mercredi 30 mars 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED - hubert zakine -

CHAPITRE 21

VIE ET MŒURS
PERSONNAGES

Bab El Oued ressemble à tous les quartiers de Naples, Cordoue ou Jérusalem. Ajoutez-y une parcelle d’orient, la casbah est frontalière du faubourg, multipliez le nombre d’habitants par cent, son exubérance par mille, fouettez le tout, mettez à ébullition et vous obtenez une vraisemblable image de sa population. Ne vous étonnez pas dans ces conditions d’y repérer mille et un personnages dont l’extravagance frise parfois les limites de la bienséance. A coté de ce petit monde lunaire, vit une escouade de petits débrouillards qui gagnent leur existence en jonglant avec la bienveillance du voisinage.
Des noirs africains « faiseurs de pluie » descendent parfois de la montagne, revêtus de leurs grandes gandourah blanches, armés de leurs castagnettes de fer, les krekrebs, de flûtes fines tenues d’une seule main, d’un tambour tendu de peaux de bêtes et d’une baguette recourbée pour donner le tempo. Tournoyant et virevoltant, ces hommes venus d’ailleurs et d’un autre temps, affublés du surnom de « Madame BONO », sans aucun doute en référence à une publicité d’avant guerre qui vantait les mérites d’un cirage représenté par un noir africain, font le bonheur d’une population bonne enfant qui les récompense d’une ou deux pièces jetées par le balcon que les garnements détournent parfois à leur profit. Ces « faiseurs de pluie » ne réussissent guère dans leur entreprise météorologique mais l’animation apportée par ces musiciens folkloriques persiste tout au long de la journée et cela suffit au bonheur des humbles gens.

Les Maltais, relayés plus tard par les musulmans, vendent de la guimauve enroulée sur une hampe de bois. Ce produit fait le délice des enfants et le désespoir des parents qui fulminent sur l’hygiène douteuse de ces marchands ambulants dont la propreté ne semble pas le premier souci. Leurs mains poisseuses étirent la guimauve vendue au mètre. Les Algérois les immortaliseront sous l’appellation dont ils s’enorgueillissent pour se faire reconnaître de leurs futurs clients : « kikilomètre ».
Le marchand d’habits sillonne les rues de Bab El Oued en claironnant à qui veut l’entendre « marchand d’z’habits ». Les ménagères guettent ce « profiteur du malheur des z’autres » pour récolter quelque sou de transactions épuisantes qui se « terminent » pourtant à la satisfaction de tous.

Le vitrier imite le marchand d’habits mais encourage la jeunesse à « taper le match » sous les fenêtres des braves gens, espérant d’hypothétiques casses qui gonfleraient, sans coup férir, son chiffre d’affaires.
Des musiciens de rues, accordéonistes pour la plupart, traînent leur vague à l’âme sur des complaintes qui font pleurer non pas Margot mais Marinette. Mais celui qui récolte en même temps que tous les suffrages, la plus belle recette, joue à l’angle de l’Avenue de la Bouzaréah et du Boulevard Guillemin. Aveugle, ce virtuose du piano à bretelles interprète tous les succès à la mode que son épouse toute habillée de deuil, vend aux passants après en avoir retranscrit les paroles sur de grandes feuilles de couleur.
Une autre figure de Bab El Oued promène, autour du cou, sa désillusion et sa cécité à travers le faubourg, un cadre auréolé des photos de sa gloire passée, de boxeur touché et coulé en pleine jeunesse. Fier comme Artaban, sa dignité suscite le respect de tous et les enfants, d’ordinaire si prompts à la plaisanterie, bien au contraire, admirent cet homme toujours tiré à quatre épingles dont l’aura d’ancien champion éclabousse l’imagination.

MARTOUNE est sans aucun doute la femme la plus célèbre de Bab El Oued sans n’avoir jamais recherché la gloire. Mais les enfants et les adultes sont ainsi faits qu’ils désignent une personne, la montre du doigt sans l’ombre d’une méchanceté et la réputation la suit, enfle par le téléphone arabe, que l’on préfère ici au bouche à oreille français, et persiste jusqu’à que l’imagination rejoigne la vérité. Il est vrai que cette femme que l’on prétend du troisième sexe, accoutrée d’une jupe longue, d’une cape noire, d’une paire de chaussettes blanches, une éternelle canne à la main, des lunettes fumées qui obscurcissent ses magnifiques yeux verts, une démarche d’homme toujours pressé n’invite pas aux mamours. Par la grâce de mamans dépassées ou bien amusées, Martoune est présentée comme le grand méchant loup des petits pieds noirs qui sans rester traumatisés jusqu’à la fin de leurs jours en gardent néanmoins un souvenir quelque peu désagréable. Au point de changer de trottoir plutôt que de croiser cette femme dont la canne menaçante tournoie au-dessus de sa tête à la rencontre d’une bande d’adolescents rigolards.

TCHO TCHO BABY occupe une autre place de choix dans le souvenir de la jeunesse Bab El Oued. Ce garçon d’une trentaine d’années, passionné de « films de cow boys », on ne disait pas western en ce temps là et en ce lieu, rejoue les scènes qui récoltent tous les suffrages de son cerveau quelque peu simplet. Il est le grand spécialiste de l’attaque de diligence que le modernisme maquille en tramway. Qu’a cela ne tienne, il part à l’assaut des trams au galop, une main frappant sa fesse et un pistolet à eau dans l’autre main sous les encouragements d’une jeunesse hilare. L’avenue de la Bouzaréah, artère principale de Bab El Oued, s’en souvient encore…….

Le PATRIOTE est un autre exemple de ce que peut sécréter une ville, un pays. Ce vieil homme bardé de décorations glanées sur les champs de bataille ou ailleurs, précédé d’une poussette-capharnaum, promène sa fière silhouette dans les quartiers de Bab El Oued. Son surnom, nul ne connaît son patronyme, est la conséquence d’une attitude sans équivoque. Tous les deux ou trois cents mètres, il s’arrête, range son bric à brac et interprète une Marseillaise aussi cabossée que sa trompette. Au garde à vous, il salue ensuite militairement la foule des balcons et des rues, puis satisfait, il part pour d’autres conquêtes.

BLANCHETTE est un homme exquis. Comme dans beaucoup de coins d’Algérie, son surnom lui vient de son origine. Cet africain à la peau d’ébène, employé municipal de son état, arrose les rues surchauffées durant les mois d’été. Pour cela, il ouvre les voies d’eau qui se situent au croisement de deux rues. Il y fixe un tuyau, le tire jusqu’à l’extrémité de la rue en fournissant un bel effort car le tuyau mesure plus de cinquante mètres. Seul problème, les jeunes adorent la plaisanterie. Aussi, dès que BLANCHETTE atteint le haut de la rue, ils coupent l’arrivée d’eau qui se situe au bas de la dite-rue. Les insultes fusent, les rires aussi. La scène se renouvelle ainsi jusqu’à épuisement de l’arroseur, plus fréquemment à l’arrivée d’un adulte qui met fin au manège.

La jeunesse de Bab El Oued, désinvolture en bandoulière et bonheur pour toute ambition, à l’instar de toute adolescence de feu qui couve sous ces latitudes, rit des petits travers des uns et des autres. Tel cheveu sur la langue, tel « guitche1» ou « bichelaouère », c’est ainsi que l’on affuble les personnes dont le regard « se croise les bras », tel « nez qui cache l’amirauté », déclenchent une hilarité difficilement contenue malgré de louables efforts.

A SUIVRE .... CHAPITRE 22

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