans la musique comme dans le choix de ses équipes de sports favorites. Le Réal de Madrid affronte l’Inter de Milan, BAHAMONTES dame le pion à GIMONDI, et les antagonismes pacifiques jouent les prolongations entre les fils d’espagnols et d’italiens d’Algérie. Mais ces joutes oratoires disparaissent lorsque s’attaquent aux monstres sacrés étrangers, les représentants français. Le Stade de Reims ou Louison BOBET recueillent alors tous les suffrages. Quant à Robert COHEN, Alphonse HALIMI, Pierre DARMON ou Alfred NAKACHE, leur double appartenance juive et pied noir rallient toute l’Algérie. Au fil des années, les « étrangers » deviennent des français à part entière, « pensent » français et parlent français.
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CHAPITRE QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
LES QUARTIERS
LA BASSETA
La basseta naît en même temps que Bab El Oued. Hors la porte de la rivière qui ferme la ville sur l’emplacement futur du lycée Bugeaud, l’immense esplanade du génie et de l’arsenal militaire étend sa main vers la mer jusqu’à la toucher. A quelques lieues, le faubourg subit à chaque automne la colère de l’oued M’Kacel qui dévale furieusement du Frais Vallon emportant sur son passage les baraques des terrassiers valenciens et piémontais qui forment l’essentiel du bataillon des bâtisseurs de Bab El Oued. Des hommes vigoureux qui désirent écrire les plus belles pages de la France en Algérie. Pour cela, ils partent à l’assaut de la « cantère », cette masse claire de pierre bleue qui les ancre définitivement dans le faubourg.
Plus loin, la colline de la Bouzaréah étire sa verdure vers la campagne pour le bonheur des chèvres maltaises. Voilà le décor de la Basseta qui s’enorgueillit d’un lavoir remplacé dans les années 50 par une bibliothèque municipale lorsque l’école de Jules Ferry aura fait son œuvre. Ce lavoir situé au cœur de la place Dutertre, que certains débaptiseront pour rendre hommage à Musette, permet aux lavandières d’économiser un aller-retour à l’oued M’Kacel. Les bras chargés de linge, une corbeille sur l’épaule, une main posée au creux de la taille, dans un geste empli de féminité, la démarche ondoyante, les femmes de la Basseta aguichent les hommes avant de laver, étendre sur le pré et sécher le linge tout en guettant du coin de l’œil le beau garçon qui traîne dans le quartier. La rue Pierre Leroux est célèbre dans tout Alger sous l’appellation de « côte de la Basseta » par le fort pourcentage de dénivellation qui fait le bonheur des amateurs de carrioles, ces voiturettes en bois équipées de roulements à billes mais dépourvues de freins efficaces d’où la dangerosité de véhicule. Les bandes des autres quartiers viennent y tester le courage des plus hardis qui repartent le plus souvent couverts de plaies et de bosses. Si la montée de Sidi Ben Nour fait le délice des gamins, les adultes souvent « chargés comme des bourricots » maudissent cette pente zigzaguante difficile à descendre et inhumaine à escalader.
Place Musette, le cinéma « Rialto » offre à tous un divertissement plus calme, sensé réconcilier adultes et enfants. Mais « Zorro et ses légionnaires », « Hopalong Cassidy » ou « Roy Rogers » déclenchent immanquablement l’enthousiasme d’une jeunesse turbulente qui s’identifie bruyamment aux héros, au grand dam des adultes plus enclins à assister aux séances du soir.
La « Caramoussa », terrain vague où s’ébattent les enfants, deviendra plus tard, le cimetière des mozabites avant le transfert des cercueils au M’zab dont ils sont originaires.
Mais redescendons la Basseta pour rejoindre le cœur du quartier, ses commerces, son groupe scolaire de la rue Camille Douls, son dispensaire, le Centre Villeneuve, construit en 1955 sur le « champ » , cette aire de jeux, à la planéité douteuse qui forma, pourtant, plusieurs générations de footballeurs dont BUADES, SERRANO, ALMODOVAR, TAILLEU, SOLIVERES, MAGLIOZZI…,tous authentiques vedettes du football algérois.

Les boulangeries, les salons de coiffure, les cafés, les places, tout respire l’Espagne. On ignore volontiers la langue française entre adultes que l’on s’efforce pourtant de parler en présence des enfants. L’avenir leur appartient mais le passé colle à la peau.
Le soir, autour d’une musique nostalgique, le « Café de la Butte » déborde d’éclats de vie, de cascades de rires et d’annonces de « ronda1» tandis que le café COLAS propose à ses fidèles consommateurs des samedis soirs voués à la chanson.
Seule entorse à cette main mise hispanique sur le quartier, les épiceries tenues par les mozabites, les « moutchous » , et les marchands ambulants de guimauve, de figues de barbarie ou de cacahuètes en majorité musulmans.
Même si la France sut conquérir les cœurs fiers des habitants de la Cantère, même si les prénoms français de ses enfants dénotaient avec les patronymes valenciens, sévillans ou castillans, même si l’équipe du Stade de Reims remportait tous les suffrages lors des confrontations avec le Réal de Madrid, même si la Marseillaise vibrait à l’ombre de la Basseta, le quartier sut conserver les valeurs des aïeux; rudes au travail, fiers et conquérants, honnêtes et respectueux des lois qui régissent la famille, mi-espagnols, mi-français, ils furent tout à la fois orientaux et européens pour le plus grand bien de la patrie, de leur patrie: la France.
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CHAPITRE QUATRIEME
VIE ET MŒURS
LES QUARTIERS
LA CONSOLATION

Adossée à la colline de Notre Dame D’Afrique, dans son écrin de verdure qui dévale en pente douce vers l’horizon cuirassé d’argent, à quelques encablures de Saint-Eugène, son stade lumineux et ses cimetières endormis, le regard planté sur la Méditerranée, accoudé au boulevard Pitolet et bercé par la musique de la vie, la Consolation s’abreuve à la fontaine de l’amitié, du bon voisinage et des complicités. Complicités multiples nées du partage des joies et des peines qui jalonnent l’existence de ce quartier aux milles origines. Si les enfants de Naples y sont majoritaires, les espagnols, les juifs, les maltais, les arabes et les « français de France », les « pathos » comme on le dit ici, apportent leur contribution à la bonne santé morale du quartier. Au café, les différences s’estompent devant un verre d’anisette, le pataouète devenu langue universelle parle d’amitié et si on ne se comprend pas, les mains ne sont pas faites pour les chiens.

Le cœur et le poumon de la consolation sont réunis en un seul et même endroit: La Cité.
Cette enclave joyeuse qui doit pourtant son nom aux cimetières tout proches et à ce café qui consolait les femmes éplorées, ce village autarcique, cet amphithéâtre de lumière respire la parfaite harmonie avec une philosophie commune qui encourage la richesse du cœur. Comme à Bab El Oued dont elle fait partie intégrante, comme partout ailleurs où la comédia dell’ arte est élevée au rang d’institution, où les engueulades de bonne santé sont fréquentes et sonores les réconciliations, où la vie s’écrit en lettres majuscules, où le rire ne se conçoit que dans l’outrance et la « tonitruance », la pauvreté n’est pas une tare. Même les « sans le sou » sont estimés. Ils le sentent et le ressentent au plus profond d’eux-mêmes. Ici, la solidarité chasse la solitude. Le rire se partage, les larmes aussi. Les paliers à ciel ouvert, passerelles de bon voisinage, offrent l’image d’incessants va et vient pour une laitue empruntée ou un citron remboursé. Tout est prétexte à la complicité et au bavardage. Les enfants s’emparent de l’esplanade pour s’adonner à leurs jeux favoris. Les garçons chassent souvent les fillettes au-delà des escaliers pour des « matches » mémorables, en tous points identiques aux rencontres disputées sur le « tuf » voisin du stade de l’A.S.S.E. L’animation s’endort à l’heure de la sieste pour reprendre de plus belle vers les seize heures. Les deux bancs de marbre qui se font face au centre de l’esplanade, accueillent alors sous un petit arc de triomphe, « le mont blanc », les mères de familles ou les amoureux selon les heures. Un peu plus bas, les vins Jules RICOME qui font face au jardin du même nom, TARGUI, HOGGART et la source LEBLANC abreuvent tout Bab El Oued selon que l’on soit sobre ou « tchitchepoune ». Le ferrailleur ROUSSIER fait le bonheur des « coqs hardis » de la Consolation en récupérant les roulements à billes qui servent à construire des carrioles dévalant à tombeau ouvert sur les pentes du quartier ou de la Basseta.

Des gloires, la Consolation en distingua plus d’un. Qui ne se souvient du drame que vécut le quartier avec la noyade des deux sportifs CROTTE et QUINTANA qui, au retour d’une course de hors-bord à Cap Matifou, furent pris dans la tourmente d’une mer déchaînée. Et ce toréador espagnol, ALBOZ, cafetier enclavé dans les escaliers menant à la plage de l’Eden, qui servait à ses habitués, à la fois des boissons fraîches et des histoires de tauromachie de sa gloire passée en Espagne.

Ce petit coin de paradis, coincé entre la colline et la mer, les yeux posé sur le littoral algérois, de Saint-Eugène au Cap Matifou dont les lumières du soir se confondent avec les innombrables étoiles qui pointillent l’horizon, protégé par la basilique byzantine de Notre Dame d’Afrique, bercé par les roucoulades des vagues mourant sur la grève, restera dans le cœur de ses enfants comme un bonheur à jamais disparu.
Heureusement, la mémoire………………….
A SUIVRE.........

1 commentaire:

  1. J'ai habité, j'y suis même né en 1948, La Consolation, semble t-il une autre "Consolation" dans Bab-el-Oued, dont je n'ai aucun souvenir personnel, mais des histoires racontées et quelques photos, montrent des baraquements, contre la plage des bains-de-chevaux ...

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