vendredi 14 janvier 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -16-

CHAPITRE QUATRIEME

MŒURS ET TRADITIONS

Des coutumes nées de la diversité des gens de Bab El Oued se sont agglutinées les unes aux autres, empruntant aux mémoires de grands-mères des gestes d’autrefois lorsque prévalait la richesse du cœur. Le grain de la complicité emporté dans les valises d’exil trouve, alors, une terre fertile à la mesure de l’ambition qui habite ces conquérants par la misère, révélés. L’entraide est la première pierre à poser sur les décombres d’un passé douloureux. Puis, le but commun de se construire un futur ensoleillé s’enivre d’apports culturels différents mais issus d’un patrimoine identitaire relié au bassin méditerranéen. L’aventure peut alors commencer. Les amitiés nouent des liens résistants à toutes les intempéries de la vie, puis les mariages mixtes scellent le pacte entre les communautés, entériné par l’appellation d " Européens d’Algérie ".

Coutumes et traditions latines se greffent aux mœurs orientales, offrant à l’Algérie une fraternité dont Bab El Oued s’enorgueillit tout au long de son existence et même par delà l’exode, la séparation, le démembrement. Et si, loin de la terre natale, les traditions se pastellisent, il n'en reste pas moins vrai que l’appartenance au faubourg demeure très vivace et dessine une auréole de fierté au-dessus de la tête de ses enfants.


 La fête peut s’apparenter à une tradition tant elle s’ancre dans l’âme des Bab El Ouédiens. Dans ce pays, dans cette ville, dans ce quartier, tout concoure, tout ramène à la fête. Les réunions de famille perpétuées par la coexistence au sein d’un même quartier, voire d’un même immeuble.

La piété de chaque entité qui emplit les cœurs de joie et d’allégresse, fêtes religieuses monothéistes pourtant partagées par toute les communautés par l’amitié concernées. Il n’est pas rare, en effet, de voir au sein d’une bande de copains, les petits chrétiens jeûner le jour du Grand Pardon afin de passer la journée avec leurs amis juifs ; ou certains enfants de Moïse accepter de jouer les « enfants de chœur » en l’église Saint-Joseph de l’Abbé CASTERA.

Ici, on n’attache pas plus d’importance à l’origine religieuse qu’à celle du pays ancestral. on naît Bab El Ouédien, on vit Bab El Ouédien, on meurt Bab El Ouédien. Et si l’on conserve son arbre de vie bien ancré dans le pays des aïeux, les nouvelles branches donnent des feuilles à l’accent pataouète.

La fête rencontre son apothéose avec son Carnaval de la Mi-carême ; laissant libre cours à leur imagination, ces enfants de la misère qui avaient parfumé leur existence d’or et d’azur se déguisent en Pierrot, Arlequin, Bécassine, d’Artagnan ou Zorro grâce à l’aptitude de leurs mamans à leur confectionner des costumes avec « trois fois rien ».

Le défilé de chars multicolores, la bataille des fleurs, de confettis et de serpentins donnent lieu à de mémorables fou-rires qui durent jusqu’à l’enterrement du carnaval représenté par un mannequin de paille que la jeunesse jette à la mer après l’avoir brûlé. Montent alors dans le ciel algérois, le chant des étudiants qui se donnent rendez-vous l’année suivante.

Le cirque ESLAVA emporté hélas par la tempête alors qu’il s’installait au stade Marcel CERDAN, le cirque AMAR et son immense chapiteau, le cirque BOUGLIONE sont prétextes au divertissement, à demeurer joyeux, à aimer la vie dans ce qu’elle a de plus simple, où l’argent n’aveugle pas les sentiments. La solitude ici ne se conçoit pas, ne peut s’imposer à une entité de voisinage ou d’amitié qui ne se dément jamais.

La fête foraine qui s’étale chaque été au soleil de Bab El Oued, du jardin Guillemin à la place Lelièvre jette tout le petit monde pataouète dans les rues. C’est l’heure des retrouvailles sans façon, l’homme en cuissette, on ne dit pas short, la femme en petite robe légère, le chandail sur les épaules en cas d’improbable brise « frisquette », mais parée de son éventail de nacre qu’elle agite dans un geste machinal hérité de ses lointaines origines ibériques, napolitaines ou israélites. Des petits drapeaux tricolores ornent le décor de ces soirées délicieuses qui se terminent par un bal chaque soir renouvelé, portes ouvertes sur des béguins d’un jour ou de toute une vie.

Les balcons alentour participent à la fête dans leurs pyjamas rayés et leurs chemises de nuit aérées, la lumière éteinte, comme des resquilleurs entrant « à ouf » dans quelque soirée interdite. Les jeunes hommes rivalisent d’audace afin de séduire les filles malgré la présence des éléments mâles de la famille, gardiens de la réputation des femmes de ce pays. La soirée s’achève, alors, sous un ciel aux cent mille étoiles qui accompagne le romantisme d’une nuit si belle qu’elle brûle les cœurs adolescents.

Les traditions culinaires, superstitieuses et religieuses envahissent les esprits des Bab El Ouédiens. La transmission orale n’explique pas l’engouement avec lequel ces coutumes sont reprises par les fils et filles des pionniers. L’adhésion à ces pratiques s’opère, certes, par mimétisme naturel. Mais s’il ne faut pas négliger l’apport essentiel de l’environnement familial, il n’en est pas moins vrai que le voisinage communautaire, porteur de traditions identitaires analogues ne peut qu’encourager les pratiques anciennes.

La table espagnole, italienne ou juive ressemble comme deux gouttes d’eau à la table des parents et des grands parents. Les mamans se penchent très tôt sur le savoir de leurs filles. Le savoir-repasser, repriser, cuisiner, tenir son intérieur, importe autant que le savoir-lire, écrire et compter aux yeux d’une mère. « Bonne à marier », voilà le terme employé par une famille envers la fille de la maison. La bonne éducation passe obligatoirement par ces vertus transmises de mères en filles depuis les lustres en pays méditerranéen.

L’une des traditions appliquées par toutes les composantes de l’Algérie concerne les grands parents. Jamais, en aucun cas, ces dépositaires de la mémoire familiale ne font l’objet de rejet de la part des enfants. Bien au contraire, ils cimentent l’unité de la tribu par les histoires anciennes qu’ils racontent à leurs petits-enfants. L’arbre de vie s’enracine chaque jour un peu plus grâce à leur douce et discrète présence. Magnanimes, ils arrondissent les angles même si parfois, ils savent conjuguer amour et sévérité. Autres temps, autres mœurs........

La superstition joue un grand rôle dans le faubourg. Jadis, chaque communauté emporta dans ses valises d’exil toute une palette de superstitions léguées par les anciens afin de les enraciner sur la terre d’Algérie.

Les Italiens préfèrent dire qu’ils sont riches et en bonne santé plutôt que malades et sans le sou afin de chasser le mauvais œil du voisinage que ces paroles pourraient engendrer ; ils ne vont jamais voir un malade les mains vides ; un pain au chocolat suffit. Ils n’omettent jamais de souhaiter la bonne année aux femmes de la famille . « Donner le respect » à ses parents lorsqu’ils sont vieux, se laver le visage avec l’eau des roses ou répandre le gros sel pour fuir la médisance, chasser les intrus de la maison en retournant le balai derrière une porte, laisser la paire de ciseaux ouverte afin de retrouver un objet égaré, parsèment l’existence des napolitains de Bab El Oued.

Les juifs empruntent à des coutumes millénaires teintées d’orientalisme où la religion n’a rien à voir, le sang du poisson bleu répandu au sol afin que la réussite accompagne l’ouverture d’un magasin, l’entrée dans une maison ou la naissance d’un petit enfant. Un fil rouge fait aussi bien l’affaire ; dans le même état d’esprit, quelques pièces de monnaie sont jetées aux quatre coins d’un lieu étrenné afin que l’argent soit « monnaie courante ». Le « cinq dans tes yeux » enlève le mauvais œil ; c’est la raison pour laquelle une « « main de fatmah » trône à l’entrée de chaque foyer juif de Bab El Oued. Un verre d’eau jeté sur les pas de celui qui s’en va, tel le ressac de la mer, l’invite à revenir.

Les Espagnols partagent avec les Italiens l’art de ne pas montrer la faiblesse. On se dit fort et bien portant afin d’éviter les mauvaises langues. D’autres se signent dix fois par jour pour le même résultat mais en s’appuyant sur leur foi en Dieu.

A SUIVRE..........

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