lundi 1 mars 2010

EXTRAIT DE "MA MERE JUIVE D'ALGERIE"

J'écoutais ma mère qui semblait revivre cette époque, ce pays, cette jeunesse avec fascination. Pendant qu'elle parlait de cette tranche de vie maculée de nostalgie, depuis son appartement de métropole, à des années lumières de son Algérie où dormaient ses souvenirs, alors que la pluie traçait des larmes sur ses vitres, elle n'était plus rapatriée, elle n'était plus exilée loin, si loin de sa terre natale. La magie de la mémoire l'emportait sur son tapis volant vers l'autre rive de la méditerranée. Une méditerranée qui lui murmurait à l'oreille les chansons de son enfance, les bruits familiers de la rue Marengo, les mélopées judéo-arabes qui enjambaient les terrasses et glissaient entre les jalousies des persiennes de bois tendre. Revivaient alors en elle, les milles et une images de ce monde orientaliste qui tempérait le froid de l'exil. Alors, chaque mot qui sortait de sa bouche était un morceau de son âme qu'elle offrait à ma pauvre nostalgie. Je l'accompagnais dans ce voyage initiatique vers les odeurs et les gens d'autrefois, chers visages disparus, figés dans la solitude des cimetières abandonnés d'Algérie, rendus à la vie par la grâce d'un récit, d'une mémoire retrouvée, d'une amnésie revisitée. Elle avait abandonné son pays mais sa terre natale ne l'avait pas quittée. Elle vivait en elle et par elle. Elles étaient indissociables, parallèles, siamoises. Son pays coulait en elle, dans ses veines et dans ses artères, comme un torrent fou qui charrie l'eau salvatrice vers les contrées assoiffées par la brûlure du soleil.

YYY

Je l'écoutais me dessiner ses jours, et mes pensées, par moment, la délaissaient pour vagabonder dans les rues de mon pays qu'elle racontait. Comme elle, je connaissais l'environnement de sa vie et je déambulais sur les images de ses récits. Elle évoquait souvent la rue BAB AZOUN, ses arcades ombragées, son marchand ambulant d'allumettes aux anchois, la pâtisserie FILLE, le PETIT DUC, la MASCOTTE, BAMBI, le GAGNE PETIT, les MEUBLES DURAND, autant de magasins, autant de célébrités locales.
Elle me servit sur un plateau de délices l'épisode de la rencontre entre mon père et ses oncles, inquisiteurs devant l'Eternel pour, pensaient-ils, la bonne cause et le bonheur de leur nièce:
--" Papa, il est entré dans le magasin, comme un client ordinaire. Zarmah, il s'intéressait à une salle à manger Louis j'sais plus combien. Mes oncles, tonton Elie, le premier, ils ont abordé la discussion. Papa, sans dévoiler son identité, il a tenu la conversation, parlé de son métier de voyageur de commerce pour une grande fabrique de soieries, démontré qu'il était pas un bourricot d'ESPAGNE. Quand mes oncles, ils sont tombés sous le charme, il s'est présenté. La consternation, je te dis pas! Les frères DURAND, dans leurs petits souliers, ils étaient. Même qu'ils se sont excusés de leur méprise. Le noceur, c'était un homonyme. Aussi, après s'être assurés des bonnes intentions de mon père, ils l'autorisèrent à me courtiser."
Le mariage eut lieu le 29 septembre 1938 à la Synagogue de la rue VOLLAND.
Alors que son regard redessinait les contours de ces années enfuies, il me semblait y lire ce mélange de bonheur indicible et de tristesse éperdue qui perturbe la vie de tous les exilés de la planète. Mélange de souvenirs égarés en chemin, dans la tourmente de repaires effacés par l'errance qu'elle tentait pourtant, désespérément, de conserver intacts en les revisitant et en les racontant à en perdre haleine.
J'écoutais ses mots et j'entendais son coeur. Le sable de ces moments arrachés à l'exode, filait à travers ses doigts fatigués de trop vouloir le retenir. Rien ni personne ne lui rendrait ses rues d'Alger, sa maison, son "chez elle", la présence rassurante de ses proches, ses visites mensuelles au cimetière de Saint- Eugène où dormaient son époux, ses parents et ses ancêtres.
Personne ne sût, ce jour là, que les larmes de ma mère, jeune épousée, renfermait le goût sucré-salé du bonheur et de l'amertume devant le refus de ses oncles de lui servir de père en ce jour béni. Aussi, c'est au bras de son frère, William qu'elle pénétra dans l'immense théâtre du temple de la rue VOLLAND.
Les années ne dissipèrent jamais les séquelles de cet affront. L'amour des bienheureux se doit de réconforter le chagrin, la veuve et l'orphelin. Mais ma mère avait refusé tant de partis présentés par la famille, qu'elle s'était mise à dos les membres de cette tutelle imposée par le décès du père. Seul son oncle CHARLES, brisé par la perte de ses quatre fils, trouva grâce à ses yeux. Aussi, lorsqu'en pleurant, il lui avoua sa détresse de ne pas la conduire à la "thêba", ma mère se contenta de se blottir dans ses bras et, pour seul pardon, l'embrassa affectueusement.
Tout au long de sa vie, ma mère garda une tendresse particulière pour lui et son épouse, la tante EVA, soeur cadette de ma grand-mère maternelle.

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