mercredi 10 novembre 2010

Gaston Donnat: Peuple Pied Noir

Un document inédit de Gaston Donnat

Gaston Donnat a écrit un opuscule de 93 pages, auquel il a donné le titre : « L’Algérie coloniale : algériens et pieds noirs ». Il en avait achevé la rédaction le 15 juillet 1987, donc plusieurs mois après celle de son ouvrage majeur « Afin que nul n’oublie » publié une première fois en 1986 chez L’harmattan puis réédité l’an dernier chez le même éditeur. Le dernier paragraphe de son document, intitulé : « la fusion des ethnies européennes », est consacré à justifier la terminologie « peuple pied noir », qui selon lui « correspond à une réalité ». Il y écrit « 1950 : la fusion est pratiquement terminée, le Peuple Pied Noir est né. Le nom de Pied Noir à l’origine indéterminée, a été adopté par les Européens d’Algérie. Pourquoi ne pas l’admettre et le revendiquer. Quel autre nom, en effet, pourrait-on donner à ce Peuple? »

V 1-1 – : La fusion des ethnies européennes

Les cinq ethnies principales : Espagnole~ Française, Israélite, Italienne, Maltaise seront loin de former rapidement une communauté homogène. Pendant longtemps, elles resteront repliées sur elles- mêmes et sur leurs cultures respectives.

Une vil1e comme Alger où on les retrouvait toutes, permet de mieux saisir le processus de fusion qui va s’opérer. Il faudra plusieurs générations après l’arrivée des familles en Algérie et aussi des évènements historiques impulsant ou nécessitant leur solidarité pour que cette fusion s’accélère puis se termine.

Un rapide et grossier croquis de l’Alger des années 1930 ( voir page précédente) montrera qu’en ces temps-là encore, sauf exception-, chacune des ethnies possédait des quartiers dans lesquels elle était dominante. Les mariages mixtes n’étaient pas encore la règle générale. Ici, la langue espagnole n’avait pas disparu, là, c’était l’italien, ailleurs l’Hébreu ou le patois judéo arabe, le Maltais … mais le. Français était connu de tous, c’était devenu. indispensable.

Mais pendant combien de temps, les quartiers furent-ils bilingues’? Combien de temps a-t-on parlé un charabia qui n’était ni le Français ni la langue d’origine » comme le célèbre Pataouët de Bab el Oued’?

Ce Pataouët a trouvé une illustration dans la publication, en fin du XIX ème siècle, des aventures de Cagayous sous la signature de Musette, pseudonyme sous lequel se cachait un nommé Robinet. Ces publications s’étalèrent de I894 jusqu’en 1920. L’auteur, tout en les exagérant, utilisait les déformations du Français ou les introductions de vocables espagnols, italiens, occitans, arabes. Il caricaturait ainsi le langage réellement parlé par le petit peuple de son quartier, celui de la Marine, à Alger. Cagayous a été antijuif. Il a exprimé aussi les sentiments des immigrés espagnols ,italiens, maltais vis à vis des « Français de France » qui les méprisaient, les traitant de « Français à un Franc », prix de l’acte de naturalisation. Ces immigrés quand ils disaient « Nous autres » (Nosotres), c’était par opposition aux Français de France ridiculisés par Cagayous

prenant comme tête de Turc, Mr Brun, le Lyonnais, le godiche, le dindon de la farce. « Nous autres.’ … dans leur bouche signifiait « les Algériens » … c.ar dans leur esprit, ils étaient les véritables Algériens, …Les « Arabes », ça ne comptait pas.

On pouvait voir au travers de cette mentalité, sourdre le désir confus d’un séparatisme d’avec la France, d’une future »Algérie libre »,… d’une Algérie « algérienne … l’Algérie pour « Nous autres » …mais pas pour les vrais Algériens. C’était une solution du type de l’apartheid d’Afrique du Sud.

Nous ne pouvons résister au plaisir de citer deux petits ex traits caractéristiques des aventures de Cagayous :

"Si les Algériens y z’ avaient pas gueulé à la Cause de l’affaire Dreyfus, les Français de France y s’arraient pensé que c’est.des étrangers et des champoreaux, moitié italiens, moitié espagnols, qui sont ici  .
On se voulait tout casser . L’ hasard. il a voulu, que juste y passe un tramvaille ousqu’y avait deux juifs dessur. Ma, si vous aviez vu cette baroufe ! Le même chose que si une bande de toros de muerte elle serait lâchée contre deux carcans ".

( Ces éléments sur Cagayous sont tirés d’une étude de Paul Siblot, Professeur à l’Université III, Paul Valéry de Montpellier)

C’est la poussée du Front Populaire, en 1936,. qui va donner une grande accélération au processus de fusion entre toutes les ethnies européennes. En effet, un facteur prolongeant la séparation de ces ethnies était l’ignorance, la pauvreté dans laquelle vivaient des couches nombreuses, dans leurs quartiers. Ces couches formeront la base de masse du Front Populaire. Elles revendiquaient de meilleures conditions de vie, la fin du chômage, des acquis sociaux calqués sur ceux de France, connus grâce aux syndicats C. G. T. U., dans les années 1930 . Leur adhésion au mouvement s’inscrivait dans le même sens que celui qui avait explosé en France …

La Bab el Oued des Espagnols devint Bab el Oued la Rouge. Les Espagnols regroupés à Belcourt, au Ruisseau, Hussein-dey étaient aussi dans le Mouvement ainsi que des Italiens de la Marine et des Israélites de la rue du Divan ou Bab Azoun. Ces derniers ajoutaient à leurs revendications un réflexe de défense contre un fascisme qu’ils savaient dangereux pour eux. Les Français de la fonction publique, enseignants en particulier, ceux des petits cadres du secteur privé ou des transports, des intellectuels, avaient aussi des inquiétudes concernant leur situation et craignaient le fascisme car ils étaient peu aimés des colons. Le fascisme signifierait un renforcement du pouvoir colon qui s’était quelque peu relâché. Et ce pouvoir colon autoritaire n’aurait pas ménagé fonctionnaires et salariés européens. Le passé l’avait montré. Il y avait aussi dans ces couches, la crainte de la guerre.

Dans l’ambiance créée par les manifestations, les grèves, les meetings, dans la cohabitation au sein des syndicats devenus plus nombreux, plus puissants, avec la montée d’un mouvement communiste important, les conditions de fraternisations, de communion d’idées, d’intérêts allaient rapprocher tous ces Européens des divers quartiers, les jeunes surtout, se retrouvant, de plus, dans les Auberges de la Jeunesse.

Les mariages mixtes se firent de plus en plus nombreux… Les parents n’y mettaient plus obstacle et les jeunes étaient bien plus indépendants.

En 1939, la fusion était déjà bien avancée.

A SUIVRE......

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