lundi 25 octobre 2010

Les républicains espagnols exilés en Algérie

d'après Margot Peigné 

La vie continue... en Algérie

Le premier facteur influant sur la décision de s’établir en Algérie est d’ordre économique. En effet, certains exilés sont parvenus à trouver un métier qui leur permet de vivre correctement. Toutefois, les conditions de vie des exilés varient en fonction de l’économie algérienne et leurs situations sont généralement modestes. En second lieu vient le facteur « familial ». L’enquête de 1948 déjà citée indique que de nombreux exilés se sont mariés à des « Algériennes », c’est-à-dire des Françaises d’Algérie. D’une part, les fiches de renseignement dressées par les services de police au début des années 1940 témoignent de l’extrême jeunesse de nombreux exilés. D’autre part, les enfants des exilés ont grandi en Algérie et s’y sont mariés. Pour les exilés arrivés en Algérie plus âgés, rester dans la colonie s’avère plus difficile et douloureux. Les années passent et le retour en Espagne reste hypothétique. Ils restent en quelque sorte en suspens, attendant un changement improbable. Ici, le fait de rester en Algérie permet d’être à proximité de l’Espagne, proche de sa famille. L’installation en Algérie peut également être le résultat d’une contrainte. En effet, selon Carbonell, certains « ne peuvent rentrer en Espagne ni aller en aucun autre lieu ». Les précisions manquent, mais il est possible de placer dans cette catégorie les exilés ayant un passé trop lourd, un engagement anti-franquiste affiché.

La grande majorité des exilés espagnols sont installés dans le département d’Oran où réside une forte communauté d’origine espagnole. En 1939, cette communauté est implantée depuis environ cinquante ans dans la colonie française. Divisée par la guerre civile, la communauté espagnole d’Oran est partagée quant à l’accueil des exilés. Mais au-delà des considérations politiques, c’est la nature même des deux communautés qui posera les modalités de leurs relations. Communauté issue d’une émigration économique, présente en Algérie depuis près de trois générations, la population oranaise ne partage ni les buts politiques ni l’espoir de retour des exilés. Néanmoins, les mariages entre exilés et « Algériennes » indiquent une certaine intégration, notamment pour la seconde génération, née en Espagne mais ayant grandi en Algérie. Cette distance entre les deux émigrations, politiques et économiques, nous indique les raisons de l’attitude des exilés espagnols face à la guerre d’Algérie. Le regard toujours tourné vers l’Espagne, dans l’attente du retour, les exilés se sentent extérieurs au conflit qui se déroule sur cette terre d’accueil.

Les exilés face à la guerre d’Algérie

En étudiant les journaux qui nous sont parvenus et les rapports de police, on remarque que la presse républicaine espagnole dans son ensemble reste discrète. Et si le PCE s’allie au PCA (Parti Communiste Algérien) pour demander la libération de prisonniers algériens, ils restent toutefois prudents lors de leurs réunions. Il est clair que les exilés espagnols n’étaient pas, selon les autorités françaises d’Algérie, censés interférer dans la vie politique intérieure de la France. Et les exilés semblent l’avoir bien compris. Mais il est d’autres raisons, déjà évoquées, qui expliquent cette non-implication. Les exilés installés en Algérie n’ont pas oublié l’Espagne. Ils garderont toujours une image idéalisée de ce pays et l’espoir d’y retourner. En ce sens, le conflit algérien leur est extérieur. Pourtant, s’ils ne la disent pas ouvertement, les exilés n’en n’ont pas moins une opinion, ou des opinions sur la guerre d’Algérie.

Les anarchistes choisissent de ne pas s’impliquer. Selon Miguel Martinez, arrivé en Algérie avec son père à l’âge de neuf ans, ils désapprouvent la politique de la France mais également les moyens employés par les nationalistes algériens et l’avenir réducteur envisagé par ces derniers [19].

Les communistes espagnols quant à eux suivent la ligne du PCA. Ils se tournent clairement en faveur des nationalistes algériens. Cependant, rien n’indique leur manière d’envisager l’avenir. Enfin, s’ils sont ceux qui s’impliquent le plus dans la politique française, ils n’en oublient pas pour autant l’Espagne et toute réflexion les ramène à la lutte contre Franco, ce dernier étant accusé de soutenir l’effort français et de manœuvrer contre les Algériens. Cette crise serait pour Franco le moyen d’affirmer la crise des démocraties et de légitimer sa dictature. Enfin, les socialistes se montrent très prudents. Les rapports de police relève cette réserve et notent l’absence d’allusion aux « événements » dans les réunions et les journaux du PSOE. Le parti espagnol, proche de la SFIO, reste discret.

Si la réserve est de mise dans les meetings et dans la presse, si les exilés sont plus spectateurs qu’acteurs, ils ne se désintéressent pas pour autant de l’ébullition dans laquelle ils sont plongés. Nous ne disposons que de la correspondance personnelle d’Esplá, peu représentative de l’ensemble de la communauté des exilés mais elle illustre que, comme pour la majorité des Pieds-Noirs, il est difficile pour beaucoup d’exilés de percevoir clairement les enjeux de cette guerre et l’exode qui en découlera.

En 1962, en prévision d’un rapatriement massif des Européens d’Algérie, on recense 2 000 réfugiés espagnols. Ils sont donc 2 000 sur 7 000 à être rester en Algérie, sans oublier toutefois les naturalisations de la seconde génération, plus encline que la première à quitter la nationalité espagnole, et sans oublier les migrations familiales qui rendent une comptabilité exacte impossible à fournir.

Si plusieurs milliers de membres de la communauté espagnole ou d’origine espagnole d’Algérie rejoignent en 1962 l’Espagne, il est probable que peu d’exilés opteront pour cette solution. L’exil de 1962 est pour la communauté des républicains espagnols un second exil, et surtout une perte d’identité. En effet, exilés espagnols en Algérie, peu à peu oubliés et désunis, ils deviennent aux yeux des Français de métropole lors de leur arrivée à Marseille des Pieds-Noirs d’Algérie parmi d’autres

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