samedi 2 octobre 2010

ALGER AUTREFOIS - DIEGO DE HAEDO -

Il nous a paru intéressant de présenter au lecteur quelques descriptions de l'Alger d'autrefois. Le touriste pourra ainsi se livrer à un sérieux travail de restauration, travail riche en émotions intimes pour les esprits séduits par la poésie du passé ou qui aiment à donner aux scènes de l'histoire, le cadre vrai qui leur est particulier.
Nous empruntons la première esquisse au bénédictin Fra Diégo de Haedo, dont la relation, composée à la fin du XVIe siècle, et publiée en 1612 à Valladolid, se recommande par la plus scrupuleuse exactitude. (Traduction de MM. Berbrugger et Dr Monnereau.)

Le circuit des murailles de cette ville peut être par sa forme, comparé à un arc muni de sa corde ; son front de mer s'étend entre l'E. et l'O. ; le port suit également cette direction, ainsi que les angles, galeries et les terrasses de toutes les maisons, qui sont dépourvues de fenêtres, comme nous le dirons plus loin.

Les murs, qui représentent le bois de l'arc, sont établis sur une colline, qui va en s'élevant graduellement jusqu'à son sommet, et les maisons, qui suivent aussi cette direction, sont bâties les unes au-dessus des autres, de telle sorte que les premières, bien que grandes et hautes, n'empêchent point la vue de celles qui se trouvent derrière elles.

Une personne, qui de la mer, fait face à la ville d'Alger, se trouve avoir à sa droite l'une des extrémités de cet arc correspondant au N-0. ; en face, le sommet de cette ville, qui regarde le S., en inclinant un peu vers l'O. ; à sa gauche enfin, l'autre extrémité qui est orientée vers le S-E. Entre ces deux points extrêmes, et pour compléter la ressemblance que nous avons indiquée, s'étend, pour figurer la corde de l'arc, une muraille moins élevée que les autres, bordant la mer et continuellement battue par la vague.

Notre comparaison se trouve, il est vrai, un peu défectueuse en ce qui concerne la corde de l'arc, parce que la muraille qui la figure, au lieu d'aller en ligne droite, d'une extrémité à l'autre, comme cela doit être, fait avant d'atteindre le côté droit de l'arc, une forte saillie en nier sur une pointe naturelle formant un espèce ,d'angle ou d'épaulement. C'est à partir de cette pointe en saillie, qui part de l'extérieur d'une porte de la ville, quo commence le môle établi par Kheir-ed-Din Barberousse pour former le port, ce qu'il exécuta en comblant par un terre-plein la courte distance qui existait entre la ville et !Tôt. Au-delà de cette pointe, la terre et la muraille forment une rentrée qui va rejoindre directement l'extrémité droite de l'arc. Cette enceinte est de tout point très solidement bâtie et crénelée à la mode ancienne. Du côté de la terre, son pourtour est de 1,800 pas et de 1,600 sur le front de 'de la mer, ce qui lui donne un développement total de 3,400 pas.

A l'intérieur de ses murailles, elle ne renferme que 12,200 maisons, grandes et petites, car le développement de son enceinte n'est pas considérable, et qu'il n'y a pas une seule de ces habitations qui ne contienne une cour d'une plus ou moins grande étendue.

Toutes les rues, plus étroites que les rues les plus rétrécies de Grenade, de Tolède ou de Lisbonne, peuvent livrer passage à un cavalier, mais pas à deux hommes de front. Une seule rue fait exception, c'est la grande rue du Socco (souk, marché), que nous avons dit traverser la ville, en ligne directe, de la porte Bab-Azoun à la porte Bab-el Oued, parce qu'elle forme un espèce de marché, bordée de chaque côté, d'un nombre infini de boutiques, où l'on vend toute sorte de marchandises ; encore, cette rue, qui est la principale et la plus large voie d'Alger, atteint à peine dans sa plus grande largeur 40 enpans tout au plus, et sur bien des points, elle est de beaucoup plus étroite.

En résumé, les maisons de cette ville sont tellement agglomérées et serrées les unes contre les autres, qu'elles la font ressembler à une forme de pain bien unie. Il résulte de cet état de choses que les rues sont très sales, pour peu qu'il pleuve, parce que toutes ont le grand inconvénient d'être très mal pavées. A part la grande rue du Souk, dont il vient d'être parlé, aucune d'elles n'a l'avantage d'être droite ou alignée, et encore, cela peut-il se dire? car dans toutes les villes bâties par les Maures, il est d'usage de n'apporter aucun soin et aucun ordre dans l'établissement des rues.

Quant à l'architecture de leurs maisons, il n'en est plus ainsi ; la plupart d'entre elles, ou pour mieux dire presque toutes, sont très jolies. Elles sont généralement bâties à la chaux et très solidement, et couvertes en terrasses, sur lesquelles on étend au soleil le linge pour le faire sécher. Les maisons sont tellement rapprochées et les rues si éteintes, que l'on pourrait parcourir presque toute là ville en passant d'une maison à l'autre ; c'est du reste, le Moyen qu'emploient pour se visiter, beaucoup de femmes de la ville.

Mais cette grande facilité de communication par les terrasses expose à des vols, comme cela arrive souvent, car les voleurs savent très bien aussi prendre ce chemin, si on n'y veille pas.

Il est bien peu de ces maisons qui n'aient, avec un grand vestibule, une cour spacieuse destinée à éclairer largement l'intérieur ; car, comme les Maures ne veulent pas que leurs femmes ou leurs filles voient au dehors ou soient vues, ils ne font pas ouvrir de fenêtres sur les rues, comme il est d'usage en pays de chrétienté. Ces vestibules et ces cours, généralement construits en briques avec beaucoup de goût, sont pour la plupart ornés sur leurs parois de carreaux de faïence de diverses couleurs ; il en est de même des corridors et des balustrades situés à l'intérieur de ces cours, qui ressemblent aux cloîtres des monastères ; ces ouvrages, entretenus avec le plus grand soin, sont frottés et lavés chaque semaine.

Comme pour ces lavages et pour leurs autres besoins une grande quantité d'eau est nécessaire, chaque maison a généralement son puits et beaucoup ont aussi même une citerne. L'eau des puits est lourde et saumâtre ; on ne boit que celle des fontaines qui sont belles et nombreuses au-dedans et au-dehors de la ville.

A l'extérieur des remparts, on ne trouve point, quant à présent, comme dans toutes les localités, d'autre faubourg que vingt-cinq maisons environ, formant une rue qui, des abords de la rue BabAzoun, suit la direction du Sud. Ces maisons, avec leurs hangars, servent de refuge à quelques pauvres, et d'abris aux Arabes et à leurs montures,quand ils viennent à la ville. Des Maures, qui possèdent des fours à chaux dans cet endroit, en habitent aussi quelques-unes.



La ville d'Alger est bâtie en amphithéâtre sur un rocher dont l'inclinaison est tournée vers l'Est. L'enceinte de cette étrange cité, telle que nous la trouvâmes, avait la figure d'un triangle, dont la base, formant une ligne brisée tracée par le rivage, présentait le côté le plus étendu. Les deux autres côtés montaient jusqu'à la Casbah, située au sommet du triangle. Un mur à l'antique, avec des tours de distance en distance et avec un espèce de fossé du côté Sud et un ravin profond du côté Nord, fermait cette enceinte. La ville offrait l'aspect d'une masse de maisons, recouvertes d'un enduit d'une blancheur éblouissante, que sillonnaient des ruelles étroites et tortueuses, où deux mulets ne pouvaient se croiser qu'au moyen des retraites qu'on avait pratiquées çà et là.

L'usage des voitures était entièrement inconnu dans la ville et dans tout le pays. Des marches, construites en pierres, étaient espacées de six pieds en six pieds dans la plupart de ces ruelles, pour en faciliter la descente, qui serpentait sur un plan très incliné. L'extérieur des maisons ne présentait que des murailles élevées, sans autres ouvertures que quelques petits soupiraux rectangulaires pratiqués dans leurs parties supérieures ; mais l'intérieur, dont une petite porte basse fermait l'entrée, avait parfois toute l'élégance de l'architecture mauresque, avec son luxe de colonnes en marbre.

"Dans les Etats despotiques, chaque maison est un empire séparé", a dit Montesquieu. La vue d'Alger suffirait pour constater la vérité de cette observation de l'auteur de l'Esprit des lois. Il y avait des citernes et des fontaines dans les maisons et dans les rues de la ville. On n'y apercevait aucun monument ; les nombreuses mosquées qu'elle possédait n'étaient pas dignes de ce nom.

La petite île, sur laquelle étaient établies les batteries qui rendaient Alger formidable du côté de la mer, était rattachée à la terre par un môle. C'était cette île qui, avec le môle muni de batteries casematées, enfermait le port ou la darse.

La ville avait cinq portes: deux Ouvraient sur le côté de l'enceinte triangulaire régnant le long de la mer ; deux autres se trouvaient aux extrémités inférieures des deux autres côtés de l'enceinte, l'une appelée Bab-Azoun, c'est-à-dire d'Azoun, au bas du côté Sud, et l'autre dite Bab-El-Oued, c'est-à-dire porte du ruisseau, au bas du Côté Nord. La cinquième, nommée Porte-Neuve, se trouvait à environ cent vingt mètres au-dessous de la Casbah, sur le même côté de l'enceinte que la porte Bab-Azoun. Hors des deux portes Bab-el-Oued et Bab-Azoun, étaient deux faubourgs dits faubourg de Bab-el-Oued et faubourg de BabAzoun.

Hors de ces deux portes, la ville était aussi flanquée de deux forts, élevés sur les bords de la mer. L'un, appelé Fort-Neuf, était voisin de la porte Bab-el-Oued et armé de trente-six bouches à feu ; l'autre, situé à trois cents mètres de la porte Bab-Azoun et appelé fort Bab-Azoun, était armé de quarante-huit bouches à feu.

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