Lili Boniche est né en 1921 à Alger, Alger la Blanche, Alger sa ville. A l'âge de 10 ans, il quitte le domicile familial pour suivre l'enseignement d'un maître du haoussi, Saoud l'Oranais. A ses côtés, il apprend pas à pas le répertoire de la musique arabo-andalouse, côtoie la célèbre Reinette l'Oranaise et devient un virtuose du oud. Un jour, il n'a alors que 15 ans, il débarque à Radio Alger et, avec tout le culot propre à son âge, propose un projet au directeur. Celui-ci est emballé et lui octroie une émission hebdomadaire. Porté par son succès naissant, le jeune Lili Boniche compose chanson sur chanson et les interprète en direct à l'antenne : "Elles me venaient comme ça, sans réfléchir " raconte-t-il. Peu à peu, il crée un style (typique de la musique populaire algéroise) où se mélangent flamenco, arabo-andalou, paso doble, mambo et tradition juive. Il devient une star à Alger puis à Paris.
Dans les années cinquante, il rencontre une comtesse : "Elle était belle, riche et folle de moi", se souvient-il en souriant ; il l'épouse illico. La version officielle veut que la belle ait été terriblement jalouse de toutes les femmes (à l'époque, on ne disait pas encore les "groupies") qui tournaient autour de son chanteur de charme et ait obligé le crooner d'Alger à raccrocher. Mais on murmure que l'étoile de Lili Boniche commençait à faiblir et qu'il a préféré se reconvertir dans les affaires pour assurer son avenir. Il achète quatre cinémas à Alger et devient un homme d'affaires prospère. Mais la tourmente gronde en Algérie et, à l'Indépendance, le gouvernement lui confisque ses salles. Ainsi que nombre de ses coreligionnaires, il s'installe en France et repart à zéro. Il ouvre un restaurant -avec succès- puis se reconvertit en représentant de matériel de bureaux. Comme tous ceux qui ont tout perdu au moins une fois dans leur vie, il évoque aujourd'hui tout ceci sans fausse honte, avec même une once de regret et de fierté. "C'est la vie, sourit-il". Mais le démon de la scène ne l'a pas quitté et il se produit constamment dans les mariages et les bar misvah (équivalent des premières communions chrétiennes). Aux débuts des années 90, toute une génération de réalisateurs redécouvrent ses chansons et les utilisent dans les bandes sonores de leurs films. "Le Grand Pardon", "La vérité si je mens", "Mémoires d'immigrés" : à travers le cinéma, Lili Boniche retrouve les lettres de noblesse que sa comtesse l'avait contraint à abandonner. En 1998, il sort un album intitulé "Alger, Alger" produit par… le patron d'une maison de couture. Le succès est mitigé mais l'américain Bill Laswell reprend la production et la machine repart. Un concert plus ou moins privé à l'Elysée-Montmartre (célèbre salle parisienne, plus dévolue au rock'n roll qu'à la romance), une prestation mémorable lors des Belles Nuits du Ramadan… et l'histoire reprend, comme si le conteur reprenait sa lecture exactement là où il l'avait laissée. A l'aube de ses 70 ans, Lili Boniche peut se targuer d'avoir rempli l'Olympia, de rassembler un public qui va bien au-delà de la communauté juive et de faire danser différentes générations de juifs, de catholiques et de musulmans qui tanguent en cadence, unis par la musique d'un crooner oriental aux allures de rocker suranné.
Dans les années cinquante, il rencontre une comtesse : "Elle était belle, riche et folle de moi", se souvient-il en souriant ; il l'épouse illico. La version officielle veut que la belle ait été terriblement jalouse de toutes les femmes (à l'époque, on ne disait pas encore les "groupies") qui tournaient autour de son chanteur de charme et ait obligé le crooner d'Alger à raccrocher. Mais on murmure que l'étoile de Lili Boniche commençait à faiblir et qu'il a préféré se reconvertir dans les affaires pour assurer son avenir. Il achète quatre cinémas à Alger et devient un homme d'affaires prospère. Mais la tourmente gronde en Algérie et, à l'Indépendance, le gouvernement lui confisque ses salles. Ainsi que nombre de ses coreligionnaires, il s'installe en France et repart à zéro. Il ouvre un restaurant -avec succès- puis se reconvertit en représentant de matériel de bureaux. Comme tous ceux qui ont tout perdu au moins une fois dans leur vie, il évoque aujourd'hui tout ceci sans fausse honte, avec même une once de regret et de fierté. "C'est la vie, sourit-il". Mais le démon de la scène ne l'a pas quitté et il se produit constamment dans les mariages et les bar misvah (équivalent des premières communions chrétiennes). Aux débuts des années 90, toute une génération de réalisateurs redécouvrent ses chansons et les utilisent dans les bandes sonores de leurs films. "Le Grand Pardon", "La vérité si je mens", "Mémoires d'immigrés" : à travers le cinéma, Lili Boniche retrouve les lettres de noblesse que sa comtesse l'avait contraint à abandonner. En 1998, il sort un album intitulé "Alger, Alger" produit par… le patron d'une maison de couture. Le succès est mitigé mais l'américain Bill Laswell reprend la production et la machine repart. Un concert plus ou moins privé à l'Elysée-Montmartre (célèbre salle parisienne, plus dévolue au rock'n roll qu'à la romance), une prestation mémorable lors des Belles Nuits du Ramadan… et l'histoire reprend, comme si le conteur reprenait sa lecture exactement là où il l'avait laissée. A l'aube de ses 70 ans, Lili Boniche peut se targuer d'avoir rempli l'Olympia, de rassembler un public qui va bien au-delà de la communauté juive et de faire danser différentes générations de juifs, de catholiques et de musulmans qui tanguent en cadence, unis par la musique d'un crooner oriental aux allures de rocker suranné.
J'EMPRUNTE CE TEXTE AU PROFESSEUR ALBERT BENSOUSSAN
"il mêlait avec beaucoup de charme et de grâce le parler judéo-arabe et le français. Oui, il fut le premier à chanter comme nous parlions, comme elle s’exprimait, elle, maman, qui aimait tant truffer sa conversation de mots et d’expressions arabes.
Lili Boniche incarnait à la perfection, et avec brio, notre parler juif d’Algérie. Et nous sommes aujourd’hui affligés par sa disparition survenue le 6 mars 2008, et très tristes aussi car c’est cette fois le dernier pan de notre folklore - non, de notre culture - qui risque de plonger dans la nuit de l’oubli.
Élie Boniche était né en 1921 à Alger, d’un père bijoutier et mélomane qui sut ne pas contrarier ses dons musicaux et sa précoce carrière. Très tôt attiré par la musique arabo-andalouse, il apprit tout auprès de Saoud l’Oranais, son maître, côtoya Reinette l’Oranaise, de six ans sa cadette, et devint ce virtuose de l’oud qui se produisit, dès l’âge de 15 ans, à Radio-Alger.
Son succès fut fulgurant ; je me rappelle un de ses concerts à l’Opéra d’Alger à la Libération, salle comble, où il chanta de savoureuses chansons : « Elle était belle, riche et folle de moi », « Alleche (pourquoi) tu ne m'aimes pas » et, peut-être (mais ce fut un peu plus tard, je crois) le célèbre « Et l’on m’appelle l’Oriental car moi je suis sentimental », que reprendra Enrico Macias avec le succès que l’on sait ; mais aussi et surtout ces airs « andalous » où il mêlait le français et l’arabe, comme dans son célèbre « Il n’y a qu’un seul Dieu », bien avant Bob Azam, auteur en 1960 du tube « Ya Mustapha, ya Mustapha ».
Son plus grand succès, cher à notre cœur meurtri d’Algérois banni, reste « Alger, Alger ».
Assurément, Lili Boniche est l’ancêtre du Raï, dont il est en quelque sorte l’inventeur, et lorsqu’il remonta sur les planches en 1999, en remplissant l’Olympia, le tout Paris, toutes ethnies et races confondues, redécouvrit ce merveilleux chanteur qui parlait le langage des banlieues et des beurs… Et des vieux Algérois. Et puis il adapta en arabe quelques grands succès de la chanson moderne, dont le célèbre Bambino, de Dalida, qui, par parenthèse, sert de base au film israélien Chaloch Imaot. Les amateurs trouveront cette interprétation savoureuse et absolument renversante ci-dessus
Auparavant, en 1946, il avait fait chavirer le cœur du jeune député François Mitterrand, qui l’appréciait et l’admirait lorsqu’il faisait les beaux jours du cabaret « Au Soleil d’Algérie », à Pigalle.
En 1962, à l’Indépendance de l’Algérie, il prit comme presque nous tous le chemin de la Métropole, en ayant tout perdu, lui qui était un homme d’affaires prospère, à la tête de 4 cinémas, dont il fut spolié, et n’emportant avec lui qu’un seul bagage où s’entassait un trésor : ses partitions, ses succès, cette voix de velours, légère et chaude, enflée de gorge, parfois brisée d’émotion. Belle revanche pour cet amoureux du grand écran, le cinéma juif de France lui rendit hommage, au début des années 90, en utilisant ses chansons comme bandes sonores dans les films Le Grand Pardon, La vérité si je mens et Mémoires d’immigrés. Le succès lui collait à la peau, il restera un mythe longtemps vivace de la musique et de la chanson judéo-arabe de l’Algérie.
Oui, Lili, tu resteras longtemps encore parmi nous ; tiens, l’autre soir, au 1er Congrès Mondial de Moriel, le 18 mars à Jérusalem, ton vieux compagnon Maurice El-Medioni qui, au comble de l’émotion, nous annonça ta disparition, sut interpréter tes chansons mirobolantes, souvent reprises en chœur par tous ces vieux Israéliens originaires d’Algérie : oui, Lili, tu étais toujours parmi nous, vivant et triomphant.
Et s’il t’arrive de chanter encore là-bas, là-haut, où tu te trouves, je suis bien sûr que ma mère, où qu’elle soit, attentive à ton glorieux répertoire, sera réjouie. Aïe, Ima !"
"il mêlait avec beaucoup de charme et de grâce le parler judéo-arabe et le français. Oui, il fut le premier à chanter comme nous parlions, comme elle s’exprimait, elle, maman, qui aimait tant truffer sa conversation de mots et d’expressions arabes.
Lili Boniche incarnait à la perfection, et avec brio, notre parler juif d’Algérie. Et nous sommes aujourd’hui affligés par sa disparition survenue le 6 mars 2008, et très tristes aussi car c’est cette fois le dernier pan de notre folklore - non, de notre culture - qui risque de plonger dans la nuit de l’oubli.
Élie Boniche était né en 1921 à Alger, d’un père bijoutier et mélomane qui sut ne pas contrarier ses dons musicaux et sa précoce carrière. Très tôt attiré par la musique arabo-andalouse, il apprit tout auprès de Saoud l’Oranais, son maître, côtoya Reinette l’Oranaise, de six ans sa cadette, et devint ce virtuose de l’oud qui se produisit, dès l’âge de 15 ans, à Radio-Alger.
Son succès fut fulgurant ; je me rappelle un de ses concerts à l’Opéra d’Alger à la Libération, salle comble, où il chanta de savoureuses chansons : « Elle était belle, riche et folle de moi », « Alleche (pourquoi) tu ne m'aimes pas » et, peut-être (mais ce fut un peu plus tard, je crois) le célèbre « Et l’on m’appelle l’Oriental car moi je suis sentimental », que reprendra Enrico Macias avec le succès que l’on sait ; mais aussi et surtout ces airs « andalous » où il mêlait le français et l’arabe, comme dans son célèbre « Il n’y a qu’un seul Dieu », bien avant Bob Azam, auteur en 1960 du tube « Ya Mustapha, ya Mustapha ».
Son plus grand succès, cher à notre cœur meurtri d’Algérois banni, reste « Alger, Alger ».
Assurément, Lili Boniche est l’ancêtre du Raï, dont il est en quelque sorte l’inventeur, et lorsqu’il remonta sur les planches en 1999, en remplissant l’Olympia, le tout Paris, toutes ethnies et races confondues, redécouvrit ce merveilleux chanteur qui parlait le langage des banlieues et des beurs… Et des vieux Algérois. Et puis il adapta en arabe quelques grands succès de la chanson moderne, dont le célèbre Bambino, de Dalida, qui, par parenthèse, sert de base au film israélien Chaloch Imaot. Les amateurs trouveront cette interprétation savoureuse et absolument renversante ci-dessus
Auparavant, en 1946, il avait fait chavirer le cœur du jeune député François Mitterrand, qui l’appréciait et l’admirait lorsqu’il faisait les beaux jours du cabaret « Au Soleil d’Algérie », à Pigalle.
En 1962, à l’Indépendance de l’Algérie, il prit comme presque nous tous le chemin de la Métropole, en ayant tout perdu, lui qui était un homme d’affaires prospère, à la tête de 4 cinémas, dont il fut spolié, et n’emportant avec lui qu’un seul bagage où s’entassait un trésor : ses partitions, ses succès, cette voix de velours, légère et chaude, enflée de gorge, parfois brisée d’émotion. Belle revanche pour cet amoureux du grand écran, le cinéma juif de France lui rendit hommage, au début des années 90, en utilisant ses chansons comme bandes sonores dans les films Le Grand Pardon, La vérité si je mens et Mémoires d’immigrés. Le succès lui collait à la peau, il restera un mythe longtemps vivace de la musique et de la chanson judéo-arabe de l’Algérie.
Oui, Lili, tu resteras longtemps encore parmi nous ; tiens, l’autre soir, au 1er Congrès Mondial de Moriel, le 18 mars à Jérusalem, ton vieux compagnon Maurice El-Medioni qui, au comble de l’émotion, nous annonça ta disparition, sut interpréter tes chansons mirobolantes, souvent reprises en chœur par tous ces vieux Israéliens originaires d’Algérie : oui, Lili, tu étais toujours parmi nous, vivant et triomphant.
Et s’il t’arrive de chanter encore là-bas, là-haut, où tu te trouves, je suis bien sûr que ma mère, où qu’elle soit, attentive à ton glorieux répertoire, sera réjouie. Aïe, Ima !"
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