samedi 22 janvier 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED -HZ- 16 -

LA COUPE (de cheveux)

Les amateurs de football ou de tout autre sport connaissent la coupe décernée à tout vainqueur d’une compétition sportive. On affuble cette récompense, d’une région géographique (France, Espagne, Europe, Monde...) et toutes les équipes se disputent « comme des chiffonniers » pour la tenir, ne serait-ce une fois entre les mains.

Bab El Oued possédait « sa « coupe. Une coupe particulière inventée par les hommes du faubourg décernée nombre de fois dans l’année, hors l’enceinte d’un stade mais alentour d’un café ou d’un salon de coiffure. Elle ne portait aucun titre et contrairement aux autres coupes, elle indisposait celui qui la recevait des mains de ses amis. Car seule l’amitié se permettait cette distribution qui semblait au premier abord, inamicale car déclenchant la colère du récipiendaire et l’hilarité de son entourage.

Cette coupe tenait lieu d’institution à Bab El Oued et ne pas étrenner une coupe constituait un crime de lèse-majesté. Nul ne se voyait dispensé de cette récompense. Aussi, personne ne se privait de s’acquitter de cette vengeance anticipée sur autrui puisque tel un boomerang, le tour de chacun arriverait un jour ou l’autre.

Mais pour réussir la coupe, il fallait jouer avec astuce car la cible de cette approche se méfiait comme de la peste les quelques jours qui suivaient son passage chez le coiffeur. Rasant les murs, il anticipait « la coupe » grâce à son regard-girophare lorsqu’il croisait un ami.

Pour ceux qui ignorent cette tradition pied noire, je livre l’explication de ce « tcherklala » à vos esprits embrouillés :

Celui qui sortait du coiffeur, la tête « à la bol de loubia » , les oreilles bien dégagées et la nuque « à la Yul BRYNNER », attirait comme un aimant l’envie de lui asséner une grande claque sur le haut du cou pour étrenner sa coupe de cheveux. Et le tout, par surprise ! A Bab El Oued, c’était ce que l’on appelait :
LA COUPE.

/////

CHAPITRE QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
LES CIMETIERES

Si le cimetière de BONE, envie de mourir y te donne, la situation privilégiée des cimetières de Saint-Eugène où reposent la majorité des enfants de Bab El Oued garde un pouvoir évocateur de séduction voire d’attraction qui demeure omniprésent malgré l’espace et le temps, malgré cette Méditerranée, frontière naturelle aux multiples réminiscences, oiseau voyageur qui porte sur ses ailes déployées la prière de tous les défunts du faubourg.

Coincé entre la colline verdoyante qui s’envole vers Notre Dame d’Afrique et l’azur ondoyant, bordé de cyprès et de plantes odoriférantes, baigné d’une lumière cristalline réfléchie par la transparence de l’air et l’argent de la mer, ce temple de sérénité, cette enclave de solitude où dorment les dernières sentinelles de la présence française sur cette terre d’Islam fut l’objet d’âpres négociations entre les autorités françaises et les représentants religieux des communautés chrétienne et israélite d’Alger.

En 1861, lors de son voyage en Algérie, l’impératrice EUGENIE se plaignit du manque d’ombre en ce pays. En 1865, NAPOLEON III dessina lui-même les trouées du Boulevard LAFFERIERE et du boulevard Général FARRE pour y aménager des jardins. Si LAFFERIERE ne posa aucun problème, la percée qui aboutissait aux Bains des Familles délogea les anciens cimetières de l’ESPLANADE. Après maintes discussions qui furent autant de confrontations, les autorités religieuses acceptèrent le projet qui vit le jour en 1880 à Saint-Eugène, proche banlieue d’Alger, limitrophe de Bab El Oued.

Au temps de la Régence d’Alger, les cimetières s’étendaient hors les murs de la citadelle. Les familles éplorées offraient aux suppliciés juifs et chrétiens, aussitôt la triste besogne du bourreau achevée, une sépulture décente lorsqu’elles en avaient les moyens. Majoritaires, les tombes communes jalonnaient l’espace situé entre la porte de Bab El Oued et la campagne environnante, entre le futur lycée BUGEAUD et l’Esplanade NELSON. Au-delà, les fours à chaux, les briqueteries et les fondouks mêlaient leurs fumées âcres aux incinérations des bûchers.
/////
Les deux cimetières, objet de dévotion et de prière, rayonnent de lumière et de propreté. Les allées parfumées de senteurs de pins et d’algues marines, impeccablement ordonnancées aèrent le regard des visiteurs sur le miroir argenté de l’azur.

Déposée à l’angle de chaque tombe, une lavette à l’intérieur d’un petit sceau déclenche le rite immuable du nettoyage systématique des caveaux. Car l’Algérie pleure ses morts à la façon méditerranéenne, avec faste et contrition. Les juifs chaque jour de Rosh Hoddesh, dernier vendredi du mois hébraïque et les chrétiens rentrent de concert à Bab El Oued, échangeant impressions sur l’absence de l’être cher, et la vie reprenant ses droits, nouvelles de la famille et du voisinage.

Le cimetière fait partie intégrante de la vie des gens de ce pays et certains prétendent, même, que les dimanches après-midi, lors des rencontres de football dominicales, le cimetière tout entier se lève lorsque le club local, l’A.S.S.E, marque un but.

Les cimetières, nichés au pied de la colline, et le stade de Saint-Eugène, suspendu entre ciel la mer, renvoient la double image du silence et de l’exubérance, paradoxe de survie d’une communauté ballottée par les vents successifs de l’histoire. Nul cimetière au monde n’inspire plus de respect et de dévotion dus aux défunts et nul stade ne résonne de tant d’exaltation et de fureur. La vie et la mort sont ainsi équitablement honorées.

L’impossibilité de jouir du droit élémentaire d’honorer ses morts le jour de la Toussaint chez les chrétiens, de Rosh Hoddesh dernier vendredi du mois hébraïque ou de l’Asguère, date anniversaire du décès chez les juifs, transperce le cœur de ces exilés des temps modernes qu’un vent mauvais déposa sur l’autre rive de la Méditerranée un matin de juin 1962.

En l’absence de toute référence au passé, les cimetières d’Algérie abandonnés au souffle violent du sirocco témoignent, pourtant, d’une présence française à laquelle l’Histoire rendra justice un jour ou l’autre. Comme les dernières sentinelles de l’Algérie Française.......

A SUIVRE........

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire