dimanche 30 janvier 2011

LE CINEMA A ALGER d'après Jean-Pierre Frey


Jusqu'à la Libération le cinéma français tourne un certain nombre de films se passant dans les colonies françaises dont trente-trois fictions ont l'Algérie pour décor et trois seulement la ville d'Alger. L'un est le remake d'un autre Sarati le terrible (Mercanton, 1923 et Hugon 1937) et le troisième est le film de Julien Duvivier. La Casbah d'Alger est ici reconstituée aux studios Pathé de Joinville comme la ville de Sfax (Tunisie) pour La Maison du Maltais de Pierre Chenal. Seuls quelques extérieurs sont filmés à Alger. Le scénario s'y prête mais Julien Duvivier avait tourné presque entièrement au Maroc Cinq gentlemen maudits (1931) et La Bandera (1935). Le cinéaste n'en est donc pas à son premier film "exotique" (on peut y inclure le curieux Golgotha tourné juste avant La Bandera, évocation de la vie du Christ dans lequel Jean Gabin joue Ponce Pilate...).
Pépé le Moko peut être vu comme un film raciste quand le seul personnage algérien, l'inspecteur Slimane, est un personnage inquiétant. II est du reste interprété par un acteur français (Lucas Gridoux), une nouvelle fois dans un rôle de fourbe (après celui de Judas dans Golgotho). Pépé lui déclare d'ailleurs : " Avoir à ce point-là une gueule de faux jeton, ça devient de la franchise !".
Pourtant à la sortie du film Emile Vuillermoz écrit : " Ne voyez-vous pas d'ici la brillante campagne d'opinion que l'on peut amorcer dans certains milieux antifrançais contre notre politique coloniale, en faisant observer que de notre aveu nous sommes incapables d'organiser l'Algérie, puisque sa capitale est repaire inexpugnable de bandits et de hors-la-loi ?... ".
Pépé le Moko est davantage une histoire où la colonie est un ailleurs dépaysant qu'un film colonial. Il appartient à la veine du réalisme poétique où le protagoniste dont les traits sont toujours ceux de Jean Gabin, ne peut fuir pour changer de vie, pour échapper à son des¬tin. Le déserteur de Quai des brumes ne peut quitter Le Havre, l'ouvrier du Jour se lève est bloqué dans sa chambre. Ici Pépé a réussi à partir, il ne peut seulement pas revenir en France. Tel un Robin des Bois moderne (c'est un voleur apprécié de toute la Casbah), il ne peut quitter son repaire sans se faire arrêter. Comme Fréhel pleurant sur ses amis de la Place Blanche, il ne lui reste qu'à rêver à Pigalle, au Paris perdu.

Les Frères Lumière à Alger
Le cinématographe vient de naître. Alexandre Promio, l'un des plus célèbres opérateurs des Frères Lumière qui revendique l'invention du travelling, filme Alger. Huit films d'une durée de 40 secondes chacun, montrent la Place du Gouvernement  vue depuis un tramway, la rue Bab-Azoun, un marché animé, la circulation des piétons et des véhicules, le port, un paysage en bord de mer.

 1897-1954 : La ville fantasmée

DE 1897 au 1 er novembre 1954, les pays occidentaux - et principalement la France - ont tourné près de 90 films en Algérie, ou du moins en ont situé partiellement ou totalement les récits. Un Sud fait de routes incertaines, de sable chaud, de paysages désertiques (où les oasis sont plus des postes militaires avancés que de véritables villes) s'oppose à une côte méditerranéenne où Alger supplante largement les autres villes. Port et porte d'entrée dans le prolongement du PLM, c'est une ville dont la Casbah en front de mer affiche une façade lumineuse. Mais c'est aussi une sorte de cul-de-sac à l'image des impasses de son dédale de ruelles protégées des regards par la pénombre, et qui rejette dans son ombre portée le reste de la ville. Dans cette période plus que par la suite, les paysages naturels de la côte ou du Sud font pièce à des décors urbains souvent reconstitués en studio pour des raisons de commodité de tournage. En dehors de vues générales de la ville et de quelques scènes de rue, ce sont des petites villes de province et l'image canonique du bled qui supplantent la subtilité et les nuances d'un véritable espace urbain. Les villes sont alors plus des étapes, des points de passage ou des points de chute d'une colonisation laborieuse ou martiale, que des lieux d'une villégiature enviable. Alger en revanche représente en même temps que le lieu de tous les dangers et de tous les mystères d'un Orient à forte charge sensuelle et érotique, le siège d'une mondanité originale et cosmopolite. européenne cherchant une émancipation sous des cieux supposés plus cléments, d'une bourgeoisie terrienne (...).
Sorte de Babylone aux accents et sabirs divers, jardin d'acclimatation pour des plantes plus ou moins exotiques mais toujours à la recherche de leurs racines, Alger fut longtemps et reste un espace où deux villes se côtoient sans jamais vraiment s'ignorer, et où les populations s'épient et se jaugent au bord de tensions contenues, mais aussi où s'affrontent et éclatent les rancoeurs mal enfouies et les frustrations profondes. La casbah est ainsi l'envers du décor de la ville européenne.

1954-1962 : La brutale irruption du réel
Les quelque 44 films français de fiction tournés de 1954 à 1962 ne font guère que des allusions lointaines à un " là-bas " que la mémoire orpheline des Rapatriés rendra célèbre. On a affaire à un véritable block-out sur la ville blanche dans les films de fiction. Les documentaires d'actualité ou les reportages ainsi que les films de propagande du Service cinématographique des armées ou du Gouvernement Général de l'Algérie monopoliseront les actualités en salle comme les journaux de la télévision naissante(...)
Pour Alger, comme du reste pour les autres villes, avec l'indépendance, c'est l'éclipse. Elle devient un nom, des bruits, des rumeurs, des accents et des instantanés plutôt qu'un ensemble cohérent de vues articulées, d'autant que sa physionomie changera brutalement avec le départ précipité d'une large partie de ses habitants

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