dimanche 11 avril 2010

TCHALEFS D'UN ENFANT DE BAB EL OUED


LES CHAUSSURES DE RODGER

Rodger, c’était le magasin de chaussures au tout début de l’avenue de la Marne, côté jardin Guillemin. Bien calé sous ses imposantes arcades, ce magasin, il attirait aussi bien les femmes élégantes que les hommes pour la qualité de sa fabrication.

Comme tous les dimanches, j’allais déjeuner chez mon oncle Léon et ma tante Rose mais ce jour là, y tombait des cordes. C’était un déluge digne des déluges algérois, une véritable marabounta. Comment faire pour traverser toute l’avenue Malakoff sans me mouiller surtout que le vent y soufflait en rafales. Pour couronner le tout, mes chaussures elles étaient toutes trouées et rafistolées avec des semelles découpées dans une vieille boite en carton. Comme un babao, je voulais m’y rendre quand même pace que mon oncle c’était un fou de football et le SCUEB qui avait battu le grand Stade de Reims y venait défier l’ASSE. Et, avec mon oncle, je rentrais à ouf au stade. La pluie, elle voulait pas cesser comme une samote. Ma mère, rien qu’elle me décourageait

--« Tout ça pour un match. Tu vois pas qu’y va pleuvoir toute la journée ! »

Et plus, je voulais affronter les giboulées, le vent, la pluie, la tornade. Un fou, j’me rendais bien compte de ma folie mais je voulais voir le SCUEB affronter l’ASSE. Même pas je me disais que le match il risquait d’être reporté, aouah, j’avais une idée en tête et pas ailleurs. Même Azrine, y pouvait pas me faire changer d’avis.

Tellement, que le bon dieu, il a eu pitié de moi. Y devait être à sec, plus une goutte à déverser sur Bab El Oued. Bien sur, ni une ni deux, je me suis mis en route. Quand je suis arrivé face au stade Cerdan où mon oncle, il habitait, j’avais les chaussures et les pieds dans un ces états. Mouillés, c’est peu de le dire. Ma tante, elle s’est fait de ces mauvais sangs.

--« Mon fils, enlèves tes chaussures et viens que je te sèche les cheveux ! Et maman, elle t’a laissé partir avec ce temps souèd? »



Ma tante, comme toutes les femmes de la famille, elle était née dans la casbah, alors obligé elle parle mi-arabe, mi-juif et mi-français. Trois moitiés, en plus on sait pas compter !

Elle sait, tata Rose que suis têtu comme une mule ou mieux comme un bourricot de la montagne. Mais elle appelle mon oncle et je les entends chuchoter comme si c’était des conspirateurs. Après bien des conciliabules, les voila qui sortent de la salle de bains où ils avaient été conspirer. Mon oncle, à la fin de la journée alors que le match il avait été reporté, y m’embrasse et y me donne rendez vous le lendemain pour aller m’acheter une paire de chaussures chez Rodger.



Le lendemain, je reconnais le sifflet de la famille (chaque bande, chaque clan, chaque famille, elle utilisait ce signe de reconnaissance typiquement méditerranéen qu’est le coup de sifflet ).

Devant chez Rodger, mon oncle y me demande de choisir dans la vitrine la paire (et oui, j’allais pas acheter qu’une chaussure, la paire c’est un minimum !). Je regarde, je juge, j’ai envie de choisir une paire qui fasse pas cucu-la praline mais ma mère, la pauvre, elle m’avait bien fait la leçon, surtout demande à Tonton des chaussures pas chères, t’ch’as bien compris. Je m’arrête sur une paire mi-cucu la praline, mi-fils à pèpe, mi-babao ! Mon oncle avec l’intelligence qu’on a tous dans la famille et le sens de l’observation très développé qu’il a, y me montre une paire de chaussure noire sans semelle pareille à celles d’Alain Delon dans « Faibles femmes ». Tonton Léon, il avait dû voir mon regard en biais et la bave qui coulait de ma bouche, qu’est ce qu’il fait ? Je vous le donne Emile mais moi je vous le vends Emile ? Y rentre dans le magasin et y demande à Rodger la paire que tous les amis j’vais m’en faire des ennemis tellement y vont être jaloux. Ba ba ba ! Le roi c’est pas mon cousin ! Après dix sept mille remerciements et trente cinq mille baisers à son Mazozé de frère, ma mère, elle me met en garde :

--« Attention, tu touches pas un ballon avec ! Tu montes te changer avant. Tch’as compris hein, mon fils ! Tonton, il est gentil hein ! Alors, prends en soin ? C’est pas des tennis ça ! Tu sais combien de vestons y faut qu’y fabrique, tonton, pour te payer une paire de chaussures pareille! »

Bardah ! Ma mère toujours y faut qu’elle exagère ! D’accord maman, je ferai très attention ! Je les regarderai seulement, moi aussi j’exagère !

Après quelques jours, j’avais étrenné mes chaussures. Sans shooter dans le moindre ballon, la moindre balle, le moindre caillou. Tout juste si je marchais pas sur les mains ! Comme un fils à pèpe !



Et puis, je monte à Maison Carrée faire un match de hand-ball avec mon école même que mon cousin c’était le goal de la sélection d’Alger. Mon prof de gym, y nous fait mettre les affaires dans un vestiaire fermé à clé. Tout le monde, on est tranquille. On tape le match, je suis moi aussi le goal et on gagne les doigts dans le nez. On a pas le temps de taper la douche algéroise mais la douche écossaise je la prends en pleine poire ; le vestiaire il avait été « visité » pendant le match et mes belles chaussures, elles s’étaient faites la belle. Le cataclysme qui s’est abattu sur moi et ma mère, c’est rien de le dire.

--« Comment on va faire pour le dire à tonton ? Tout cet argent jeté à la rue ? Aussi tch’avais besoin d’aller au stade en chaussures de ville ? Bou ala sardek ! »

Ma mère, quand vraiment elle en pouvait plus de mauvais sang, elle jurait en arabe, c’est bizarre, hein ?

Mon oncle, la gentillesse personnifiée, il a aimé mes chaussures sans semelles. Une semaine après, il est retourné chez Rodger pour s’acheter les mêmes. Dans la famille on a les mêmes goûts et les mêmes pieds !



Le dimanche suivant, y vient manger à la maison avec tata Rose, Jean Paul et Daniel. Sur le pas de la porte, y s’arrête et, fier comme Artaban y fait en montrant ses souliers sans semelles :

--« TAN TAN TAN ! »

Et avant qu’il ait le temps de dire quoi que ce soit, ma mère elle s’écrie : « Tch’as retrouvé les chaussures de Hubert ? »

Mon oncle raïeb, y s’est demandé ce qu’il lui tombait sur la tête. Reusement, ma mère, elle s’est vite reprise, on a parlé d’autre chose et Tonton, il a passé une journée souâ-souâ sans jamais connaître le fin mot de l’histoire.

FIN

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