Rien n'est plus long et difficile que de prendre des décisions d'emplacements et de situations des futurs monuments qui orneront une ville, surtout quand on ne manque pas de place, et qu'il faut faire en même temps traiter avec les militaires.
Les problèmes rencontrés par les élus ont été doubles Premièrement, subir les contraintes imposées par les gouverneurs de la place militaire, deuxièmement ne pas provoquer la colère des habitants de la basse ville. Lespès, avec son livre sur Oran, nous a laissé un document historique exceptionnel dans lequel il expose
une à une les séances du conseil municipal.
C'est au cours de l'une d'entre elles, qui se déroula le 28 septembre 1867, dirigée par le maire Mr Floréal Mathieu que fut réglée la question des " réserves civiles " dans laquelle il fut prévu l'emplacement de la synagogue à l'angle du boulevard Sébastopol et de la rue d'Arzew prolongée.
L'appellation synagogue désignait originellement la communauté. Le nom est transféré à l'édifice dans lequel elle priait.
La synagogue devient une institution religieuse officielle du judaïsme rabbinique après la destruction du temple de Salomon en 70 après J.C.
Elle est depuis la maison des prières " Beth ha tefillah " . En 1877, las d'attendre, le consistoire israélite, se référant à cette vieille séance de 10 ans, décide de construire un temple. Les lieux du culte ne suffisent plus, ils sont trop petits et trop dispersés, ils ne favorisent pas le rassemblement de la communauté (10) .
A cette époque Oran est un immense chantier et prend tous les jours de l'importance. L'activité de son port ne cesse de croître. Le terrain est donné gratuitement par la ville. En 1880 la première pierre est posée. La construction va se faire par souscription volontaire en Afrique du Nord, en France et même en Angleterre.
La synagogue d'Oran se trouve au boulevard Joffre à Oran.
Il a fallu une foi extraordinaire pour recueillir les fonds nécessaires mais aussi le courage religieux et politique pour mener à bien l'organisation et la direction de l'oeuvre. L'achèvement des travaux a pris le temps d'une génération.
Il faudra attendre 38 ans pour que se réalise le grandiose projet, on avait vu grand et les devis ont été largement dépassés.
La municipalité participe pour clore le budget manquant. Enfin le grand rabbin Weil peut réceptionner l'édifice religieux.
Mazal tov ! Mazal tov! , C'était mérité pour les milliers de croyants anonymes chargés de recueillir des fonds qui ont gardé l'espoir malgré les innombrables entraves, les difficultés financières et les résistances conservatrices.
Le 12 Mai 1918 la synagogue est inaugurée en présence d'une foule énorme évaluée à plus de 5000 personnes venues de tous les coins d'Algérie mais aussi de France et de l'étranger.
L'émotion atteint son comble, lorsque les portes se sont ouvertes pour laisser entrer les fidèles, leur siddour à la main.
Il n'y eut pas assez de place, mais on n'était plus sous le coup des interdictions et les prières pouvaient être entendues de la rue.
Toute la nuit l'allégresse et les chants se sont fait entendre, et dans les maisons en paix, les pères (15) levaient les verres en regardant leurs fils et disaient: " lekhaîm, lekhaîm " ( à la vie, à la vie ).
Nous sommes en 1918,1a guerre n'est pas encore terminée, le grand rabbin Weil termine son allocution " en suppliant Dieu de protéger la France, de lui conserver sa force et son prestige, et de lui donner enfin la victoire qu'elle a si bien méritée " .
Vue de l'extérieur, le bâtiment est très important. La façade où une splendide rosace aux vitraux multicolores illuminent l'intérieur est parée de chaque côté de 2 tourelles de 20 mètres de hauteur (17) où sont accolées deux ailes aux coupoles harmonieuses qui terminent l'ensemble (I8). A l'intérieur trois grandes portes surmontées de vitraux s'ouvrent sur la nef.
Celle ci est séparée des bas-côtés par des arcades décorées d'arabesques et que supportent des colonnes de marbre rouge.
Le coeur est réservé au tabernacle ( hekkal ) portant gravé au sommet les commandements de Dieu et l'étoile de Salomon que l'on retrouve d'ailleurs dans tous les vitraux.
A l'intérieur derrière une draperie de velours rouge brodée d'or datant de 1845, plusieurs sépharims sont enfermés.
Chacun d'eux contient écrit à la main, en hébreu, sur parchemin, le pentateuque ou les 5 livres de Moîse.
Des fidèles ont offert les ornements qui les surmontent ainsi que l'index en or ou en argent avec lequel l'officiant suit la lecture de la loi.
En avant du tabernacle on remarque un magnifique candélabre à huit branches, sur le modèle de celui de Jérusalem qui n'en avait que sept, mais qu'il est interdit de reproduire.
Au milieu de la grande Nef, "la Théba " où les tables de Moïse, sont en noyer ciselé, ainsi que la chaire en pur style oriental.
900 sièges, en chêne massif, occupent le rez de chaussée du temple.
Au ler étage, sur les côtés et devant les grandes orgues qui comprennent 18 jeux et 900 tubes, sont les places réservées aux femmes (20), les hommes seuls ayant droit d'occuper le bas pendant les offices religieux.
Le plafond de cet oratoire comme celui des deux bas côtés du temple est orné d'une Ner-Tamid, aux nombreuses veilleuses (21) ajourées, la pluspart en argent massif offertes par les fidèles en mémoire d'êtres chers disparus, parce que " la flamme symbolise l'âme ". Les ampoules électriques sont dissimulées dans de jolies lanternes marquées du sceau de Salomon. (22)
Au premier étage deux salles servent, l'une aux assises du tribunal rabbinique chargé de trancher les différents religieux, tribunal que préside le grand rabbin auquel sont adjoint deux assesseurs, l'autre aux délibérations du consistoire.
Dans la première pièce se trouve une précieuse bibliothèque renfermant toute une littérature religieuse sous forme de manuscrits et de livres vieux de 2 ou 3 siècles.
Cette synagogue est la plus belle de toute l'Afrique du Nord. A l'intérieur se trouvent des plaques où sont gravés les noms des 400 juifs morts au cours de la guerre1914 -1918.
Les juifs d'Oran peuvent être fiers de leur oeuvre, la synagogue a mis du temps à servir au culte de la communauté.
On a entendu dans les murmures des premiers fidèles: " sof tov. ha kol tov ". Le vent de l'histoire a soufflé une fois de plus dans le mauvais sens, la belle synagogue est devenue une mosquée. Elle reste un lieu de culte pour les " Ahl El Kitab ", les peuples du livre, la maison des prières, " el Bethha tefillah ".
Pierre BADIA
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