mardi 4 mai 2010

LE TRAGIQUE ATTENTAT DU CASINO DE LA CORNICHE

"Le Casino de la Corniche  représente la cible idéale .Le Casino de la Corniche est connu de tous les Algérois au même titre que le Santa-Lucia, son rival. Il est situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, près de Pointe-Pescade. C'est un imposant bâtiment bâti sur un  éperon rocheux, face à la mer, un peu en retrait de la route littorale. On y accède par une longue allée de gravier soigneusement entretenue. En semaine, il est surtout fréquenté par les joueurs.
Le samedi et le dimanche, il attire la foule des danseurs. A son programme, les vedettes de la chanson en tournée en Algérie, des fantaisistes, des attractions de classe internationale. Dario Moréno a beaucoup de succès à chacun de ses passages. Le fameux travesti Coccinelle y vient souvent avec la troupe du Carrousel de Paris.
À l'intérieur, la décoration est simple et de bon goût. La salle du night club est peinte en bleu sombre avec des étoiles qui piquent les murs de taches plus claires. Autour de la piste de danse, qui sert également de scène, de' petites tables rondes. Les baies vitrées ouvrent sur la mer. Dans ce cadre de boîte de nuit hollywoodienne, évolue le patron, Henri Azzopardi, petit homme brun et jovial qui a hérité de ses origines maltaises le sens des affaires. Henri Azzopardi - Riri tout court pour une multitude d'amis appartenant à tous les milieux - est également propriétaire de la brasserie le Novelty et d'un autre dancing, le Fantasio, deux établissements proches de l'hôtel Aletti.
Le dimanche 9 juin, jour de Pentecôte, aucun membre du personnel du Casino de la Corniche ne remarque que l'un des plongeurs, un musulman d'une quinzaine d'années, vient prendre son service avec un paquet sous le bras. Ce paquet, en apparence parfaitement inoffensif, est une redoutable bombe de deux kilos que lui a fait remettre Yacef Saadi. L'employé a accepté de la dissimuler sous l'estrade de l'orchestre à la condition d'être pris en charge par le F.L.N. avant qu'elle explose et d'être acheminé ensuite vers le maquis.
À partir de 16 heures, la salle du Casino commence à se remplir de couples. Il y a beaucoup de garçons et de jeunes filles qui ont préféré la danse plages. On échange des signes amicaux avec les musiciens de Lucky Starway. Ce sont tous des Algérois. Certains sont même des enfants de Bab-el-Oued. A commencer par Lucien Serror, colosse de trente-cinq ans dont le visage rond et perpétuellement souriant est barré d'une fine moustache noire. Quand il a monté son orchestre avec des copains, il lui a donné le nom de Lucky Starway. Pour un ensemble de jazz, ça fait plus sérieux que Lucien Serror. En tout cas, c'est plus dans la note.
Il est 18 h 30. On danse au coude à coude et joue contre joue sur la piste cirée du Casino de la Corniche. Sur l'estrade, Lucky Starway dirige ses musiciens. Les garçons en veste blanche se faufilent à travers les tables pour apporter les consommations. Le soleil est encore haut dans le ciel et embrase-la mer. C'est un dimanche comme les autres, un dimanche de détente pour toute une jeunesse qui a provisoirement chassé de son esprit la guerre et le terrorisme., Et pourtant !...
 Soudain, en quelques secondes, c'est le drame. Une terrible explosion secoue tout l'établissement. Un souffle d'une puissance inouïe balaie la salle, qui s'emplit instantanément de fumée et de poussière. À travers ce nuage on distingue des fantômes qui titubent avant de s'abattre dans un invraisemblable désordre.
Sous l'effet de la bombe, l'estrade a été littéralement pulvérisée, projetant musiciens et instruments dans tous les sens. Rien n'a résisté à la déflagration. Des dizaines de corps sont allongés parmi les débris de tables, de chaises, de verre pilé. Le piano, éventré, tient en équilibre sur un pied.
L'engin explosa 18 h 55, fauchant des dizaines de couples qui dansaient tendrement. L'estrade fut littéralement soulevée par l'explosion. Le piano réduit en miettes. Lucky Starway, était mort sur le coup, éventré. Sa chanteuse eut les pieds arrachés, le danseur Paul Pérez, les jambes sectionnées. Lorsque la fumée et la poussière des gravats furent retombées, plus de cent personnes gisaient dans les décombres, perdant leur sang. Le silence qui succéda à l'explosion fut bientôt déchiré par les hurlements des blessés. La bombe ayant explosé au ras du sol la plupart des victimes étaient atteintes aux membres inférieurs.
Huit morts. Quatre-vingt-un blessés dont dix furent amputés !Les douze blocs opératoires de l'hôpital de Mustapha fonctionnèrent toute la nuit. Alger était à nouveau atteint de folie sanguinaire. Le cycle répression-attentat avait repris avec une intensité que jamais la capitale n'avait connue.
Et le mardi, aux obsèques des victimes, ce fut l'émeute. Comme à l'enterrement de Froger. Les ratonnades. Les magasins saccagés. Les C.R.S. qui tentent de contenir la foule en furie. Les grenades lacrymogènes... Le couvre-feu fut établi à 21 heures.
L'exaspération était à son comble. Chez les Européens, on veillait des corps. Le, fossé venait de s'élargir et de se creuser un peu plus. Ce.n'était plus un fossé, mais un ravin ! Les débris laissés par l'émeute étaient tout juste balayés, la fumée des gaz lacrymogènes était à peine chassée par l'air printanier que Bigeard et ses hommes du 3.. R.P.C. revinrent dans le merdier."
Un vieil et fidèle ami racontait au sujet de Lucien Serror :
" C’était un ami personnel, il avait une boutique de tailleur dans l’avenue de la Bouzaréah à Bab el Oued sous l’enseigne de «GIL STAR » il m’a confectionné mon premier complet « sur mesure » en « SPORTEX, S’il vous plait ! « il jouait surtout du SAXO, lorsque je dansais dans un de ses bals, il descendait de l’orchestre pour venir autour de mon couple en jouant.
Lucky STARWAY  jouait à peu près de tous les instruments: de l’accordéon, de la batterie, de la trompette, du saxophone et bien sûr, du piano. C’était le seul musicien de jazz de la  ville d'Alger.

8 commentaires:

  1. Professeur d'anglais de son fils , j'ai reçu de Lucky une leçon particulière d'histoire du jazz dans son appartement du 25 avenue de la Bouzaréah, avec illustrations sonores par Lucien au piano et au saxo. Merci de la photo que vous mettez en partage. Romancier et poète, je m'autorise à vous complimenter pour votre description - style et contenus, et même ton, qui vous distingue de celui toujours pompeux, solennel et lugubre de beaucoup de nos compatriotes dès qu'ils prennent (!) la plume.

    Max Guedj maxguedj@yahoo.fr

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  2. Et oui, beaucoup ont oublié ou ignorent pour les plus jeunes ce qu'était le terrorisme aveugle et sanglant du FLN en Algérie.

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    1. Je le sais. Je venais juste de sortir du Milk Bar quand la bombe a explosée. J'avais onze ans, je n'ai rien eu. Le lendemain c'était le rentrée des classes. J'entrais en sixième au Lycée Bugeaud. Ce n'était ni la liberté d'opinion, ni la musique, qui étaient visés. C'était des koufir qui allaient être victime d'un extraordinaire nettoyage ethnique et religieux avec l'aide des politicien français.

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  3. J'avais 6 ans et nous rentrions de la plage, en voiture, par la route de la corniche. Les voitures étaient bloquées en file indienne au niveau du casino. Je me souviens des corps amputés, bras déchiquetés aux portières des voitures qui tentaient de gagner les hôpitaux d'Alger dans une confusion totale.

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  4. Pouvez-vous préciser la date de cet événement?

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  5. cet évènement a eu lieu le 3 juin 1957


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    1. j avais 6 ans .59ans apres j ai toujours en mémoire les images de l attentat j habitait dans l immeuble de la reserve et jai entendu le boum de l explosion puis apres les gens sortaient par les fenetres pour fuir en etant en equilibre sur le bord de la falaise avec le vide en dessous heuresement personne n est tombe dans l aeu ou sur les rochers qui etaient en contre bas du casino

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  6. Merci pour cette article, mon pere, Jacques Levy est sur la photo publiee jouant du Mambo mais heureusement pour lui il n'a pas pus etre present ce soir la
    Ma mere etant malade avec la grippe ce soir la, s'est enguelee avec mon Pere pour qu'il n'aille pas jouer car il voulais vraiment pas manquer la soiree. FInalement il a decide de ne pas y alle et ma mere lui a sauvee la vie!

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