Bar misvah dans la casbah d'Alger en 1946
Alger la Juive entre 1942 et 1962
Ces pages d’histoire du judaïsme en diaspora méritent d’être remémorées. À Alger, après le débarquement des Anglo-Américains en novembre 1942, et l’établissement du gouvernement de la France Libre, puis le rétablissement des Juifs d’Algérie dans la citoyenneté française, qu’ils avaient collectivement perdue par les lois raciales de Vichy, les instances juives se remirent au travail pour souder la communauté autour de ses traditions et de sa culture tout en l’incitant au dynamisme vital. Non que ces instances dirigeantes aient cessé d’agir, puisque durant ces trois années de « privation », il avait fallu organiser l’enseignement pour les enfants juifs chassés des écoles, sous l’autorité des maîtres eux-mêmes mis à pied – tous juifs, à l‘exception notable d’Albert Camus qui, exclu de l’enseignement pour cause de tuberculose, fut recruté par le professeur André Bénichou à l’école juive d’Oran, baptisée « cours Descartes », en 1941-1942 ; et c’est de cette expérience que le futur prix Nobel allait tirer son roman La Peste, tout en faisant souche localement, puisqu’il épousa alors une jeune fille d’origine juive, Francine Faure, petite-fille de Clara Touboul. Ce n’est là qu’un trait parmi tant d’autres choses importantes. Oui, les instances juives du judaïsme en Algérie furent toujours à la hauteur des circonstances.
le jour de ma Bar Misvah - HZ -
Le grand résistant que fut le capitaine Jacquel, alias Jacques Lazarus, chassé de l’École de guerre de Strasbourg suite aux lois raciales de Vichy, maquisard, membre organisateur de l’Armée Juive, arrêté par la Gestapo, déporté dans ce « Dernier Wagon » de 1944 (en compagnie de Marcel Bloch, qui deviendra Dassault) et héroïquement évadé, débarque après la Libération à Alger, où il va faire souche en épousant Jeanine Judith-Esther, fille d’Aïzer Cherki. Ce dernier, ardent sioniste, sera président de la Fédération sioniste d’Algérie de 1949 à 1954, avant de laisser la place à Maître André Narboni, et il a à son actif d’avoir organisé celle qu’on a appelée l’Alya Beth, recueillant chez lui et dans des locaux et terrains qu’il avait lui-même aménagés aux environs d’Alger, à la Bouzaréah, les nombreux Juifs, venus du Sud algérien et du Maroc, qui voulaient rejoindre Erets Israël, malgré l’opposition des Anglais et les innombrables difficultés. Jacques Lazarus, qui allait être son gendre, fut tout aussitôt nommé directeur du Congrès Juif Mondial pour l’Afrique du Nord. Tête pensante de la communauté juive d’Algérie, il créa le seul organe de presse qui fut, jusqu’à l’Indépendance de l’Algérie, porte-parole de la communauté : Information juive, mensuel qu’il « rapatriera » après 1962 à Paris, où il deviendra l’organe de l’Association des Juifs Originaires d’Algérie. Et puis, avec son beau-frère Haïm Cherki, il fonda la Commission Culturelle Juive d’Algérie, qui essaima sur tout le territoire algérien en 17 centre communautaires, afin de, comme l’écrivit Haïm Cherki, « sauver, un peu tardivement, ce qu’on pouvait sauver de notre héritage spirituel ». Peu avant l’Indépendance de l’Algérie, le Centre Culturel Juif d’Alger avait émigré de la basse Casbah, où il se trouvait, pour les beaux quartiers des hauteurs de la ville et fonctionnait activement au 38 rue Michelet. La Commission Culturelle Juive d’Algérie organisait des cours d’études juives et des conférences, illustrées par les plus grands noms du judaïsme français (Emmanuel Lévinas, André Néher, Armand Lunel, Rabi, Arnold Mandel, Léon Askénazi, Raymond Bénichou…). Haïm Cherki, assisté de sa jeune sœur Suzy-Siona (disparue prématurément en 1955), dirigeait la bibliothèque juive de la Commission, initialement sise 1 rue Mahon, à deux pas des locaux de l’Alliance Israélite, rue Bab-el-Oued. Plus tard installée rue Michelet, cette bibliothèque fut gérée par sa sœur Dinah. Il faut signaler aussi, à son initiative, la production de l’émission culturelle juive hebdomadaire sur Radio-Alger, où l’on évoquait les grandes figures du judaïsme : Maïmonide, Salomon Ibn Gabirol, Bahya Ibn Paqûda, Yéhouda Halévy, etc…, où l’on parlait aussi musique juive traditionnelle et classique (comme celle de Salamone Rossi), et, bien entendu, des différentes solennités religieuses. Ajoutons aussi que, par son ouverture d’esprit, et une curiosité sans entraves pour le judaïsme où qu’il se manifestât, la Commission Culturelle œuvra concrètement pour le bien du judaïsme local et contribua à « le faire sortir du ghetto traditionnel limité à l’étroite action consistoriale » (Haïm Cherki). On en aura fini lorsqu’on dira deux mots de l’Union des Etudiants Juifs de France à Alger, dont les présidents et responsables successifs se nommaient Pierre Attal, Roger Touboul, Jacques Sayag, Claude Elbaz…
mon père et mes grands parents paternels - HZ -
L’UEJF était un lieu de rencontre pour les étudiants juifs d’Algérie quelle que soit leur étiquette : les religieux, les laïcs, même les communistes ; on pouvait y croiser aussi bien Daniel Timsit que Hélène Cixous. Le mur du fond était orné d’une fresque dessinée aux craies de couleur par Marcel Turschwell qui se distinguait au lycée Bugeaud par son joli coup de crayon : la fresque représentait un soldat de Tsahal dressant son fusil et nous imposait donc l’image d’Israël victorieux et conquérant en 1948 son Indépendance par la force de son bras armé. Les réunions étaient de trois sortes : ludiques, avec ping-pong et surprises-parties du dimanche, dont l’intérêt évident, qui n’échappait pas aux mamas juives du pays, était de favoriser des unions endogamiques au moment même où le brassage des populations poussait au mariage mixte ; culturelles, avec l’organisation de conférences, de travaux d’étudiants menés en commun, et une bibliothèque relativement fournie ; sociales, enfin, avec la recherche de logements étudiants (en 1954, une délégation de l’UEJF, aux côtés de l’Asso catholique et de la Fédé protestante, fut reçue par le maire d’Alger, Jacques Chevalier, qui s’engagea à affecter des chambres d’étudiants dans les grands ensembles périphériques en construction de Diar Es-Saada et Diar El Mahçoul) et aussi l’attribution de (modestes) bourses de soutien aux étudiants nécessiteux, notamment ceux venus de l’intérieur ; les quêteurs allaient, au temps de Tichri, rendre visite à tous les commerçants juifs d’Alger dont la générosité était à la hauteur de leur foi et de leur conviction ; on rappellera l’incroyable chèque de David Zagha, marchand de tapis rue d’Isly, au montant fantastique, pour l’époque, de vingt mille francs. Le local des Etudiants Juifs se trouvait 1 rue Nocard, dans les sous-sols d’un bel immeuble du haut de la rue Michelet. On pourrait aussi évoquer l’action éducative des Eclaireurs Israélites de France à Alger, qui glanaient une petite partie de la jeunesse juive ; celle aussi des mouvements sionistes (Dror, Hachomer Hatsaïr, Bétar…) où les chants israéliens et le hora ne pouvaient que séduire la jeunesse juive algéroise, moins assidue, pourtant, aux cours d’hébreu. Sans oublier, non plus, l’éducation religieuse dispensée par l’Alliance Israélite, longtemps dirigée par Albert Confino, et qui rayonnait sur deux locaux, rue Bab-el-Oued et rue Suffren ; on n’oubliera pas alors notre maître en instruction religieuse, le rabbin Cohen-Solal, de pieuse mémoire. Et voilà qui constitue un aperçu modeste, mais substantiel quand même, des activités culturelles juives en Algérie, principalement axées sur Alger, du temps où elle fut capitale de la France Libre jusqu’à celui de l’Indépendance et de la fin du judaïsme algérien.
Albert Bensoussan
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