dimanche 27 mars 2011

SQUARE GUILLEMIN de Hubert Zakine

- CHAPITRE 9 -

Avec Nicole, on s’isole tout en bas du Jardin, juste en face de Padovani, dans le prolongement de l’avenue Malakoff et de la rue Borély La Sapie. Là, sa sœur et son petit frère, y sont tellement occupés que même pas, y nous calculent. On se dit des banalités, on parle pour rien dire, on est bien simplement parce qu’on est ensemble. Nicole, elle se lance la première :
-- Tu vois, même si on se marie pas ensemble, jamais j’aimerais quelqu’un comme je t’aime !
Bou la honte ! Qu’est ce que je peux répondre à une telle déclaration ? Je suis pas Clark Gable, moi ! Je suis simplement un enfant de douze ans qui a voulu faire l’intéressant devant Bouzouz ! Toujours, ma mère elle me dit de tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler ! Y a pas à dire, il faut toujours écouter sa mère. Où ça m’entraîne cette désobéissance dé ! Quand je serais grand d’accord mais maintenant !
Je me vois pas lui chanter « Rossignol de mes amours » avec la voix de Luis Mariano surtout que je chante comme un saucisson. Purée, quel dilemme ! Pourtant, elle est belle Nicole. Je pourrais lui répondre simplement avec mon sourire enjôleur mais aouah, sa déclaration, elle peut pas se contenter d’une réponse de circonstance. Alors, je biaise.
--Pourquoi tu dis, même si on se marie pas ? Ya pas de raison !
Je m’enfonce de plus en plus ! Voila que je lui propose le mariage ! Roméo et Juliette, c’est nous deux. A savoir à quel âge, on peut se marier en Algérie !
Nicole, ma réponse, elle a l’air de la satisfaire Elle me sourit comme si j’l’avais demandé en mariage. Ma mère, la pauvre, le mauvais sang qu’elle va se faire !
-- Mon fils, attends de faire ton service militaire ! Et je t’en prie, finis tes études de médecine avant !
La mère de Nicole, elle va encore me faire les gros yeux, son père va m’en mettre une que le mur y va m’en donner une autre et son oncle Gaétan le coiffeur va me faire une tête de Fartasse. J’avais vu un film aux Variétés où l’acteur répétait sans arrêt :
« Dans quel guêpier, j’me suis fourré ! »
A la réflexion, quand je vois la petite blondinette à côté de moi, le guêpier, il y en a beaucoup qui aimerait être à ma place. Alors, comme dirait Jane Sourza « j’y suis, j’y reste ! » et bien content encore.
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Chaque soir, après le départ de Nicole pour le quartier de la Marine, je retrouve les copains au coin de la pharmacie Lafarge. Là, en prenant une pose à la James Dean, on écoute l’accordéoniste qui joue tous les succès à la mode pendant que son épouse, elle vend les paroles imprimées sur des feuillets roses. A ses côtés, un marchand musulman à la dentition ajourée distribue aux passants quelques cacahuètes pour leur donner la gobia. Sûr du pouvoir de séduction exercé par les arachides sur ses futurs clients, il remplit, alors, sa timbale en cuivre de « cacahuètes kermech ». C’est rare quand les morfals y tombent pas dans le piège contre une petite pièce.
Ensuite, quand vient l’heure de rentrer, on se donne rendez vous sur les balcons pour prolonger la journée.
Après le souper, tout le monde y s’empare des chaises longues et en avant nous autres, on repart pour un tour au milieu des rires, des palabres et des bâillements. En face de chez moi, mon ami Capomazza, c’est un fou des illustrés « Miki le ranger » et « Blek le roc ». Dès qu’il les a lus, y me les envoie par le système à poulies coulissantes qu’on a installé. Comme ça, châ châ, sans bouger de chez nous, les illustrés y passent de main en main. Nos mères, elles profitent de notre ingénieuse invention pour se passer dans un cabas un citron, un œuf ou une tomate quand c’est pas Intimité ou Confidences. Quand le ciel allume ses projecteurs, chacun va se coucher les yeux rempli d’étoiles
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