dimanche 7 novembre 2010

ALGER VU PAR UN ALGERIEN

Le quartier de Bab el-Oued vu de la mer.  D'après  © Samir Sid



Deux fois millénaire, la capitale grandit, se modernise, est pleine de vie. Pourtant, ses rues et les histoires qu’elles racontent fourmillent de fantômes. Ceux du temps de la colonisation et ceux, plus proches, de la décennie noire.



 À quelques pas de la place de la Grande-Poste, à l’ombre des arbres, Mohamed installe tous les matins un petit présentoir. Il vend des cartes postales, de vieilles photos d’Alger en noir et blanc et quelques bricoles. Les clients sont rares, quant aux touristes, « il n’en passe presque jamais ». Mohamed a pourtant beaucoup à raconter. Algérois de naissance, il connaît l’histoire des rues par cœur et distille avec délice anecdotes et légendes sur la ville blanche et sur ses habitants. « Mais, c’est vrai, je regrette l’Alger d’autrefois. Je me souviens encore de la ville dans les années 1960, de la joie de vivre qui y régnait, des terrasses de café toujours bondées. Nous étions pleins d’espoir à l’époque. »

Où que l’on se promène dans Alger, une nostalgie domine et s’installe. Précédée, même pour ceux qui découvrent la ville, d’une étrange impression de « déjà-vu ». Décrite par André Gide et Pierre Loti, adorée par Albert Camus, mise en lumière par Rachid Mimouni, Rachid Boudjedra ou Kateb Yacine, Alger la Blanche tient du mythe autant que de la réalité et s’affiche à l’imparfait autant qu’au présent.


Ici, le passé est partout, envahissant, incontournable, obsédant. « Vous voyez ces immeubles, ils ont été construits par les Français. À l’époque, le centre était surtout habité par les pieds-noirs, il y avait très peu d’Algériens », raconte Mohamed dans un français parfait.

Il suffit d’admirer les immeubles haussmanniens, de lire les anciens noms des rues, de s’arrêter sur la place des Martyrs, pour constater que les cent trente années de colonisation française ont laissé une empreinte indélébile sur la physionomie de la ville. Dans les esprits des Algérois aussi. À l’indépendance, en 1962, Mohamed avait 20 ans. Aujourd’hui encore, il parle avec passion de la guerre de libération, du départ des pieds-noirs, qui ont laissé derrière eux « une ville fantomatique, vidée de ses habitants ». Il manifeste encore une certaine acrimonie envers la France et ses dirigeants. « Nous avons payé cher notre indépendance, assène-t-il. La France nous donne des leçons de démocratie, alors qu’elle n’a jamais reconnu sa dette envers ce pays. »

Plaisirs et déplaisirs de mégapole


Depuis, Alger s’est peuplée d’autres fantômes. Ceux de la « décennie sanglante », qui a fait près de 200 000 victimes dans les années 1990, dont l’ombre hante encore les rues. Officiellement, le calme est revenu : plus de couvre-feu, plus d’attentats terroristes depuis 2007. Pourtant, les barrages de police rappellent que la ville, comme tout le pays, vit encore sous le régime de l’état d’urgence. Impossible de pénétrer en voiture dans la cour d’un hôtel ou d’un lieu public un temps soit peu stratégique sans que des agents de sécurité aient procédé à une fouille minutieuse du coffre. À l’aéroport, les mesures de sécurité sont ubuesques. Entre l’enregistrement et l’embarquement, les passagers sont soumis à pas moins de cinq contrôles. À Hydra, ville entourée de barbelés et de caméras de sécurité, l’ambassade de France ressemble à un véritable bunker.

Alger n’en reste pas moins une ville méditerranéenne vivante et colorée, empreinte du charme des grands ports, comme Naples ou Marseille. Dans le mythique quartier de Bab el-Oued, que le réalisateur Merzak Allouache a si souvent filmé, les rues grouillent de monde. Des boutiques de vêtements, de DVD pirates et de gadgets en provenance de Chine se pressent les unes contre les autres. Dans les vitrines s’exposent des hidjabs colorés, agrémentés parfois de paillettes, que les jeunes filles arborent avec force coquetterie. Face à l’une des plus belles baies du monde, on se dit que la ville pourrait être un enchantement pour les touristes aimant flâner.


Pourtant, les Algérois pestent contre leur ville. « La qualité de vie s’est beaucoup dégradée. La circulation est devenue un enfer et on perd des heures dans les embouteillages. Ça fait plus de vingt ans qu’on nous promet un métro, mais on ne l’a toujours pas eu ! » s’emporte Linda, professeure dans un lycée du centre-ville. Dans les vieux quartiers de la capitale, aux abords de Bab el-Oued, des immeubles décrépis menacent de s’effondrer. La Casbah, cœur historique de la capitale, inscrite au patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), tombe littéralement en ruine. L’urbanisation, parfois sauvage, a défiguré certains quartiers de la ville et rompu son harmonie.( ... )

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